Lettre à Jules

Lettre à Jules

En attendant le deuxième tome de De Mémoire*, lisons les autres livres de Jann-Marc Rouillan parus notamment aux éditions Agone. Commençons par la passionnante Lettre à Jules.

Jules, c’est celui de la célèbre « bande à Bonnot ». Dernier domicile connu : garage automobile, rue Jules-Vallès 94600 Choisy-le-Roi. La police a en effet dynamité Jules Bonnot dans une planque située entre les rues Vallès, Bakounine et Louise-Michel… Curieux télescopage. C’était en 1912.

Autant dire que Jann-Marc Rouillan a peu de chance de voir son courrier aboutir. Et pourtant. Malgré le temps passé entre des époques séparées par deux guerres mondiales et pas mal de péripéties, on jurerait que les deux compères furent copains comme larrons en foire. Accompagné par quelques vers de Léo Ferré, Rouillan revient sur des souvenirs sans âge. Des souvenirs de révoltés qui transcendent les siècles. Des souvenirs de mutins qui rappellent que la guerre sociale se moque des ans et des frontières.

Jann-Marc Rouillan s’arrête sur les années espagnoles, celles du Movimiento iberico de liberacion (MIL), de la Confederacion national del trabajo (CNT), de la lutte antifranquiste, des attaques de banques pour financer la résistance… Comme des alchimistes, les guérilleros changeaient le pognon en blé. Les récoltes étaient plutôt bonnes. Avant de repartir à bord de leur Renault 8 bleu pétrole (adieu les De-Dion-Bouton), ils arrachaient les portraits du Généralissime pour les piétiner. Franco la muerte, basta !

Espagne toujours avec le second texte de l’ouvrage. Les voyages extraordinaires des enfants de l’Extérieur a été écrit en août 2003 pour la CNT du Gard à l’occasion de la commémoration de l’exécution de Joaquin Delgado et Francisco Granado, deux militants cénétistes garrotés le 17 août 1963 après un procès truqué (voir Le Garrot pour deux innocents, éditions CNT-RP). Outre les « Sacco et Vanzetti » espagnols, de nombreux morts hantent les pages.

Enfin, Rouillan nous livre des Chroniques carcérales. Certains les auront déjà lues dans L’Envolée ou sur Internet. Avec cette partie, nous revenons sèchement à une autre brutalité. Celle des prisons françaises d’aujourd’hui, véritables « éliminatoriums ». Sans concession (sauf « aux vieux cons de l’Académie et à leurs flicaillons des corrections »), Rouillan passe en revue l’exploitation carcérale, la peine de mort lente infligée aux malades et aux détenus âgés, les réformes sécuritaires qui font la guerre aux jeunes et aux pauvres. Il y en a pour tout le monde. Politiciens, médias, matons, éducateurs…

Lettre à Jules est tout simplement un livre superbe. Sans aigreur militante pesante, sans langue de bois ni slogans stéréotypés, nous ne sommes pas dans le registre « livre de taulard ». Rouillan n’aimerait peut-être pas qu’on le traite d’écrivain. Nous savons lire le fond, mais cela ne nous empêche pas d’être frappés par la forme. Dans un style puissant, Rouillan nous titille les méninges et les tripes. Des virées avec son ami Salvador Puig Antich (anarchiste espagnol garroté en 1974) au statut de prisonnier surexploité qui coud des uniformes de maton, que de heurts et de malheurs.
Malicieusement, Rouillan a encore la force de nous envoyer l’air d’un « Ça ira » qui rappelle la chute d’une prison réputée imprenable…

Jann-Marc Rouillan, Lettres à Jules, éditions Agone (collection Mémoires sociales), 114 pages. 12 euros.

*De Mémoire sur Le Mague