LE FROID DU CONGELATEUR

Arrête de mentir... Ta bouche, ta gueule, ferme-la !...

Tu sais, ça revient toujours par vagues. Tu as les rétines brillantes, la salive accrochée à la lèvre qui dessine hasardeusement une minuscule bulle lascive. Le sourire est accroché au faciès bien offert. Pourtant, je suis glacée. Aucun rayon ne peut m’apporter une chaleur quelconque.

Je pourrais offrir ma croupe singulière au premier passant venu, après tout les voyageurs en transit possèdent en cargaison, les mêmes traits fermés. Les tiges se lèvent mécaniquement. Faire transpirer les corps juste pour retrouver l’alchimie du feu.

Arrête de mentir... Ta bouche, ta gueule, ferme-la !...

Ton sang a la couleur asséchée et tu marches dans ta grande ville empierrée. Tu es arachnéen, sculpté en os mobiles. Les kilomètres qui nous séparent sont des chaînes pernicieuses.

Tu sais, ils les déposent dans des chambres froides, dans des entrepôts à Rungis, dans des camions nomades, les vieux. Ceux qui ont côtisé toute leur vie comme des chiens, à rêver les yeux ouverts, à une retraite dorée. Avec des petites étiquettes aux orteils, numérotées... Six à dix jours pour les identifier....

Les moins amochés ont puisé leurs dernières forces pour frapper aux portes des hôpitaux. De l’air, de l’oxygène, du bouche à bouche, une perfusion improbable... Mesdames, Messieurs une piécette, à votre bon coeur !... Ce n’était pas grand chose, mais une société qui privilégie l’argent rentable au détriment de l’humain est une île en perdition.

Je pourrais ouvrir mes cuisses soyeuses et proposer une rivière de poissons salés comme pitance, mais dix mille grabataires sont déjà confinés entre des planches en bois, pourries de vers de terre. L’odeur fétide des cadavres disloqués envahit le macadam.

Arrête de mentir... Ta bouche, ta gueule, ferme-la.

Il faut entendre vibrer les âmes cassées. L’euthanasie eut été moins hypocrite. Fuck les anges.

Mais comme on entrave bien les chevaux, les vieux, on les oublie dans les consignes...

Douce France.

Arrête de mentir... ta bouche, ta gueule, ferme-la.
Et ne me parle plus du bonheur, s’il-te-plaît...