Aller simple pour Dakar (A propos de décibel dans les dunes)

Aller simple pour Dakar (A propos de décibel dans les dunes)

Je m’appelle François Gay-Pinson. Mon nom n’a jamais
fait la une d’aucun journal. J’espère avoir assez
chance pour ne pas tomber entre les griffes d’un
journaliste qui se repaîtrait de mes aveux pour
espérer une promotion.

Ceux-là - depuis trois années que je fais le Dakar -
je les ai côtoyé dans tous les sens. Ils sont la lie
de la profession. Des cherche merde, assoiffés de sang
qui accourent à la moindre rumeur de tonneaux, de star
au bord de la crise de nerfs, pour un démarreur qui
patine ou une bielle qui coule du nez.

Je suis garagiste. Entre Blois et Nevers, sur la route
nationale sept. Ce qui m’a amené dans ce rallye ce
n’est pas l’huile de vidange, ni le plaisir de la clé
de 14. Je vous le révélerais bientôt. Bien que je ne
sois un anonyme banal, un mauvais pilote de surcroît,
je suis de la famille. Celle qui a toute l’année les
mains dans le cambouis et qui prévient qu’elle aime
ça. Cela me donne une priorité à l’inscription. Faire
le Dakar, pour beaucoup de mes congénères, est une
sorte d’accomplissement personnel. Une reconnaissance.
Quand on a rien d’autre à offrir à la postérité, on
choisit le plus facile. Le plus médiatisé.

Je me moque de tout cela. J’essaie d’oublier la
solitude qui m’accable, depuis que ma fille et ma
femme ont été assassinées. C’est ridicule de mourir
sur une route de campagne, simplement parce qu’un con
en 4X4 s’est plafonné une 4 L toute occupée à rire à
la sortie d’un chemin de forêt. Ce con cascadait.
C’est le psy qui m’a conseillé d’exorciser ma haine,
dans une saine occupation. J’ai convoqué toute la
violence qui me bouffait la rate, toute la tristesse
qui roulait les mécaniques dans mon cour. Mad max* m’a
aidé à confectionner un engin qui lui ressemble. Ca a
tout l’air d’un proto**. Un espèce d’insecte qui se
serait adaptée au sable, vu les circonstances
ontogéniques, capable d’exploser les chronos s’il
était confié à un pro du gymkhana. Devineront-ils
jamais, ces ingénieux bricolos, que je me suis inspiré
d’un dessin de ma petite fille sur lequel elle avait
griffonné « sait la voipure de mon papa ! »

Bien sûr que je roule pour elle. Avec ma machine, on
peut grimper au ciel. Plus haut encore, là où les
anges se sont retirés du vacarme du monde.
Ma femme et moi on pensait bien que cette course est
une grande honte pour tout le monde et qu’il fallait
le dire. Mais quand on n’a pas les mots, on préfère
fermer sa gueule et s’inventer des petits poèmes de
vie très tristes.

Mais quel plaisir trouve t’il à faire beugler un
moteur de quatre litres à douze mille tours. Même pas
une once de compassion pour les bielles qui
s’affolent, ni pour les dunes qui sanglotent ? Faut-il
être une brute pour déranger le silence venu là se
retirer, méditer sur la folie du monde. Briser
l’équilibre qui maintient le monde en vie c’est se
chier dessus.

Quel manque de considération pour l’effort démesuré
d’une herbe à s’extraire de la glaise, aussitôt
écrasée par quatre pneus crantés.

Le silence, voila bien ce que je m’époumone à jurer.
Le grand silence. Celui qui tranquillisera mes nuits
agitées, noyant mes souvenirs, autrement que dans des
bouteilles de whisky à bon marché. Eux-Du-Dakar, ils
se foutent des rêveries des promeneurs solitaires.
Accélérer leur vie à coup de décibels. Beugler plus
fort que le vent de sable. Exposer leurs couilles au
soleil. Ce n’est sûrement pas le désert qui va leur
fait peur. Le silence à coup sûr.
Cette année, j’ai décidé que ce serait le dernier.
Mais le dernier pour tout le monde. Je vais mourir.
Disons que je vais sauter sur une mine. Ce qui
m’embête, c’est pour mon co-pilote qui est père de
famille. Ce con il m’appelle Pince.

- Moins vite Pince, joue pas au con Pince, double pas
là Pince. Pince putain, écoute-moi bordel ! Je suis
le seul pilote à accepter un flic comme co-pilote. Ici
on n’aime pas les condés***. Personne ne sait
pourquoi. Ce sont des conneries colportées par la
rumeur, comme si doubler un équipage féminin dans une
côte, écraser un chacal la nuit, ou pisser au vent de
l’harmattan, foutaient la scoumoune.

« Monsieur Gay-pinson vous êtes sujet à des bouffées
délirantes, arrêtez vos conneries ! M’a prévenu un
psy. » « Je suis déjà mort Doc ! »
A deux cent à l’heure sur un reg bien plat, avec
l’autre en képi qui me siffle et moi qui chiale, je
cartonne des chronos en folie. La petite m’appelle
toutes les nuits. « C’est bien là-haut papoune ! »
Accélère. J’accélère.

L’année dernière, en remontant mon buggy, je me suis
arrêté au marché aux puces de Tindouf, de l’autre côté
de la frontière Mauritanienne. J’ai acheté deux mines
anti-char. Au kilomètre 243 entre Tidjikja et Tichitt,
je les ai enterrées. Un cadeau pour les chroniqueurs.

Mais cette fois-ci, je vais leur donner raison. Rien
de tel qu’un attentat pour réveiller les consciences.
Les passions. Ca m’a pris une année à visionner des
films d’espionnage, des thrillers américains. Je peux
vous dire que côté scénarii, les ricains sont
balaises ! D’ailleurs pour vous dire que je ne raconte
pas des conneries, de mon scénario, ils vont en faire
un sacré bon film.Je viens de signer !

La dépression dont je souffre, cet à quoi bon
gigantesque qui ne me lâche plus ni le jour, ni la
nuit va s’achever. A force de chercher une raison
d’exister, j’ai fini par ne plus en trouver. Sauter
sur une mine. La seule qui ait du sens. Un sens unique
vers le haut.

J’ai assez vu le regard désabusé des nomades au bord
de la piste. La haine derrière leur sourire. J’ai erré
à la recherche du sommeil, dans les bivouacs les
lendemains de fêtes. J’ai vu des femmes violées
sangloter dans les campements. J’ai entendu des tas
d’insanités qu’on se balance pour faire les hommes. Le
vent du soir apporte tant de mauvaises pensées. Tout
ce fric qui circule de main en main pour apaiser les
mauvaises consciences.

Acheter l’apaisement.
Demain je serais le premier à m’élancer dans la
spéciale entre Tenzet et Tichitt. Quand ma roue gauche
va actionner la mise à feu de la première mine, la
deuxième reliée par un fil électrique va éclater sous
le châssis arrière pour finir le boulot.

C’est ce con à coté de moi qui me tracasse. Va falloir
que j’invente une connerie, pour qu’il dégage trois
minutes avant. « Va donc vérifier si je n’ai pas perdu
un boulon sur la piste ducon ? » Un flic, c’est
toujours aux ordres. Ce taré il m’a fait une
confidence. Il veut être heureux ! Etre heureux. Il a
choisi le Dakar. Il mériterait de m’accompagner au
paradis des connards...

Demain je serais délivré de ma peine. Le monde du
Dakar. Mon co-pilote d’une passion trop risquée pour
un père de famille.

BOUM ! Boum... Silence.

*Mad max : Héros de film d’anticipation
**proto : Diminutif de prototype
***condés : Flics

*Mad max : Héros de film d’anticipation
**proto : Diminutif de prototype
***condés : Flics