Interview de Bruno Blum auteur de "Cultures Cannabis"

Interview de Bruno Blum auteur de "Cultures Cannabis"

Bruno Blum est l’auteur d’un livre "Historique" sur le thème du Cannabis publié chez Scali.
Un essai "Historique" car il évoque le petite et la grande histoire de cette herbe qui fait tant parler, alimente de nombeux fantasmes et qui est fumée par un ado sur deux dans notre pays.
Entretien avec un B.B qui entend bien ne pas faire de prosélytisme mais offrir une enquête srupuleuse sur le sujet sans se censurer ou s’autocensurer.

1. Pour un spécialiste du Reggae, des Rastas et de Bob Marley c’était presque logique qu’un jour vous vous attaquiez aux Culture (s) du Cannabis....là où c’est plus triste et effrayant c’est que semble t’il vous avez galéré pour trouver un Editeur parisien assez "couillu" pour le publier ?

Oui cinq éditeurs ont accepté la publication de "Cultures Cannabis"
avant de se rétracter, semble-t-il par crainte de poursuites du
Ministère de l’Intérieur. Pourtant le livre n’est pas spécialement
prosélyte, comme en atteste le premier chapitre qui retrace mon
parcours plutôt désastreux en la matière. J’ai essayé de faire un
livre à la fois sérieux, objectif et agréable à lire, car le sujet
est passionnant et très riche, et il concerne énormément de gens.

Je
ne pouvais pas imaginer que l’autocensure, voire la censure, étaient
si présents en France en 2007. Mais c’est une réalité.

2. Maintenant que c’est fait n’avez-vous pas peur des geôles sarkozystes en affirmant haut et fort votre amour pour la Culture Cannabis
qui pour vous n’est pas comparable aux effets devastateurs de la
Coke, de l’héroïne, du crack... ?

Je n’affirme pas "haut et fort mon amour" pour le chanvre. Si vous
dites ça, c’est que vous n’avez pas lu le livre, et le premier
chapitre en particulier, qui raconte mon expérience franchement
dramatique dans ce domaine, et précise d’aileurs que la nature de
l’addiction est bien distincte du produit qu’on consomme. La
dépendance n’est pas le fait du produit, mais du dépendant. Par
exemple 10% des buveurs d’alcool deviennent alcooliques, disons, mais
pas les autres. C’est donc qu’ils étaient prédisposés avant de boire.

Pour le chanvre, c’est pareil. C’est le résultat d’un contexte social
(non ce n’est pas génétique !). J’ai réalisé une enquête assez
complète sur le sujet du chanvre, et j’ai fait, je crois, le tour de
la question avec ce livre qui en aborde tous les aspects historiques,
thérapeutiques, culturels, juridiques, économiques, politiques etc.
Et concernant la prison, puisque vous l’évoquez, c’est en effet une
question sérieuse. La moitié de la (sur) population carcérale en
France est liée à des délits impliquant du chanvre, des jeunes en
majorité. Ça mérite réflexion. Beaucoup pensent que la prison est
plus dangereuse pour les gens que de fumer quelques joints. C’est le
sujet d’une partie du livre. Mais d’une seule partie. Car il y a
beaucoup de choses passionnantes à connaître sur cette plante.
L’histoire de la prohibition aux États-Unis est vraiment
rocambolesque et surprenante, par exemple. Les liens du chanvre avec
le jazz, le rock, le reggae… avec Baudelaire, avec Théophile Gautier…
c’est franchement passionnant…

3. Votre livre est très complet, il se propose de résumer
l’histoire secrète (les Romains par exemple en été fous, Rablais
aussi) du cannabis mais aussi son importance dans la littérature, la
musique, le cinéma...
Peut-on dire que l’Art en général aurait beaucoup souffert de la
non existence de cette substance qui fait couler tant d’encre et
procure à la fois tant de plaisir à certains artistes sauf Michel
Sardou ?

Je ne tire pas personnellement de conclusions sur la question de
l’importance que le chanvre a joué dans l’inspiration des artistes au
fil des siècles. Il est évident qu’il a joué un rôle très important.
Mais je préfère par exemple laisser la parole à Malraux, fameux
ministre de la culture français, et publier ce qu’il a écrit sur
cette question - ainsi que ce qu’en a écrit sa femme.

Ou donner la
parole à Louis Armstrong, qui parle de son arrestation et de sa
consommation dans mon livre "Cultures Cannabis". Mon but est
culturel. Trop d’ignorance, voilà le drame de l’humanité. Le chanvre
n’échappe pas à la règle !


4. "Cultures Cannabis" ne tombe jamais dans le prosélytisme c’est
plutôt un livre en forme d’hymne à la liberté ?

En matière de stupéfiants, le prosélytisme est interdit par la loi
française, et il n’est pas question pour moi de violer ostensiblement
la loi.

Mais mon expérience personnelle de l’addiction, que je raconte dans
le livre, ne m’incite pas plus à être prosélyte. Cependant il
apparaît que la loi actuelle sur le chanvre est complètement inepte.
C’est en tout cas ce que m’en ont dit la majorité des candidats aux
présidentielles, à qui j’ai demandé leur position pour le livre. La
plupart des professionnels s’accordent à dire que la loi est à la
fois incitative, injuste, appliquée inégalement, et contre-productive
d’une manière générale. Ils se trouve que la plupart d’entre eux va
dans ce sens. Mais pas tous. Mon rôle d’enquêteur a été de donner la
parole aux différents avis, et notamment de présenter les
propositions des différents partis sur ce thème. Quant à votre
question sur "l’hymne à la liberté", je vous renvoie à un texte
fondateur de la république française :

« La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »

Article 4 de la déclaration des droits de l’Homme.

5. La prohibition depuis toujours exercée envers le cannabis a
t’elle participé à sa gloire, à son succès mondial ?

Il me semble clair que la prohibition est incitative. J’explique dans
"Culture Cannabis" qu’en France la consommation de chanvre est devenu
un rite de passage à l’âge adulte pour beaucoup de jeunes. Pour
beaucoup d’entre eux, réprimer la consommation et sa distribution a
pour conséquence le discrédit de l’autorité de l’état, et avec lui
celui des institutions. C’est une conséquence sérieuse, c’est le
moins qu’on puisse dire dans un pays en proie à des émeutes
récurrentes. D’autre part le déconditionnement des idées qu’il
contribue à opérer en a fait un symbole de la rebellion, c’est clair
et net. Les Beatles, Bob Marley et tant d’autres en ont fait un
symbole de l’anticonformisme. Le chanvre est donc lié à l’histoire de
la révolte adolescente depuis au moins les années 1930. C’est ce que
je détaille dans le livre.

En gros légaliser le Cannabis, ne le banaliserait-il pas et ne
reduirait-il pas son impact ?

Je n’en sais rien. Je ne crois pas. Je crois surtout qu’une loi plus
juste éviterait la prison à des dizaines de milliers de personnes en
France. Et dans plusieurs pays, la prison à vie (comme pour le
Français Michaël Blanc en Indonésie) ou la peine de mort pour tant
d’autres. Les propositions de Malek Boutih au Parti Socialiste sont
les plus progressistes et les plus élaborées que j’ai recueillies.
Comme les autres, elles méritent d’être lues. Mais mon livre ne parle
pas seulement de l’aspect répressif/juridique/politique, qu’il
explique. Il parle aussi de l’antiquité, de cinéma, de la naissance
du taoïsme, je ne sais pas, moi, de l’histoire des évasions de
l’humanité. C’est très vaste. Ce n’est pas un livre sur la
légalisation, qui n’est qu’un des aspects de la question. Vous n’avez
pas besoin d’être pour ou contre pour aimer ce livre.

6. Vous avez cherché à avoir les positions exactes des candidats à
la présidentielle 2007 et finalement vous avez eu très peu de
réponses vraiment officielles et définitives...?

Seuls trois candidats ne m’ont pas répondu directement, mais
leurs partis m’ont rappelé les déclarations passées de leur candidat.
Je raconte donc aussi le parcours de leurs atermoiements. Les autres
m’ont répondu. Ou ont fait répondre leurs proches. Ou bien m’ont
donné un communiqué officiel. Les positions sont toutes extrêmement
claires et détaillées.

7. Votre livre fait un parfait tour de la question et après l’avoir
lu on se dit que le Cannabis est finalement un enjeu sociétal
majeur, c’est sans doute pour cela qu’il est tant caricaturé ou
diabolisé non ?

Le chanvre est en effet un enjeu majeur. Il faut bien le comprendre.
Et les réflexions qu’il engendre dans la société ne sont pas du tout
à la hauteur de l’enjeu qu’il représente, oui, je le pense.
Mais je crois que le fait que les consommateurs soient caricaturés,
et parfois diabolisés, est la conséquence d’une mauvaise connaissance
de la question, pas du fait que ce soit un enjeu important.

8. Le Haschich est aujourd’hui reconnu comme un produit médical à
part entière qui est de plus en plus utilisé dans le traitement de
pathologies lourdes, peut-on imaginer que dès aujourd’hui on n’ose
pas révéler tous les bienfaits du joint de peur de faire augmenter
une consommation qui ne fait pas rentrer beaucoup de sous dans les
caisses de l’Etat ?

Sur l’aspect thérapeutique et la santé publique, le fait que la
distribution du chanvre ne soit pas contrôlée par l’état a des
conséquences sérieuses. La loi ne permet pas de taxer les
distributeurs, et elle laisse les profits à des truands. C’est un
aspect de la question. Mais on peut ausi considérer qu’un ado sur
deux en consomme régulièrement alors que sa qualité, sa puissance, sa
pureté ne sont absolument pas contrôlés. Ce n’est pas rien : On
pinaille sur la sécurité des jouets en harcelant les fabricants avec
des normes, mais en même temps des millions de jeunes fument un
psychotrope puissant sur lequel il n’y a aucun contrôle sanitaire.
C’est assez surprenant quand on y pense, mais c’est une réalité. Ce
n’est pas très sérieux, quand même.

D’autre part, les applications thérapeutiques sont illégales ou
impossibles en raison de la loi actuelle alors que, comme mon livre
le détaille, elles sont avérées et pourraient épargner beaucoup de
souffrances. Pourtant rendre légal les applications thérapeutiques ne
signifierait pas pour autant la vente libre du chanvre. La morphine
est utilisée en médecine, elle n’est pas pour autant en vente libre.

Quant aux supposés "bienfaits du joint" que vous évoquez, ils n’ont
pas de rapport avec les questions médicales, qui concernent des
malades, et pas des consommateurs "récréatifs" !

Rendre légal la
consommation à des fins récréatives ne signifierait d’ailleurs pas
forcément la vente libre dans les magasins de bonbons fréquentés par
les écoliers. On pourrait imaginer, comme pour l’alcool ou le tabac,
une distribution limitée à certains lieux. C’est ce que m’ont dit des
professionnels ; je ne fais que leur donner la parole.

9. Je vous laisse le mot de la fin cher BB !!

Ce livre est instructif, riche, amusant et intéressant, pour tout
savoir sur le cannabis sativa : son histoire secrète depuis
l’Antiquité jusqu’à la naissance du taoïsme ou du mouvement rasta, en
passant par le club des haschichins fréquenté par Baudelaire, Hugo,
Balzac et Gautier, mais aussi son idylle avec le jazz, le rock, le
reggae, le hip hop… et l’incroyable saga de sa prohibition.

Pour découvrir la plante, sa culture, les rituels millénaires, le
lexique, les DVD, les livres, et une somme d’applications
thérapeutiques aussi étonnantes que cachées.

Pour comprendre l’addiction, la désintoxication, le trafic, la loi,
la surpopulation carcérale en France, les positions de chacun des
candidats à la présidentielle de 2007, interrogés un par un pour ce
livre. Des faits, du sens, des chiffres, des anecdotes, du recul. Des
informations sérieuses et dépassionnées pour comprendre pourquoi dix
millions de Français y ont goûté et pourquoi un ado sur deux en fume
régulièrement.

Vous n’avez pas besoin d’être pour ou contre pour aimer ce livre !

"Cultures Cannabis", Bruno Blum, préface de Gilles Verlan, Edistions Scali