Salman Rushdie encore et toujours.

Salman Rushdie encore et toujours.

La littérature fait du grabuge dans certaines contrées de notre monde. Les
livres sont considérés dans certains pays comme des armes de destruction
massive. Les écrivains et les poètes, jadis exclus de la cité, constituent
aujourd’hui une espèce pourchassée par les pires des prédateurs de l’époque
moderne : le totalitarisme et l’obscurantisme. Malheureusement, notre siècle
est de plus en plus sombre pour les auteurs et les artistes. C’est une
vérité que le commun du mortel peut aisément constater à travers les divers
évènements qui font l’actualité de son quotidien. C’est également une vérité
que l’écrivain britannique Salman Rushdie apprend à ses risques et périls.

Le célèbre auteur des "Versets sataniques" renoue avec ses mauvais démons
en redevenant, encore une fois, la proie idéale pour les fanatiques
extrémistes et autres fous d’Allah du monde musulman. Ainsi, anobli ce
samedi par la reine Elisabeth II, Salman Rushdie est fait Chevalier de la
couronne Britannique et peut faire désormais précéder son prénom du titre
de "Sir".

Cet honneur fait à un grand écrivain de la langue anglaise de
notre époque contemporaine a visiblement déplu à de nombreux ennemis du
verbe. Les allergiques à la culture sont montés au créneau pour extérioriser
leur haine vis-à-vis de cet écrivain qui a failli, rappelons-le, payer de sa
vie son engagement contre le fanatisme religieux.
Le Front des Forces Obscures a mobilisé pour ainsi dire toute son énergie
pour faire valoir son aversion pour l’homme de lettres incarné par Salman
Rushdie.

Dans ce sens, des députés islamistes du nord-ouest du Pakistan ont
condamné violemment mardi l’anoblissement par la reine Elizabeth II
d’Angleterre de l’écrivain Salman Rushdie en tenant une nouvelle
manifestation de colère dans ce grand pays musulman. L’assemblée de la
Province de la Frontière du Nord-Ouest (NWFP), dirigée par une alliance de
partis musulmans extrémistes, a même adopté mardi une résolution appelant
Islamabad à rompre ses relations diplomatiques avec Londres, considérant au
passage que l’anoblissement de Salman Rushdie est "une décision qui
s’inscrit dans une campagne menée en Europe et en Occident pour heurter la
sensibilité des musulmans" !

Lundi déjà, des dizaines d’étudiants islamistes pakistanais avaient hurlé
"Mort à Rushdie, mort à la Grande-Bretagne !", brûlant le drapeau
britannique et incendiant des effigies de l’écrivain d’origine indienne.
Les conservateurs iraniens n’ont pas raté aussi le coche pour s’en prendre à
la reine Elisabeth II qui a anobli un écrivain très honni par le régime des
ayatollahs. N’oublions pas surtout que c’est en Iran que notre bien
malheureux compagnon de plume a été condamné à mort en 1989 dans une fatwa
par le sinistre ayatollah Rouhollah Khomeiny. Depuis la publication de son
roman "Les versets sataniques", la République islamique iranienne a fait de
Salman Rushdie son ennemi national numéro 1.

"Salman Rushdie a été transformé en cadavre honni par la fatwa de l’imam
Khomeiny et les agissements de la reine d’Angleterre ne pourront pas faire
revivre cet apostat", a déclaré récemment Mohammad Reza Bahonnar,
vice-président du Parlement iranien devant la chambre. Le quotidien radical
iranien Jomhouri Eslami a lancé de son côté une violente attaque contre la
reine, la qualifiant de "vieille bique", qui "grimace à la face du monde
islamique". "Cet acte ne fait que réduire encore la vie pathétique de
Salman Rushdie", ajoute aussi le quotidien. Si en 1998, le gouvernement
iranien avait indiqué qu’il n’essaierait pas de faire appliquer le décret
de l’ayatollah Khomeiny, son successeur à la tête de l’Etat, l’ayatollah
Ali Khamenei, a qualifié en revanche, en janvier 2005 M. Rushdie,
aujourd’hui âgé de 60 ans, d’apostat dont le sang peut être versé
impunément. Soulignons aussi qu’une organisation non gouvernementale
iranienne, le Comité pour la glorification des martyrs du mouvement
islamique mondial, a affirmé qu’il fera passer de 100.000 à 150.000 dollars
la prime qui sera attribuée à quiconque tuera Salman Rushdie !

Dans un pareil contexte, une question s’impose à l’esprit : que faire devant
une telle déferlante de haine ? Â Londres on s’est refusée à tout
commentaire. Au palais de Buckhingham, on est extrêmement prudent et on a
bien précisé qu’il était peu probable que Salman Rushdie reçoive son titre
de chevalier avant octobre. L’éditeur de Salman Rushdie a également refusé
de s’exprimer et déclare ne pas savoir où se trouve l’auteur actuellement.
Le moins qu’on puisse dire c’est que cette grave remontée du fanatisme et de
l’intolérance ne doit laisser personne d’entre-nous indifférent. Les appels
aux crimes et à l’haine ne peuvent en aucun cas triompher de notre volonté à
les combattre. Qu’adviendra-t-il de notre monde si la liberté et
l’imaginaire se plient au bon vouloir des fanatico-démoniaques de cette
détestable époque ? Mes chers am(e)is, le temps du silence complice est bien
révolu.

Salman Rushdie : l’enfant des ténèbres

Né à Mumbai d’une famille musulmane riche, éduqué en Angleterre, à
Cambridge, Salman Rushdie, dont le dernier livre "Shalimar le Clown" a été
publié en septembre 2005, est un écrivain engagé. Et peut-être l’un des
rares qui le sont encore.
Classé à gauche, il s’en était pris dans les "Versets" à Margaret Thatcher,
dont l’on devine les traits sous la figure de "Mme Torture". Il dénonçait
aussi la police qui plus tard le protégera, dans un passage en mettant en
scène des officiers rouant de coups des immigrants illégaux.
En octobre 2006, dans un long entretien au quotidien The Independent,
l’écrivain, qui partage son temps entre New York et Londres, et est marié en
quatrième noce à la mannequin et actrice d’origine indienne Padma Lakshmi,
s’inquiétait des dérives fondamentalistes de l’islam. "Nous vivons tous
sous une fatwa maintenant", s’indignait-il. "Vous pouvez voir la fatwa
comme l’ouverture de 9/11 (les attentats du 11 septembre 2001).

Ce n’est
pas une ligne directe. Peut-être pourriez vous dire que ce n’est pas la
même pièce de musique. Mais d’une certaine façon, c’était un présage."
Rushdie, qui a rejeté l’islam à l’adolescence, mais pour qui son
grand-père, fervent croyant, reste un "modèle de tolérance", se disait
préoccupé par cette radicalisation. Quelques jours auparavant, il s’était
immiscé dans le débat sur le port du voile en déclarant : "Le voile c’est
nul", il n’est qu’un "moyen d’ôter tout pouvoir aux femmes". Il disait
aussi craindre que l’Occident ne finisse par abdiquer ses valeurs.
"L’Occident devrait rester ce qu’il est. Il n’y a rien de mal dans ce qui a
été accepté pendant des centaines d’années : la satire, l’irrévérence, le
ridicule", estimait-il
Le 14 février 1989, l’imam Khomeiny, guide suprême de la révolution
islamique iranienne, prononce à son encontre une fatwa le condamnant à mort.

Entré en clandestinité, Rushdie vit dès lors entouré de gardes du corps,
mouvant de cache en cache. Après seulement cinq mois de cette existence, sa
deuxième épouse, la romancière américaine Marianne Wiggins, le quitte. Le 12
juillet 1991, c’est le traducteur japonais du roman, Hitoshi Igarashi, qui
est tué à coups de couteau à Tokyo.
Mais lassé de cette vie recluse, il annonce en 1993 ne plus souhaiter être
"un homme invisible". Faisant fi des risques, il multiplie les voyages et
les apparitions publiques. Cette même année, son roman "Les Enfants de
minuit", qui l’avait révélé en 1981, est consacré meilleur livre
britannique depuis 25 ans, par le jury du prestigieux Booker Prize.
Aujourd’hui, la vie de Salman Rushdie bascule encore une fois dans le
tragique en devenant plus que jamais la cible « préférée » des terroristes
de l’esprit.