Christophe Ferré : "Avé César, ceux qui vont mourir te saluent !"

 Christophe Ferré : "Avé César, ceux qui vont mourir te saluent !"

Christophe Ferré est l’auteur de "L’année du sang" (Editions Scali), un roman prémonitoire qui raconte en détail l’Avènement d’une Dictature en France. En plus d’une critique déjà publiée sur "Le Mague", j’ai voulu poser quelques questions à son auteur car il m’a semblé qu’à quelques jours du vote pour les présidentielles sa voix forte et sans concessions méritait d’être entendue au même titre que les candidats.... la voix d’un artiste-citoyen sensible qui a peut-être vu les choses avant tout le monde !

1. Christophe Ferré, actuellement nous sommes à peu près dans la même temporalité que votre roman L’année du sang, c’est-à-dire à quelques jours du premier tour d’une élection présidentielle en France, où le pays pourrait tomber une nouvelle fois dans l’extrémisme...
Je suppose que c’est une période importante pour vous qui êtes un observateur sensible et averti... à l’affût...

L’élection présidentielle, plus que toute autre, révèle les évolutions idéologiques de la société française. Actuellement, l’électorat bascule vers l’extrême droite : les sans-papiers, les pauvres, les chômeurs, les malades sont violemment agressés. Ce sont des boucs émissaires, comme on dit, considérés comme responsables, y compris au sein des partis jusque-là démocratiques, de la faillite du système français. Le peuple a soif d’un ordre nouveau ! Ce basculement est très grave. Nous sommes dans l’antichambre d’un système délirant... Mon roman décrit l’avènement d’une dictature en France, mais attention : elle est d’un genre inédit. Je crains que ce livre ne soit prémonitoire.

2. Comme de plus en plus d’intellectuels, vous êtes révolté par l’état de nos médias – qui vous le rendent bien car on parle trop peu de votre livre. Que pouvez-vous nous dire sur une certaine "nomenklatura vieillissante qui copine (et baise) avec le pouvoir politique, à l’exception de quelques journalistes"...

A la grande époque soviétique, la nomenklatura était endogame. Rien n’a changé : la plupart des journalistes français copinent avec d’autres journalistes, qui copinent avec des hommes politiques, qui copinent avec les milieux d’affaires, qui copinent avec des journalistes, etc. Le phénomène concerne aussi bien les titres dits de « gauche » que de « droite ». En France, à quelques exceptions près, les médias d’opinion ont disparu. Ils sont remplacés par des catalogues de publicités. Le plus grave, c’est qu’une majorité de journalistes s’érigent en penseurs éclairés, alors que ce sont de pathétiques marionnettes.

Depuis que L’année du sang est sorti, certains journalistes me disent : « Ton roman, c’est un pavé dans la mare, il est fascinant. » Je m’attends à un long article, et rien ! Ils m’avouent, gênés, que le rédacteur en chef s’oppose à la publication de l’article. La censure a changé de place, elle est en amont : les rédacteurs en chef s’autocensurent, et du coup on assiste au boycott médiatique – pire qu’un lynchage – du livre le plus brûlant de cette campagne. Qu’est devenue la fameuse liberté de la presse ? Et comment un homme libre peut-il être encore journaliste ? Heureusement, il existe des exceptions, mais elles sont de plus en plus rares


3. Les vrais terrains de liberté pour des individus qui disent "non" semblent être le net et le terrain romanesque. C’est pour cela que vous avez choisi de faire un roman plutôt qu’un essai critique sur la politique française ?

Quand j’étais étudiant, je voulais être journaliste, et j’ai écrit quelques articles. Mais je me suis aperçu très vite qu’on ne pouvait pas défendre « ses » idées : on me demandait de développer des dépêches de l’AFP ou de rédiger des articles à l’eau de vaisselle. Alors je me suis tourné vers le roman. Si je n’ai pas écrit d’essai, c’est que mon genre de prédilection, jusque-là, c’est le roman.

Certaines maisons d’éditions restent libres et j’espère qu’elles vont le rester. Mais il faut être attentif, la confiscation des libertés est subtile. J’ai mis ça en scène dans L’année du sang : certains de mes lecteurs ne s’étaient pas rendu compte que la liberté était piétinée. Comme quoi, nous sommes réellement endoctrinés.

Le net est un média d’opinion, c’est l’avenir de la liberté, votre site en est un exemple vivant. Même le régime chinois a du mal à censurer internet. Ce fou furieux de Saddam Hussein, quant à lui, l’avait carrément interdit en Irak !


4. Comment vous est venue cette incroyable bonne idée pleine de sens de faire de vos "héros" de fiction des individus à noms d’oiseaux, beaux et/ou inquiétants ?

Dans L’année du sang, je ne cite personne, en dehors de personnages historiques, tous morts. Lors d’un premier jet, j’avais été plus explicite, et Milan Kundera comme Frédéric Beigbeder m’ont dit qu’il serait plus intéressant, plus littéraire, d’être moins direct. J’ai pensé alors à La Fontaine, que j’admire énormément. Pourquoi des oiseaux ? Car l’oiseau est un animal magnifique et inquiétant, tellement proche et tellement différent de nous.

5. Dans votre roman, vous faites le parallèle avec la situation politique française à plus ou moins longue échéance qui versera dans la plus dure des radicalités et le nazisme, la dictature. On va vous taxer de faire des raccourcis faciles, d’exagération, d’exaltation idéaliste. Doit-on vraiment avoir peur à ce point d’un changement brutal comme celui qui est narré dans votre roman ? Est-ce un roman prémonitoire ?

Dans L’année du sang, je ne fais aucun parallèle entre le nazisme et la situation actuelle. J’ai écrit que le nazisme ne pouvait pas revenir, heureusement. Mais le nazisme a succédé à une démocratie insouciante qui n’a rien vu arriver, dans l’un des pays les plus cultivés du monde…

L’être humain a énormément d’imagination. La nouvelle dictature sera totalement inédite. Certains lecteurs étaient sceptiques avant de me lire. En le refermant, la plupart d’entre eux étaient convaincus, hélas. Si on ne fait pas attention, ce qui est écrit dans ce roman se réalisera. L’écrivain est un voyant, il lit dans l’inconscient des peuples avant tout le monde. Un romancier a raconté les attentats du Onze-Septembre quelques années plus tôt, alors que le Pentagone et les journalistes n’ont pas compris ce qui s’annonçait…


6. On assiste à une montée de la censure, une réduction des libertés individuelles, une résurgence de la langue de bois et à un retour d’un climat sécuritaire et violent. Quels sont, selon vous, les moyens que nous avons de lutter contre cette lepénisation des esprits ?

Le Pen est un épiphénomène. Il est le reflet de ce que ressentent confusément des millions de Français. Les raisons sont multiples : transformation accélérée des techniques et des modes de production, disparition des religions et des idéologies traditionnelles, chômage ancré dans le paysage social… Mais le vrai danger est ailleurs. Il est plus global et moins voyant. Le Pen est un épouvantail, la presse se déchaîne contre lui car il n’a aucune chance d’être élu. Ce que vous appelez la « lepénisation des esprits » est partout. Il n’y a pas de recette miracle pour lutter contre elle. Moi j’utilise l’écriture, et chaque jour je refuse de faire des concessions, mêmes minimes. Comme le dit Albert Camus, chacun doit agir au niveau qui est le sien : présenter spontanément ses papiers à des policiers qui ne contrôlent que les garçons basanés, par exemple.

7. Vous êtes un écrivain engagé, militant, vous avez une voix forte et beaucoup de conviction, est-ce que cela vous isole du monde médiatique ou celui des lettres ? Payez-vous cher cette liberté de ton ?

L’année du sang provoque des réactions tantôt hostiles, tantôt enthousiastes. C’est bon signe. « Ton livre est d’une brûlante actualité », m’a dit la directrice d’une grande maison d’édition. Dans mes écrits comme dans ma vie, je n’hésite pas à dire ce que je pense, parfois avec une certaine violence. Je ne copine pas avec la propagande officielle. Je suis un homme libre, sans poste à défendre ou à conquérir. C’est devenu rare.

8. J’ai lu un très beau texte de vous sur Dewaere dans la Revue "Bordel" où vous dites de manière très poétique qu’il "sentait la mort" dans ces derniers films...

Contrairement à moi, Patrick Dewaere était un homme désespéré. Sa vie était sans issue. Sa dépression le noyait, il en est mort. Son talent était au service de son désespoir. Moi, je crois en une certaine forme de bonheur, c’est toute la différence.

9. Si vous aviez un empire Christophe Ferré, qu’en feriez-vous ?

Très belle question. Si j’avais un empire, j’y déclarerais tous les caprices, toutes les créations possibles, à condition de ne pas nuire à ses voisins. Aujourd’hui en France, l’homme est enfermé dans le conformisme, il étouffe. La société actuelle, du fait de la propagande et de l’uniformisation des esprits, est l’une des plus tristes de l’Histoire. Le plaisir est synonyme de consommation. C’est minable. Les individus sont frustrés. N’importe quel agitateur peut les réveiller, les manipuler et les plonger dans l’abyme et les massacres. Oui au raffinement des plaisirs singuliers. Non à l’ennui, ou pire, à l’hystérie de masse.


10. Je vous laisse le mot de la fin... cher Christophe.

Quelle que soit votre sensibilité politique, n’oubliez jamais que la démocratie est un accident de l’Histoire. La démocratie française, si l’on ne réagit pas, va disparaître. Demain, ne venez pas pleurnicher en disant qu’on ne vous avait pas prévenus.


"L’année sang", Christophe Ferré, Editions Scali

Photo : Olivier Roller

Photo : Olivier Roller