Nur, une parenthèse orientale

Nur, une parenthèse orientale

Quand la vie s’arrête le temps d’une passion il arrive que le monde s’ouvre à vous, un peu comme un acteur qui n’aurait pas compris que la pièce est finie et qui continuerait à interpréter son rôle en dehors de la scène … Avec peu de mots mais une réelle sublimation de la pensée, Arnaud Rykner nous offre une pause romantique d’une rare beauté.

Un homme est en mission, quelque part dans un pays d’Orient qui aurait pu être Beyrouth tant le brassage des deux cultures s’imprime dans le décor, mais les kamikazes n’y ont pas encore répandu leur aveuglante haine mortifère ; alors on se dit que cela pourrait bien être l’Algérie d’autant qu’à la fin, un désert de pierres aux grottes tatouées rappelle sans nul doute les plateaux du Hoggar … Mais cela n’a aucune importance car le décor n’est que prétexte, une simple mesure de temps pour marquer l’action, cette rencontre improbable dans une foule entre un homme et une femme, cette alchimie qui s’enracine en eux au point de les pousser vers une chambre pour se donner l’un à l’autre dans une transe jubilatoire …

Ils se parlent peu, lui ne possédant pas sa langue à elle, elle ne comprenant que peu de mots de sa langue à lui, alors ils se regardent, et les regards parlent pour eux, et leurs mains aussi, ce toucher qui naît caresse pour finir rudesse, ces mots qui ne sortent pas d’une bouche non muette mais dévoreuse de chairs, gourmande de rondeurs et d’humeurs, coquine et amoureuse qui donnera matière au chant puis au cri de la jouissance affirmée, martelée, cristallisée dans l’éther au diapason d’une musique de nuit qui se joue surtout le jour …

Il a cru comprendre qu’elle se nommait Nour, en arabe, cela veut dire lumière ; mais lui comprend Nur, qui en allemand signifie seulement. "Seulement quoi ? tu ne le sais pas. Seulement elle, seulement son corps. Seulement son corps enfermé dans cette chambre. Ou toi enfermé dans son corps. Nur. Seulement ça. Tout. Rien. Seulement maintenant." … Seulement du plaisir, écrit au millimètre, du plaisir de lire le plaisir dans un grand vent de lumière.

Arnaud Rykner, à qui l’on doit des essais, des éditions critiques (Corti, Seuil, Gallimard) et trois romans (Rouergue) mais aussi d’avoir publié le théâtre de Nathalie Sarraute dans la Pléiade et quelques mises en scène sur des textes de Cocteau, Sarraute ou Maeterlinck, parvient, dès la première page, à nous happer dans son tourbillon d’amour et de sexe au point que l’on lira d’une seule traite ce court roman d’une rare intensité.

Arnaud Ryknet, Nur, coll. "la brune", Editions du Rouergue, mars 2007, 60 p. – 8,00 €