Attentat contre le siège de l’ONU en Irak : et si les USA savaient ?

Exclusif Le Mague - Une enquête mené par notre collaborateur au sein des différentes entités onusiennes (UNICEF, UNESCO, UNWRA, PNUD) lui a permis d’entendre plusieurs témoignages, mais aussi un nombre croissant d’interrogations que se posent les diplomates mais aussi les personnels, sur le terrain comme dans les administrations. Tous disent la même chose, tous sont porteurs d’une immense lassitude et d’un doute récurrent. Quels sont alors ces faits, ces raisonnements, ces questionnements qui corroborent des faits troublants, qui démontrent une certaine logique dans l’enchaînement macabre qui découla sur l’attentat contre le siège des Nations Unies à Bagdad ? Tentative de réponse.

Deux semaines après l’attentat de Bagdad, après la consternation et le chagrin, après l’incompréhension et la colère, c’est désormais le doute qui habite les esprits. La famille onusienne est devenue suspicieuse. « C’est la fin de l’innocence », résumait l’un des membres d’une mission de l’UNICEF, rencontré à l’aéroport de Genève à son retour d’Irak, il y a huit jours.

Les sentinelles de la paix ont pleuré, seules, leurs morts. Les hommages des proches rendus à Genève n’ont pu faire oublier le sentiment d’abandon éprouvés par les équipes irakiennes. Ils se sont sentis « étouffés, oubliés » a dit un de leurs collègues. Première étape dans la volonté de la coalition de mettre d’emblée l’ONU hors-jeu ; ou tout du moins cantonnée aux tâches humanitaires. Surtout qu’elle ne mette pas son nez dans les affaires américano-irakiennes. Laissons-la se débrouiller avec les sans abris, les morts de faim, les malades … Ainsi aucune protection particulière n’était allouée ni aux membres du corps diplomatique ni au staff, et encore moins aux irakiens embauchés sur place. Aucune mesure particulière de sécurité la plus élémentaire n’a été prise pour protéger le bâtiment central du QG onusien, et encore moins ses dépendances. Quant on sait que la moyenne journalière des actes de violence à l’encontre des occidentaux à Bagdad dépasse le nombre de dix, on peut s’interroger sur l’acte délibéré des autorités en place (les USA) de ne pas prévoir de protocole de sécurité pour ses hôtes de marque.
Premier acte.

Sergio Vieira de Mello était le dauphin de Kofi Anan, secret de polichinelle au sein de l’immeuble de verre new-yorkais. Dauphin et quasiment adoubé par l’ensemble de la classe politique internationale qui voyait en lui l’homme providentiel pour redorer le blason terni de la maison ONU. Brillant, enthousiaste, exigeant, plein d’ardeur et charismatique, mais surtout d’une compétence mondialement reconnue, Sergio Vieira de Mello n’avait qu’un seul ennemi … les USA. Pour qui prône la concorde, le respect des chartes et place l’homme au-dessus de tout impératif économique, celui-là ne peut pas être l’ami de l’administration dégénérée actuelle qui gouverne l’Amérique. Sergio Vieira de Mello était l’homme à abattre. D’une manière ou d’une autre. Lorsqu’il mit les pieds sur le sol irakien il signait son arrêt de mort : les faucons de Washington se frottaient les mains de tant d’insouciance.
Deuxième acte.

Mais monsieur de Mello n’était pas venu tout seul à Bagdad. Deux brillants cadres l’accompagnaient : Nadia Younès et Jean-Sélim Kanaan.
La première, issue de la haute société égyptienne, était un animal politique hybride, fait de charisme et d’impertinence. Elle avait gravi tous les étages de l’ONU, depuis le sous-sol de l’immeuble de verre qu’elle faisait visiter comme guide à l’âge de 22 ans, jusqu’au dernier des 38 étages, auquel elle avait désormais accès en tant que secrétaire générale adjoint.
Le second, à 33 ans, cumulait déjà un passé digne des grands baroudeurs : français par sa mère, égyptien par son père, romain de naissance, il avait trois nationalités et parlait six langues. Cet homme pressé, animé d’une passion brillante, contagieuse et militante, incarnait la nouvelle génération : il cristallisait en lui le meilleur de l’ONU. Parce qu’il était entier (après des études à Harvard, il s’engage avec une ONG française et part à Mogadiscio en 1992 à l’âge de 21 ans, puis enchaîne la Somalie, la Bosnie, le Kosovo) et pressé de changer le monde, il avait commis un pamphlet en 2002, La Guerre à l’indifférence, dans lequel il dénonçait les défaillances de l’organisation, ce qui faillit lui coûter son poste.
Voici donc deux éminents diplomates internationaux qui croient en la Charte des Nations Unies, en la paix, et qui veulent réformer le système, donner une indépendance financière et militaire à l’ONU pour pouvoir intervenir mieux et plus vite. Voici donc deux emmerdeurs qui ne rataient pas une occasion de bloquer, dans la mesure de leurs moyens, les volontés expansionnistes des USA. Voici donc deux potentielles victimes que l’on avait mis sur la liste noire.
Troisième acte.

Quant on se remémore l’assassinant du comte Bernadotte, l’envoyé de l’ONU, par les brigades sionistes pour l’empêcher de rapporter à New-York ce qu’il avait vu : le massacre et l’épuration ethnique dont étaient victimes les Palestiniens, on peut alors relier les faits et se dire que les faucons de Bush ne vont pas se laisser barrer la route par quelques idéalistes. Quand prime la raison d’état, facile excuse pour légitimer un assassinat, tout est possible.
Quatrième acte.

Revenons au jour de l’attentat. Il était prévu ce jour-là une réunion entre l’administrateur américain, Paul Bremer, et son staff, et Sergio Vieira de Mello et ses collaborateurs. Réunion qui devait se tenir dans les locaux américains. Réunion qui fut annulée deux heures avant, sur un coup de téléphone anodin qui faisait état d’une excuse pour le moins légère : « un empêchement de dernière minute ». Annulation qui se fit par l’entremise d’une secrétaire, Paul Bremer aux abonnés absents : manque de tact ou dérobade ?
Le résultat est connu : succès total pour la diplomatie américaine qui n’aura qu’à jouer les larmes de crocodile et se frotter les mains de voir ainsi éliminés trois témoins gênants …

Affabulation ? Fantasme morbide ? Vérité ? Personne ne peut encore le dire, d’autant que la tradition onusienne veut que l’on soit particulièrement frileux quant aux déclarations fracassantes. Mais il y a un signe qui ne trompe pas : les langues se délient au sein même des organisations, les gens parlent, et même aux « étrangers » dont votre serviteur. Le sentiment de malaise, de manipulation, grandit. La peur commence à s’insinuer dans les couloirs, et les nouvelles actions contre des dignitaires musulmans (Hakim, Yassine) ont tendance à nourrir les ressentiments. Il se trame des choses malsaines au sein de la maison du monde. On est en train d’assassiner la paix. Dans l’indifférence générale.