Le Tour de France a jauni (bouclez-la !)

Le Tour de France a jauni (bouclez-la !)

Oh ! le sujet est tabou !
Le Tour de France et Johnny sont la quintessence de la Gaule éternelle (qui n’est pas celle de Péguy ainsi qu’on le raconte encore dans les cénacles politico-littéraires), du consensus à large spectre, de hello au effhène, en même temps que des affaires juteuses, alors, pas touche et chapeau bas ! si en penser du mal est impensable, n’en pas penser que du bien frise derechef l’intolérable !

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Et tombe l’anathème : c’est bien simple, si tu n’aimes pas les matières symboliquement opiacées auxquelles s’adonne le peuple, c’est que tu n’aimes pas le peuple !
N’empêche, vous n’en avez pas marre ?

Tout petit déjà, les rois de la pédale qui explosaient leur cœur dopé sur les pentes du Ventoux et le blondin à banane qui s’égosillait en « keueueu jeu taimeueueu » vous prenaient légèrement la tête, d’autant qu’à l’orée des années soixante la zapette ne comptait que deux boutons pour la téloche et trois ou quatre pour la radio, comprenez qu’il fallait être aveugle et sourd, ce qui n’a rien de rigolo, pour échapper à la petite reine et au rockeur du Golf (Drouot, pas clair), alors maintenant que vous êtes grand, voire presque vieux, le duo vélo-Jojo ne vous atterre plus seulement, il vous fatigue …
Mais bon ! on se disait, sérieux sinon serein, que tout ce cirque n’aurait qu’un temps, que l’homme, cet aventurier, avait trop à cœur de défricher de nouvelles terres pour s’abîmer longtemps dans la contemplation de mollets musclés comme dans le répertoire un tantinet limité du nouveau Maurice Chevalier : demain serait un jour nouveau, on se passionnerait l’été pour des concours de ticheurts mouillés sur des poitrines botticelliennes et on écouterait la musique qu’on veut plutôt que celle qu’il aimeueueu (oui, celle qui vient du blouze ! vous avez gagné l’intégrale de Mireille Mathieu, le Smet féminin, dont plus personne ne veut, on se demande pourquoi) …

On se berçait de l’illusion du renouveau … Erreur ! funeste erreur !

40 berges plus tard, ils sont toujours là (Jean-Phi avait d’ailleurs prévenu, mais on ne voulait pas le croire), un petit pois dans la tronche, le reste dans le jarret ou dans les cordes vocales, à faire se pâmer une ixième génération de bovins jamais rassasiés de voir défiler toujours les mêmes trains au même endroit au son du même sifflet !
Pourquoi une telle pérennité ? parce que ce qui dure rassure ? sans doute … sans doute … Le péquin moyen réclame des repères fiables figés dans l’espace mais défiant le temps qui lui permettent de se sentir éternel quoique passé des langes aux pantoufles de feutre, toujours jeune quoique cacochyme vieillard …

L’éternel recommencement d’un événement ou d’un personnage vulgaire promu au rang du mythe tisse entre le papy et le baby une histoire commune, laquelle histoire fournit le ciment de la nation tout en nourrissant son inconscient présumé collectif tandis que l’analyse de tout ceci fait les épinards des socio-psys et la maîtrise de tout cela le beurre des épiciers de la presse ou du commerce.

Mais ne pourrait-on avoir, rien qu’un instant, une pensée émue pour les esthètes anxieux que la récurrence tétanise, que la répétition ennuie, que le spectacle de la souffrance des damnés du guidon (et en avant les clichés !) n’excite plus depuis longtemps pendant que celle que leur inflige le réciteur officiel du Bottin ne leur est épargnée qu’au prix de l’exil ?

A-t-on le droit de cracher un peu dans la bonne soupe en suggérant que cette France de Jojo et de Poupou, de l’Equipe et de Match, des caravanes publicitaires, des records aussi inutiles que bidonnés, des couplets kitsch flatte-bourrins, du pastaga et du Rilsan, des sportifs et des bickeurs à pneus sur le bide n’est pas la nôtre ?