Face2Face : faire rire Israéliens et Palestiniens !

Face2Face : faire rire Israéliens et Palestiniens !

Peut-on aller contre ce qui semble être le sens commun ? La réponse est évidemment oui ! La preuve, ce livre, qui témoigne d’une autre réalité. D’une envie de vivre ensemble au-delà des clichés religieux et des idéaux politiques. Voici en un peu plus de cent pages l’histoire d’une utopie : placarder en Israël et en Palestine d’immenses portraits noirs et blancs afin de provoquer une réaction, d’imposer la fraternité sur une terre brûlée de tant de haines …

Quand plus rien ne fonctionne et que le monde semble marcher sur la tête, ne demeure que la lune pour se laver les yeux de trop de souffrance, que la poésie pour se laver les oreilles de trop de bruit et l’utopie pour se laver l’âme de trop de fureur … Partie comme un défi entre copains un soir de dîner arrosé, cette aventure hors du commun est le signe d’un possible : elle laisse ouverte la porte de la réconciliation en imposant un regard humaniste, authentique, dénué de toute rancune sur les habitants de cette région.
Ainsi a eu lieu la plus grande exposition de photographies au monde sans autorisation.

JR, à la photo, et Marco, au stylo, ont entrepris de rapprocher des femmes et/ou des hommes, israéliens et palestiniens, exerçant le même métier, en les faisant poser face à un objectif de 28 millimètres, dans une attitude volontairement expressive : pleurant, riant, criant ou grimaçant … et cela a donné une série de 41 portraits désopilants et plein d’une rare tendresse, d’une humanité enfin revenue s’implanter dans les yeux et les mimiques de ces acteurs de l’éphémère …
Mais pourquoi une telle idée ? Après un périple d’une semaine, à traverser les villes palestiniennes et israéliennes, en regardant simplement ce monde avec étonnement, les deux compères sont arrivés à la même conclusion : ces gens se ressemblent, ils parlent presque la même langue, comme des jumeaux élevés dans des familles différentes. Tous ont donc un frère de l’autre côté … et ils le combattent sans fin.
C’est évident, mais ils ne le voient pas. L’idée est alors de les mettre face à face. En espérant que cela les fera réaliser …
Le projet Face2Face consiste alors à faire des portraits et à les coller face à face, dans des formats géants, à des endroits inévitables, du côté israélien et du côté palestinien.
Ainsi, ils se verront, ils en riront et réfléchiront en voyant le portrait de l’autre aux côtés de leur propre portrait …
Dans quelques années, nos deux compères reviendront pour la suite : Hand in Hand.

Superbement mis en page, avec un papier mat au grain très fin mais au toucher épais, rappelant la matière, l’origine qu’il y a derrière chaque matériau, ce livre procure également un plaisir physique à tourner et retourer ces miroirs de nous-mêmes que sont ces portraits impossibles. On appréciera également l’effort de traduction qui nous permet de lire, en quatre langues (français, anglais, arabe et hébreu) les légendes des photographies et les textes d’accompagnement. Le carnet de voyage, à la fin, avec quelques planches contacts, nous livre l’ambiance littéralement surréaliste des journées passées à coller les affiches : les tribulations de la petite troupe déambulants avec ses 70 pots de colle et ses 1500 mètres carrés de posters est d’une rare beauté. On y rit, on y pleure, on y touche surtout l’absurdité de la situation, et l’on voit bien, dans ses nombreux récits détaillés, toutes les raisons qui doivent libérer les esprits et pousser Israéliens et Palestiniens à vivre enfin ensemble.
Il s’agit donc bien ici d’un livre-objet, d’une étape dans la marche du monde, une preuve supplémentaire que l’homme, libéré des carcans religieux et politiques qui l’emprisonnent dans son âme et dans sa chair, n’est rien d’autre qu’un grand enfant qui n’abonde qu’à s’amuser et à être heureux … alors diable, pourquoi faut-il toujours qu’il y ait une minorité d’imbéciles pour nous gâcher la vie ?!

Sans nul doute, l’image première et définitive que l’on conservera de cette opération, de ce livre, est le triptyque des trois religieux : du jamais vu ! Comme quoi, il n’y avait bien qu’en Terre Sainte que l’on pouvait oser imaginer une telle photo, un tel symbole. Cheikh Aziz, Frère Jack et Reb Eliyahu, tous trois grimaçants, louchant, riant aux éclats, côte à côte, en 4 par 3, affichés sur le mur de la honte qui déchire les terres de Cisjordanie, cinglent les esprits comme un nez rouge sur le nez du Premier ministre israélien ou sur celui du Président de l’Autorité palestinienne provoquerait une indignation. Mais pourquoi ? Les deux derniers cités sont bien les pires pitres que nous ayons vus depuis longtemps, pitres de l’absurde et du déni de soi-même, mais bien des tristes sires qui n’ont rien de bon à apporter à leur peuple ; tandis que nos trois lurons, tout imprégnés de leur culture et de leur religion, semblent se moquer d’eux-mêmes comme du destin, et faire ici un pied de nez au malin en lui démontrant que tout homme est identique à son prochain, et qu’il n’y a nulle part, ni en ce bas monde, ni dans les cieux, ni dans les croyances diverses et variées, une once de raison, d’explication ou de justification, qui autorise, qui incite, qui justifie, d’exterminer son prochain …

L’art crée des situations incroyables. Mêlé au rire, il permet d’accéder à des ressources insoupçonnées. Fasse que cette manifestation porte ses fruits, et qu’il pousse très bientôt au Proche Orient cette graine d’humanité qui apaisera la soif de paix de ses habitants.

Retrouvez sur le site de Face2Face le carnet de route, une vidéo, et plein d’autres infos.

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JR & Marco, Face 2 Face, 240 x 335, couverture cartonnée à larges rabats, textes français, anglais, arabe et hébreu, photographies couleurs et N&B, Editions Alternatives, juin 2007, 144 p. – 29,00 €