La fosse aux artistes

La fosse aux artistes

Rarement les médias ont autant évoqué la situation des intermittents du spectacle. Suite à l’accord signé par le MEDEF et trois syndicats (CFDT, CFTC, CGC, minoritaires) remodelant leur régime, la panique s’empare des festivals avec l’incertitude qu’une bonne partie d’entre eux puissent se dérouler (déjà, certains ont été suspendus et concernant le plus célèbre d’entre eux, Avignon, la menace se fait de plus en plus pressante). Ainsi, c’est à FO, la CGT (majoritaire) et nombre de coordinations locales que l’on doit ce tohu-bohu, avec la maigre espérance que le gouvernement refusera d’agréer les modalités définis par les partenaires sociaux.

Quelle est la ou les raison(s) de ce ressentiment ? Au sujet de l’accord, c’est, avant tout, sur le raccourcissement de la durée des indemnisations où porte l’inextricable divergence : passant de douze à huit mois, cela précarise d’autant plus un milieu déjà connu pour son extrême fragilité. Auparavant, trois mois de travail donnaient le droit à une année pleine d’indemnisation. Si le dispositif passe, un tel cas de figure ne pourra plus se produire. Si, à l’instar du patron du MEDEF, Ernest Antoine-Sellière, on estime que les créateurs sont des "privilégiés" (sic), on ne trouvera rien de choquant à cet ersatz de réforme qui permettrait de limiter le déficit de l’UNEDIC (ce dernier ayant pris des proportions inquiétantes [3.7 milliards d’euros dont plus de 700 millions concernant le chapitre de l’intermittence en 2002], la perpétuelle augmentation du nombre d’inscrits depuis le début des années 90, est désignée comme l’une des causes du problème) mais cela relèverait d’une profonde méconnaissance des enjeux.

Comme indiqué ci-dessus, la plupart des intermittents peine à trouver des engagements et surtout, ces derniers varient énormément selon la saisonnalité. Pour beaucoup d’artistes et de techniciens de l’audiovisuel et du spectacle, il n’est pas rare que les opportunités se dévoilent au compte-goutte et qu’ils restent sans travail pendant une période prolongée de plusieurs mois ou excédant l’année. Selon Jean Voirin, secrétaire général de la Fédération des syndicats CGT du spectacle, si l’accord reste tel que défini par le MEDEF et les trois syndicats signataires, cela mettrait plus de 30% de la profession sur le carreau ou du moins, les obligeant à prendre un job en parallèle pour continuer à vivre de leur passion première.

Ceci dit, est-ce que la grève générale et les actions coups de poing consistant à entraver le déroulement de la plupart des grands festivals de l’été, sont une bonne méthode pour obliger le gouvernement à ne pas entériner les changements du régime spécifique aux intermittents ?
Ariane Mouchkine, directrice du Théâtre du Soleil, en doute.

Pour elle, le manque à gagner ne peut qu’endommager la viabilité future de ces mêmes festivals et mettre en danger les petites compagnies qui devaient s’exprimer lors de ces manifestations culturelles. Toujours selon Mouchkine, la prise de parole directe avec le public, aurait un effet largement plus positif sur leurs revendications. Car au-delà du maintien du régime qui prévalait jusqu’à la signature de l’accord le 27 juin dernier, elle pointe un problème de fond encore plus grave, c’est le mal-vivre de la profession dont elle renvoie la principale responsabilité à l’Etat. En effet, que propose le ministère de la Culture pour leur assurer des conditions de travail plus décentes et réduire la précarité inhérente au milieu ? Pour ainsi dire, rien. Pire, l’accord ne donne aucune alternative pour endiguer les abus des entreprises de spectacle et de chaînes privées ET publiques qui préfèrent embaucher une majorité de leurs employés au statut d’intermittent car présentant moins d’inconvénients que les contrats en CDD (contrat à durée déterminée) ou en CDI (contrat à durée indéterminée).
A force de crédits renfrognés, de passivité coupable, le gouvernement n’a fait que renforcer le ras-le-bol des gens du métier.

Jean-Jacques Aillagon qui fut déjà interpellé par Jean-Paul Tribout lors de la dernière cérémonie des Molières, au lieu de déplorer sottement la prise en otage des spectateurs par les artistes (comme si c’était de gaîté de coeur que ceux-ci renonçaient à la réalisation concrète de leur projet sur lesquels ils ont souvent investi sang et eau pendant de long mois), ferait mieux d’apporter des solutions tangibles à toutes ces questions (car jusqu’à maintenant, rarement un ministre de la Culture se sera aussi peu investi dans la défense de leur cause) au risque sinon de nuire au spectacle vivant de manière irréversible. Pour que la fosse aux artistes ne se réduise pas à une scène vide de contenu, il est impératif que les pouvoirs publics agissent dans les meilleurs délais.