Une rentrée littéraire profonde et haletante avec Alina Reyes

Une rentrée littéraire profonde et haletante avec Alina Reyes

On ne le dit pas assez - car les grands médias, trop futiles, incultes et à l’affût du sensationnel lui préfèrent la folie d’Amélie Notomb ou l’hystérie de Christine Angot - mais Alina Reyes est très certainement l’un des meilleurs écrivains français vivants.

Ce qu’on nous annonce comme le dernier roman sous son patronyme actuel - car l’auteur continuera d’écrire mais ni sous ce nom ni dans cette forme - est un livre au dessus du lot qui clôt de manière extraordinaire une carrière de 20 ans de rêveries, histoires et fantasmes couchés sur papier.

"Forêt profonde" est une bible littéraire précieuse, vouée au culte du beau, du fort, du profond, du haletant. Il engendre la béatitude, la foi en l’humanité, l’élévation suprême.

Il faut lire cette "Forêt profonde" sur le champ lexical du divin langage du spirituel, celui qui nous fait monter dans les cieux immémoriaux du souvenir, du désir, de la passion, dans des endroits où l’âme est bienheureuse, vidée et épanouie après l’orgasme, qu’il soit physique ou intellectuel.

En plus de 370 pages qui n’engendrent ni l’ennui, ni la lassitude, encore moins le sentiment de déjà lu, Alina Reyes témoigne sur son siècle intime, entre recherche des symboliques de toute une vie vouée à prendre de la hauteur avec les préjugés, les castrations, les tabous et les épreuves, les bonheurs et les joies et quête d’un Saint Graal sensuel.

Ce roman largement autobiographique est une sorte de solde de tout compte sensoriel et évanescent. Le tout écrit toujours avec un style accessible baigné de secrets, d’énigmes, de codes charmants et de moments troublants d’une femme, jetée dans un corps fait pour l’amour et un esprit fait pour retranscrire toutes les beautés et laideurs du monde.

"Forêt profonde" c’est aussi une descente aux enfers tourbillonnante entre la douceur angélique et la plus sourde violence d’un homme de pouvoir(s).

Voyages immobiles et épopées géographiques, ce roman-là fait figure de sommet pyramidal de l’œuvre, et c’est vrai qu’il y a comme un goût délectable d’achèvement, comme pour permettre à la belle de vivre d’autres aventures littéraires sous d’autres latitudes sémantiques.

Dans "Forêt profonde", Alina Reyes dit sans se dédire, tantôt à la première personne tantôt à la troisième. Elle descend mieux que personne la rue Saint-Jacques (’la plus longue montée de Paris’) glacée par un hiver surprenant jusqu’à Notre-Dame comme un lieu de rédemption.

Nous sommes les voyeurs privilégiés d’un monde qui nous fascine et nous inquiète. Erotique et mystique, Alina jongle avec les sentiments comme la plus habile des trapézistes, inspirée par une foi profonde et enrichissante. Nous visitons une terre vierge de tout sentiment facile.

"D’où vient le temps ? Il tombe sur moi comme la neige, mais quand je lève la tête chaque flocon monte et m’aspire vers l’abîme là-haut, chacun m’appelle de sa petite voix de plume "viens ! viens !", et ça fait un frou-frou de jupons... peut-être Dieu là-haut porte-t-il des jupons, ça fait envie et peur, il y a peut-être tout là-haut sous ces jupons une foufoune bien fraîche, une jolie vulve humide entre les cuisses blanches, peut-être y a t’il là-haut au paradis des anges des jeunes femmes en jupons qui viennent s’asseoir sur votre visage, peut-être là-haut n’y a-t-il plus que des femmes, les hommes aussi sont devenus des femmes et pour l’éternité on s’emmêle nos bouches et on se fait jouir avec des halètements très doux, sans jamais se faire le mal que toujours font les hommes..."

"Forêt profonde" est la plus belle des métaphores féminines, c’est un voyage au coeur de la cosmogonie intérieure, caverneuse, la divulgation pudique de la plus ravissante des cavernes ourlées.

Un jardin secret qui mérite qu’on l’élise, lieu-dit incontournable de la rentrée littéraire 2007.

Forêt profonde, Alina Reyes, Editions du Rocher, 378 pages, Sortie le 23 Août 2007.