Les Trous de mémoire (suite)

Les Trous de mémoire (suite)

Après Les Egorgeurs et Les Trous de mémoire, Benoist Rey poursuit la chronique de ses vies. Du fond de ses nouveaux trous de mémoire, en fait de vrais puits, l’auteur exhume une époque riche en vieilles pierres, en draps froissés et en bonnes bouteilles. Une humanité généreuse et rebelle à consommer sans modération.

1972. Montfa (Ariège). Cinquante habitants. Quand Benoist Rey, quittant Paris, débarque dans ce trou du cul du monde, c’est pour investir une ferme en ruine. Armé d’une inconscience aussi vaste que son énergie, Benoist remonte les murs, colmate les fuites du toit avec l’aide de camarades appelés à la rescousse. Et c’est parti pour 146 pages d’aventures.

Le premier été se termine par une farce. Séquelle d’une histoire de brocante passée en justice, Benoist Rey reçoit la visite de la gendarmerie. Il apprend ainsi sa dégradation. Première classe en Algérie, le voilà seconde classe. Bien sûr, l’auteur des Egorgeurs avait brûlé ses papiers militaires depuis longtemps !

En ce temps-là, les « hippies », les « beatniks », les « Indiens », bref tous les marginaux post soixante-huitards, sont dans le collimateur des braves gens. Au sein des communautés, ça va ça vient. Des gens, on ne connaît souvent que leur prénom ou leur surnom. Le livre de Benoist en fait revivre certains, de Montfa ou d’ailleurs. Ils s’appellent Flamand rose, Mimile, Youp, Dédé la Grisaille, Duduche, Couilles de Loup, docteur Pinard, Fanfan, Floréal, Pépé…

Montfa est vite devenu un lieu de passage. Les séjours peuvent durer quelques heures… ou plusieurs années. Jacques Bertin fera une petite halte avec sa femme. Cela donnera la chanson Ce que dit Benoist. Puis, un jour, une illumination : « On va lancer un resto ! » Banquettes, chaises et tables branlantes font leur apparition, suivies par quelques lots de vaisselle dépareillée.

Le 2 mai 1975, l’Auberge des Traouques ouvre. Au menu, œuf cocotte, charcuterie, salade, viande ou poisson, fromages, dessert maison et vin à volonté pour 15 francs. Ça marche. Le miracle suscite des médisances. On accuse le cuistot de « l’auberge rouge » d’épicer ses plats au haschisch ! Pourtant, ce sont uniquement de bonnes bouteilles et les cochons de la ferme engraissés affectueusement qui feront le bonheur des papilles. Baptisés Franco, Pinochet, Saddam, Mobutu, Khomeiny, Le Pen, Glucksman, Sarkozy ou Rika Zaraï, la cinquantaine de gorets trucidés offrira des moments festifs mémorables.

Hormis quelques virées arrosées à Paris (où il trinque avec Topor, André Laude, Jacques Vallet et autres bons vivants), un détour en Algérie (avec Benjamin qui veut découvrir le « deuxième pays » de son père) et un voyage au Togo (où il devient Yovo Lolo, le « gros blanc »), rien n’éloigne Benoist Rey de Montfa qui se mue peu à peu en centre culturel où se produiront les Fabulous trobadors, l’orchestre de chambre de Toulouse, Farafina, Higelin... Expos, ciné club et concerts de soutien à tout et à rien rempliront les colonnes de La Dépêche du Midi. Même le piano de Montfa eut son bref moment de gloire. Peint en blanc, offert au Royal de Luxe, il sera traîné par un char dans les rues de Berlin avant d’être catapulté.

Et puis, il y a les liens qui uniront, pendant quinze ans, Benoist au centre Marmottan créé en 1971 par Claude Olievenstein dit « Olive ». Durant l’été 1982, Montfa deviendra un lieu de post-cure pour toxicomanes à l’époque où le sida commençait ses ravages. La maladie rattrapait souvent celles et ceux qui avait pourtant décroché depuis belle lurette.

Un tiers d’imagination, un tiers de folie, un tiers de courage. Telle est la recette du cocktail qui a dopé Montfa jusqu’à la fermeture de l’auberge, en 2000. Malgré une descente des services d’hygiène qui aurait pu être fatale, en 1990, l’auberge a tenu bon. Après quelques travaux, un article élogieux paru dans le Guide du Routard avait vite remis l’auberge sur pied.

L’accueil des toxicos a cessé en août 1995 après une grave agression. Sous l’emprise d’un mauvais mélange, Farid, un accueilli, a pris en otage Jérémy, le fils de Benoist. Jérémy a alors 22 ans, l’âge que Benoist avait en Algérie pendant la guerre. Jérémy était menacé par un énorme couteau pointé sous la gorge. Le télescopage avec un vieux cauchemar fut inévitable. Finalement, épuisé, Farid vacilla et posa son couteau. Benoist l’expulsera sur le champ.

Et puis, il y a les joies simples, les rires, les ruptures et les deuils, les petites et les grosses bouffes, les litres de vin et de bière qui accompagnent le mouvement. Sans oublier les tonnes d’amour et de tendresse qui enveloppent ces vies qui ne renoncent jamais et qui tentent d’inventer d’autres futurs en agissant sur le temps présent.

Benoist Rey, Les Trous de mémoire (suite), éd. Libertaires. 12 euros.

Les livres de Benoist Rey sur Le Mague :

Les Egorgeurs : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article1919

Les Trous de mémoire (tome 1) : http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article1917

Infos sur www.editionslibertaires.org