En 1980, James Dean était Noir

A le voir déambuler dans New-York à l’aube des années ’80, beau dandy black en pardessus de laine, des restes d’enfance accrochés au visage, à la surface des yeux doux et bons, on se dit que Jimmy est revenu d’entre les morts avec ce qu’il faut de changements pour coller à cette époque ironiquement surannée du no future : le voilà donc Noir, peintre de rue et affublé d’un bizarre nom bien français pour un Américain, Jean-Michel Basquiat.

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Le remarquable film Downtown 81 (en VO intégrale, le comble du snobisme) que propose le Musée Maillol nous découvre le plasticien le plus emblématique de la nouvelle avant-garde américaine en cicérone de la scène alternative new-yorkaise du tout frais after punk, graffiteur ou tagueur, comme on veut, évoluant parmi les siens au milieu des groupes de rock progressif, de jazz intello, de salsa revisitée.

L’image, souvent nocturne, toute de bleus et d’ocres, un peu floue parfois à force de grain, est superbe, comme Basquiat en prince adolescent des nuits de Soho et tous ceux qui l’entourent, jeunes gens plus doués pour l’art et la défonce que pour le business dont le générique dresse le mémorial.

La peinture de Basquiat, un va-et-vient entre un expressionnisme violent à base de couleurs saturées -oui, le noir est une couleur- remplissant la toile de démons grimaçants échappés du vaudou des origines paternelles, de figures symboliques de la culture afro-américaine ou de l’artiste lui-même, la bouche grillagée plutôt que dentée, et un surréalisme nonchalant, régressif, quand quelques touches de jaune, un coulis de rouge réhaussent la monotonie de pages de croquis collés à même la toile trop grande, évoque l’ambivalence d’un créateur écartelé entre recherche et spontanéité, acharnement et laisser-aller, anonymat du barbouilleur de palissades qui n’a de comptes à rendre qu’à soi-même et célébrité dont on attend qu’il se surpasse pour surprendre à chaque nouveau vernissage.

Profondément angoissée, infiniment consciente de notre précarité de vivants, à commencer par celle de son auteur, cette peinture nous tire par l’œil pour nous garder un peu dans l’exigence de son stress et on s’aperçoit, inquiets, qu’on ne peut pas s’en tirer en ne voyant en Basquiat qu’un « naïf » ou un « ethnique », avec tout ce que cela suggère de fraîcheur mais aussi de limites, exagérement grandi hier par l’habile marketing warholien, aujourd’hui encore par cette fin tragique à vingt-huit ans, de celle qui, en ne donnant pas à voir les bourgeois qu’ils deviendront, fige les poètes dans le génie de leur jeunesse.

Il connaîtra sans doute un purgatoire, d’ailleurs peut-être s’y trouve-t-il déjà, car l’exposition* que lui consacre la Fondation Dina Vierny ne semble pas attirer les foules comme le fit celle de Modigliani au Sénat, mais on peut tout de même gager qu’à terme au paradis des artistes, des vrais, quelque part entre Dean et Rimbaud, une place lui est acquise …

* jusqu’au 23 octobre au Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, Paris 7ème

* jusqu’au 23 octobre au Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, Paris 7ème