Putain d’usine, le film

Putain d'usine, le film

Putain d’usine, livre « pavé-dans-la-gueule » de Jean-Pierre Levaray, est à présent un documentaire. Il passe le samedi 13 janvier, à 16h20, dans Côté Docs, sur France 3.

En 2002, les éditions L’Insomniaque sortaient un petit livre détonant, Putain d’usine. Depuis, le livre, réédité aux éditions Agone, a été plusieurs fois adapté au théâtre. En collaboration avec l’auteur, Jean-Pierre Levaray, Putain d’usine a servi de fil à Rémy Ricordeau et à Alain Pitten pour un documentaire de 52 minutes.

« Tous les jours pareils. J’arrive au boulot (même pas le travail, le boulot) et ça me tombe dessus, comme une vague de désespoir, comme un suicide, comme une petite mort, comme la brûlure de la balle sur la tempe. Un travail trop connu, une salle de contrôle écrasée sous les néons - et des collègues que, certains jours, on n’a pas envie de retrouver. (…) On fait avec, mais on ne s’habitue pas. Je dis « on » et pas « je » parce que je ne suis pas seul à avoir cet état d’esprit : on en est tous là. On en arrive à souhaiter que la boîte ferme. Oui, qu’elle délocalise, qu’elle restructure, qu’elle augmente sa productivité, qu’elle baisse ses coûts fixes. Arrêter, quoi. Qu’il n’y ait plus ce travail, qu’on soit libres. Libres, mais avec d’autres soucis. On sait que ça va arriver, on s’y attend. Comme pour le textile, les fonderies… un jour, l’industrie chimique lourde n’aura plus droit de cité en Europe. Personne ne parle de ce malaise qui touche les ouvriers qui ont dépassé la quarantaine et qui ne sont plus motivés par un travail trop longtemps fait, trop longtemps subi. Qu’il a fallu garder parce qu’il y avait la crise, le chômage, et qu’il fallait se satisfaire d’avoir ce fameux emploi, garantie pour pouvoir continuer à consommer à défaut de vivre. Personne n’en parle. Pas porteur. Les syndicats le cachent, les patrons en profitent, les sociologues d’entreprise ne s’y intéressent pas : les prolos ne sont pas vendeurs... »

Ces lignes ouvrent Putain d’usine. C’est du vécu pur jus. Jean-Pierre Levaray travaille depuis 1973 dans l’usine Grande Paroisse de Grand-Quevilly, près de Rouen. Une usine du groupe AZF, cousine de celle qui a explosé à Toulouse. Jean-Pierre mettait d’ailleurs un point final à Putain d’usine quand le drame arriva. Ce qui donna lieu à une suite nommée Après la catastrophe, également rééditée, avec l’inédit Plan social, chez Agone.

Au fil de ses livres, Levaray donne de la voix aux sans-voix, à ses collègues ouvriers. Levaray ne joue pas au journaliste ou au sociologue. C’est juste un précieux témoin qui, en plus, ce qui ne gâche rien, a un réel talent littéraire.

Avec lui, on plonge dans la morne réalité des travailleurs postés, ceux qui travaillent en 3x8 pour faire tourner des boîtes pourries où l’on perd sa vie à la gagner. La vétusté et la dangerosité des installations, les coups de blues, l’ennui, le stress, la mort, les chefs, le capitalisme, les combines et la bibine… tout est passé au scanner de ce militant CGT par ailleurs anarchiste. En refermant Putain d’usine, une petite voix intérieure hurle « A bas le salariat ! ». Et la rage nous fait serrer les poings.

Le film permet à Jean-Pierre Levaray de revenir sur des moments, heureux ou non, partagés avec ses amis. Périodes de lutte, instants volés, réflexions sur la finalité d’une vie de labeur. Au service de qui ? Au service de quoi ? La vraie vie n’est-elle pas ailleurs ? Et si la « classe fantôme », selon le titre d’un livre de Levaray, allait hanter pour de bon les nuits des exploiteurs qui pourrissent nos vies…

Putain d’usine de Jean-Pierre Levaray, éditions Agone

A lire également de Jean-Pierre Levaray, Une année ordinaire – Journal d’un prolo, aux éditions Libertaires.

Putain d’usine de Jean-Pierre Levaray, éditions Agone

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