Interview : Janine Mossuz-Lavau

Interview : Janine Mossuz-Lavau

Janine Mossuz-Lavau est directrice de recherche CNRS au CEVIPOF, Centre de recherches politiques de Sciences Po. Loin des clichés de l’intello "qui ne comprend pas le réel", Janine s’intéresse à ce qui fait le coeur de la vie, qu’il s’agisse d’amour, de sexualité, ou d’argent. Avec finesse et intelligence, elle a donc étudié la vie sexuelle en France et a donné libre cours à sa fibre artistique en écrivant des romans, plus personnels (quoique fictionnels) où elle montre que l’on peut s’éloigner de la norme et rester très humaine, optimiste et humaniste.
Interview d’une femme créatrice, imaginative, qui ne se laisse pas enfermer par les idées toutes faites.

Janine Mossuz-Lavau, bonjour,

1) Vous avez fait une grande enquête sur la sexualité des français, c’était une
première du genre à l’époque, comment cela a été perçu au niveau professionnel
 ? Dans "l’opinion publique" ? Le sujet était-il tabou surtout fait par une femme
ou, avec le SIDA, il paraissait "déjà vu" ?

Mon enquête sur la sexualité a été perçue dans mon milieu
professionnel comme un peu borderline ( en principe, je suis
politologue) mais ils se sont habitués...
Elle a été très bien accueillie par les médias (le jour de la sortie du
livre, j’ai fait quatre émissions de télévision). Quant à l’opinion
publique, elle a acheté 12 000 exemplaires du tirage d’origine et je ne
sais combien (mais beaucoup) du tirage en poche. C’est donc qu’elle a
été intéressée. J’ai reçu des lettres de lecteurs , très émouvantes, qui
me disaient que ce livre les avait aidés à se sentir moins seuls, moins
"anormaux" pour certains.

2) Parmi tous les témoignages que vous avez recueillis, lesquels vous ont le
plus touchés, supris, émus ?

Certains témoignages m’ont particulièrement touchée. Par exemple, celui d’un SDF sédentarisé , qui n’avait pas fait l’amour depuis 15 ans ;
celui d’un étudiant, homosexuel, qui avait rendu visite à l’hopital à un garçon dont il était amoureux (non déclaré) avec une rose , ce qui avait beaucoup surpris les parents de l’opéré en question ;
celui d’une femme dont le partenaire voulait toujours mettre un préservatif car il craignait qu’elle ne lui fasse un enfant dans le dos et qui, le jour où elle lui a annoncé qu’elle avait un cancer de l’utérus, a voulu faire l’amour avec elle sans préservatif...
Je pourrais en citer beaucoup d’autres. Je ne suis jamais sortie d’un entretien en me disant : je n’ai rien appris ou je n’ai rien éprouvé.

3) Plus généralement, avez-vous été amusée ou choquée lors de vos entretiens
préparatoires à l’écriture de "La vie sexuelle en France" ? Cela a-t-il modifié
votre perception de la sexualité ?

Je n’ai jamais été choquée par les propos entendus au cours de ces
entretiens. Parfois amusée, le plus souvent touchée par la confiance
manifestée par les personnes qui me racontaient leur vie amoureuse et
sexuelle, avec de temps à autre des rires ou des larmes.

4) Pensez-vous que " La Vie Sexuelle en France" ait évolué depuis votre livre ?

La vie sexuelle en France a sans doute évolué depuis mon enquête car
je pense que nous sommes dans un processus de "libération tranquille"
qui progresse sans tambours ni trompettes mais de manière à peu près
certaine.

5) Passer de la sociologie à la fiction, c’est une démarche naturelle ? Cela vous
a laissé plus de liberté ?

Passer de la soicologie à la fiction a été pour moi une démarche tout
à fait "naturelle" car à l’origine je suis une littéraire et quand
j’étais très jeune, je me disais que j’aurais en quelque sorte rempli un
contrat quand j’aurais fait un enfant et publié un roman. L’envie de
fiction a précédé chez moi l’envie d’écriture académique.

6) Vous vous alimentez de votre connaissance pour écrire ? Vos livres sont-ils en
partie une mise en scène de témoignages entendus ?

Je n’écris pas mes romans à partir de mes enquêtes même s’il m’est
arrivé de raconter quelques anecdotes savoureuses glanées en période de
terrain. J’écris mes romans à partir de ma vie, de mes tripes, de mon
imagination, de mes émotions.

7)Vos deux romans sont centrés sur des femmes d’une cinquantaine d’années qui se
redécouvrent une sexualité... C’est par un effet d’identification ? C’est un
hasard ? Un intérêt particulier pour cette période de la vie d’une femme ?

Mes deux romans ont pour héroïnes des femmes de 50 ans parce que
c’est une période "bénie" pour la vie amoureuse. C’est un moment où les
enfants sont grands, où (pour les milieux que je décris), les femmes
sont épanouies professionnellement, où elles ne visent plus la
maternité. Elles sont donc beaucoup plus libres qu’à d’autres périodes.
Et comme elles ne recherchent plus "le père de leurs enfants" (comme
elles le font souvent à la trentaine), elles peuvent être pleinement
dans l’amour, le désir et le plaisir, sans être en quête d’un homme avec
qui "construire un foyer". Cette situation permet une grande ouverture.
Par ailleurs, elles ne "redécouvrent" pas la sexualité. La plupart ont
une vie sexuelle qui ne s’est jamais interrompue.

8) Avec un roman en 2004 "leur peau contre la mienne" et un en 2005 "l’amour en
double", vous avez pris un rythme assez rapide de publication ou ces deux
livres étaient "en suspens depuis longtemps" ?

Mes deux romans ont été publiés à un an d’intervalle parce que la
publication du premier a pris plus de temps que prévu. J’ai commis
l’erreur d’attendre la réponse (négative) d’un éditeur pour l’adresser à
un autre etc. Et quand le premier est paru, j’avais déjà en tête
l’histoire que je voulais raconter dans le deuxième. Je signale
d’ailleurs que j’en avais écrit un tout premier il y a une quinzaine
d’années mais il n’avait à l’époque interessé aucun éditeur et je l’ai
rangé dans un tiroir. Il a fallu attendre que l’envie revienne.

9) Vous décrivez dans vos livres des amours plus ou moins interdites, de femmes
qui osent avoir des amants assez tardivement ; on passe d’un "papillonnage
adolescent" à une "liberté de femmes qui assument leur sexualité" après une
période "d’accalmie maternelle" ?

Ce ne sont pas des amours "interdites". Je ne considère pas qu’avoir
des amants à 50 ans soit quelque chose d’inhabituel et que celà revêt
comme vous le dites un aspect "tardif". Les femmes peuvent faire l’amour
pendant très longtemps, jusqu’à leur mort pour certaines si elles en ont
envie. D’ailleurs le tabou qui pesait jusqu’ici sur la sexualité des
seniors est en train de tomber. Pendant longtemps on a considéré que la
sexualité des femmes s’éteignait avec la ménopause. C’est une ânerie
monumentale. Heureusement, les enquêtes récentes ont montré que c’était
une imposition sociale qui n’avait pas grand chose à voir avec la réalité.

10) Mon grand jeu littéraire, veuillez complétez les phrases suivantes :
- Le réveil sonna et elle se dit : déjà midi, comme le temps passe.
- L’amour, ça rend beau
- Jamais deux fois un verre de vin médiocre
- Elle était maquillée comme une star de ciné
- Sentir sa peau contre la mienne

Merci

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J’M.