Le maître qui apprenait aux enfants à grandir

Le maître qui apprenait aux enfants à grandir

Né en Bretagne en 1933 dans un milieu pauvre et analphabète, rien ne prédestinait Jean Le Gal à devenir instituteur. Pourtant, c’est ce qu’il sera, pour son bonheur et celui de ses élèves. Engagé dans l’aventure du mouvement pédagogique initié par Célestin Freinet, il raconte son parcours dans un livre qui vient d’obtenir le Grand Prix Ni dieu ni maître 2007.

Ni dieu ni maître ! Le slogan anarchiste mérite parfois quelques bémols. Ni dieu, sans aucun doute, toujours et partout. Ni maître (en l’occurrence, ici, d’école), c’est à voir. En effet, on peut souhaiter à tous les enfants du monde qu’ils croisent un jour la route d’un maître d’école comme Jean Le Gal.

La dernière guerre se terminait quand la question de l’avenir du jeune Jean se posa. Son instituteur pressait ses parents pour qu’il poursuive ses études en vue d’intégrer plus tard l’Ecole normale, la Poste ou les Chemins de fer. Le bon élève réussira le concours de l’EN et celui de la SNCF. Pratique, le père préférait la SNCF. Après débat, Jean ira à l’EN. Il en ressortira programmé pour être un « bon maître ».

Sous les drapeaux durant la guerre d’Algérie, Jean Le Gal jura d’agir dès sa libération en faveur de la paix et de l’autodétermination du peuple algérien. « L’armée et la guerre m’auront permis de me construire l’éducation politique qui me manquait », note-t-il. Après trente mois d’armée, Jean Le Gal s’engagera effectivement pour défendre les libertés individuelles, la justice et la paix. Il adhèrera à la Ligue des droits de l’Homme (LDH).

À la rentrée scolaire de 1957, Jean Le Gal est en poste dans l’école publique des Couëts, près de Nantes. Il a en charge quarante élèves d’un cours élémentaire première année. Il enseigne alors « avec le sérieux et la rigueur d’un maître qui veut que les enfants apprennent et que le calme règne dans la classe ».

À l’occasion de vacances à Vence, en 1959, Jean tombe par hasard sur un panneau : « Ecole Freinet ». Accompagné par sa femme, institutrice également, il s’aventure dans un lieu qui transformera le cours de sa vie. Le choc va créer « une rupture décisive et irréversible ».

Ainsi, après avoir visité l’école que Célestin Freinet anime depuis 1935, Jean Le Gal décide de combler le hiatus qu’il sent entre sa pratique militante et sa pratique pédagogique. Il dévore les ouvrages de Freinet et médite sur le bon sens de formules tirées de l’observation des hommes simples. « On ne fait pas boire un cheval qui n’a pas soif », « C’est en forgeant que l’on devient forgeron »…

Dès la rentrée 1959, avec l’assentiment de ses collègues, Jean Le Gal retrousse ses manches. Place au travail libre ! Place à la liberté d’expression ! Les techniques Freinet sont peu à peu mises en place dans un tourbillon qui brasse mille interrogations. Une organisation nouvelle, une coopérative scolaire, un atelier peinture, un atelier lecture, des classes promenades, un journal scolaire, une imprimerie, des correspondances postales avec d’autres écoles... voient le jour.

Tout en se familiarisant avec le fonctionnement de la Coopérative de l’enseignement laïc (CEL) et de l’Institut coopératif de l’École moderne (ICEM), Jean lia recherche et action (et réciproquement) sur un terrain en perpétuel mouvement. Mettant en cohérence son activité professionnelle et son action militante, il va créer un lien évident entre la LDH (qui soutient la Charte de l’enfant) et la pédagogie Freinet qui entend «  décoloniser » les enfants pour les aider à s’autodéterminer. « Notre propre expérience nous montre que les enfants dégagés de bonne heure de tout l’appareil de servitude dont on les accable nous donnent bien souvent des leçons de dignité sociale, de conscience politique et de courage civique dont nous devrions nous inspirer », explique Célestin Freinet avec qui Jean Le Gal entretiendra une longue correspondance.

Une révolution pédagogique aussi complexe ne se mène pas seul. Jean invita alors les familles dans cette école où « les murs parlent » via les œuvres écrites et dessinées des enfants. Pourquoi faut-il refuser le « par cœur » ? Pourquoi faut-il ouvrir l’école sur la vie et sur l’actualité ? Pourquoi supprimer les notes et les classements ? Pourquoi faut-il trouver d’autres moyens d’apprentissage et d’évaluation pour motiver et responsabiliser les élèves en classe et partout ? Vaste débat pour celles et ceux qui n’ont connu que la loi rigide des écoles-casernes !

Pas spécialement doué pour le dessin, Jean Le Gal se lança également dans des ateliers d’art enfantin. Grâce aux conseils d’Élise Freinet, la classe avait trouvé un moyen d’expression qui enthousiasma enfants et adultes. « Mon fils reprend confiance en lui avec ses succès en peinture », constatait une mère.
À l’école des Couëts, comme plus tard dans une classe de perfectionnement de Rezé, l’art enfantin passionna les amateurs. Expositions au musée des Beaux-Arts de Nantes, réalisation d’une fresque en relief pour Emmaüs, création de cartes postales, illustration du Moulin de papier de Maurice Carême, création d’un dessin pour la Une d’une édition spéciale de Ouest France... Belle reconnaissance !

Les perspectives offertes par la pédagogie Freinet intéresseront Fidel Castro après la révolution cubaine de 1959. Des liens se nouèrent entre élèves cubains et français jusqu’en 1962. La présence soviétique sur l’île freina l’élan. Les calomnies déversées par des enseignants communistes français (Georges Cogniot, Roger Garaudy et Georges Fournial pour ne pas les nommer) auprès du ministère cubain de l’Éducation porteront le coup final.

Dommage pour Cuba, mais l’aura internationale de la pédagogie Freinet ne s’est pas arrêtée là. L’Afrique sera, entre autres, une belle terre d’accueil. Après le Dahomey (devenu le Bénin en 1975), c’est au Sénégal que trois instituteurs de Diawar implanteront le mouvement en donnant naissance à l’Association sénégalaise de l’école moderne (ASEM). C’est d’ailleurs l’ASEM, via l’association Morgane, qui va bénéficier des 3 000€ du Grand Prix Ni dieu ni maître 2007. Un prix offert par le groupe L@s solidari@s lors du congrès de l’ICEM qui se tient à Paris jusqu’au 20 août et qui profitera au Centre Morgane de Dagana. De nombreuses photos de l’école sont disponibles sur le site de l’association.

En 1968, partisan de l’autogestion, de l’éducation populaire et de la pédagogie non directive, Jean Le Gal se posait une question brûlante : « L’école actuelle est-elle compatible avec la revendication d’une société de justice sociale, de liberté et de responsabilité ? » Qu’en est-il en 2007 ? L’école publique d’aujourd’hui génère-t-elle des femmes et des hommes libres et responsables, des êtres humains capables de coopérer pour apporter plus d’égalité et de fraternité dans notre société ?

En préface au livre de Jean Le Gal, Michel Onfray rappelle « qu’on peut être enseignant et pas sergent ». Le dressage, les punitions, l’ennui ne sont pas des passages obligés. L’école n’est pas nécessairement une entreprise de formatage au service d’une société basée sur le profit. Trois mille enseignants membres de l’ICEM en sont persuadés. C’est beaucoup et c’est peu. Il en faudrait bien plus pour introduire la démocratie participative dans les salles de classe et déboulonner l’école capitaliste qui fabrique de l’échec scolaire et de l’exclusion sociale aussi sûrement que 0 + 0 = la tête à Toto.

Jean Le Gal, Le Maître qui apprenait aux enfants à grandir – Un parcours en pédagogie Freinet vers l’autogestion, éditions Libertaires/éditions ICEM, 322 pages. 15 euros.

Infos et commandes sur www.editionslibertaires.org

Site de l’ICEM pédagogie Freinet : www.icem-pedagogie-freinet.org

Site de l’association Morgane : www.association-morgane.org

Contact de l’association sénégalaise de l’Ecole moderne (ASEM) : papameissa@yahoo.fr