Les bois dormants – Rentrée 2007

Les bois dormants – Rentrée 2007

Avant le rush de septembre, offrez vous quelques heures de calme, les dernières qui précéderont l’invasion des grosses pointures qui n’ont rien à dire, des gosses qui ne veulent pas retourner à l’école, du chef de service qui s’est levé du pied gauche, et de TF1 qui aura toujours une grille aussi niaise … Avant d’être à nouveau pollué(e) par la misère intellectuelle de notre quotidien, embarquez dans un monde onirique et enchanté, où rien n’est pareil.

Puisque la poésie n’est pas qu’une seule et entière définition d’une certaine manière d’écrire, mais bien la couleur donnée à un style d’écriture qui peut, aussi, se retrouver dans la fiction sans parvenir à s’enfermer dans le carcan rigide de la norme littéraire, il est des romans qui sont des poèmes. Ici, à n’en pas douter, nous sommes en présence d’une comète qui dépose ses étincelles syntaxiques sur les lèvres de nos pupilles qui nous disent que les yeux aussi parlent en lisant, dessinent en marchant, pleurent en riant …

Partant d’un fait divers anodin, une mère de famille soudain plongée dans le coma à la suite d’un accident cérébral, Fabienne Juhel ose franchir le tain de nos miroirs brisées pour nous emmener gambader sur les chemins de travers. Nous perdre dans l’inconscient de l’héroïne qui, finalement, n’est pas si éloigné du nôtre …

Déjà, petite, ses parents l’avaient oubliée sur un stand, dans une fête foraine, non loin de la promenade des Anglais. La petite fille s’était endormie sous la protection des peluches qui la réchauffèrent et lui racontèrent des histoires le temps que les gendarmes la retrouvent. Puis, adolescente, les ballades en forêt se soldaient souvent par des égarements volontaires à la suite d’un papillon qui n’aurait pas suivi le bon chemin, d’un rayon de soleil … Léa, sa fille, se perdra aussi, en faisant du vélo. La perte, le sceau de son destin. Alors, quand elle se sait perdue pour la science, face à ces six derniers mois à vivre, elle n’aura de cesse de ne rien noter, planifier, organiser, laissant le temps au temps, l’amour à ses enfants, l’impossible à l’éther du temps qui passe …

Il est toujours difficile, délicat et dangereux d’aborder le thème de la mort à venir, d’une fin de vie annoncée, surtout quand il s’agit de narrer les derniers jours d’une jeune mère de deux enfants. Mais Fabienne Juhel parvient à dompter son sujet et à se jouer des écueils grâce à une langue magnifique, à une imagination détaillée et précise, à un canevas original qui mène le lecteur par étape, l’invitant dans l’intimité au fur et à mesure que le temps se réduit comme s’il parcourait, lui aussi, cette remontée du fleuve vers l’origine, cet inconnu que nul ne connaît avec certitude, sauf à sombrer dans la fadaise des croyances populaires. Ainsi, sans tabou mais avec une pluie d’images et une musique verbale infiniment douce, nous allons vers la douleur qui n’en est plus une puisque l’harmonie naturelle des cycles s’impose comme l’étalon incontournable, la réalité est ainsi faite, que toute vie doit s’achever.

Cette formidable leçon d’humanité est un baume pour l’âme de ceux qui ont connu l’accompagnement d’un être cher, mais elle est aussi une pièce littéraire d’une grande beauté, un diamant, puisque il est de plus en plus rare de lire une langue si habillement magnifiée.

Fabienne Juhel, Les bois dormants, coll. La Brune, Editions du Rouergue, août 2007, 160 p. – 14,00 €