Interview : Tristane Banon, la trapéziste

Interview : Tristane Banon, la trapéziste

Après la sortie de son deuxième roman "Trapeziste", j’ai voulu revenir sur ce livre avec son auteur Tristane Banon ; dans un premier temps pour lui dire que je l’avais vraiment apprécié puis dans un second pour éclaircir avec elle quelques points littéraires et parler du background, des coulisses et de l’après de sa Création.
Tristane Banon à coeur ouvert...

1. Tristane Banon, ravi de vous accueillir à nouveau sur Le Mague, sachez que vous venez quand vous voulez. Etait-ce facile de vous atteler à ce second roman et de passer à autre chose après un livre aussi marquant, boulversant, intimiste et personnel que le premier "J’ai oublié de la tuer" ?

Quand j’écris un livre je veux raconter une histoire au lecteur, et j’espère qu’elle lui plaira. Ecrire un autre roman après "J’ai oublié de la tuer" c’était partir en sachant qu’il y aurait forcément de la déception chez mon lecteur. C’est très difficile. Mais c’est inévitable. Et c’est à moi de transformer cette déception en une agréable surprise. Je ne veux pas devenir "l’auteur qui fait pleurer".

J’aurais pu, en trouvant d’autres moments tristes de ma vie à raconter ou en puisant dans le monde qui m’entoure...Il y a de quoi faire ! Mais je n’aime pas l’idée d’être étiquetée. Je veux tâter plusieurs terrains. Je savais qu’il y aurait comme une regret chez mon lecteur et pourtant j’ai voulu l’emmener ailleurs. Finalement, je me suis aperçue, suite aux différentes rencontres sur les salons littéraires par exemple, que le côté "intimiste et personnel" de "J’ai oublié de la tuer" ils l’avaient retrouvé dans mon écriture. Un lecteur m’a envoyé un courrier, il n’avait pas lu mon premier roman mais venait de finir "Trapéziste", il aimait mon écriture parce qu’il la trouvait "ironique et désenchantée, pas vraiment triste et pas complètement heureuse". En y réfléchissant je me dis qu’il doit y avoir du vrai là-dedans. On est pas forcé d’écrire des histoires qui font pleurer pour bouleverser les gens, c’est peut-être quelque chose que l’on porte en nous...Je ne sais pas.

2. En quoi Flore Dubreuil, l’Héroïne de "Trapeziste" ne vous ressemble pas du tout ?

Elle est plus jeune que moi ! En fait, ce que je veux dire, c’est que j’ai été cette Flore Dubreuil-là...Même si tout ce qui arrive à l’héroïne ne m’est pas arrivé. Dans le livre, Flore a quelque chose de très naïf dans sa façon d’aborder le monde, je crois que je le suis un peu moins. Au fond, je ne suis même pas tout à fait certaine de ça. Mais disons que les erreurs de Flore m’ont beaucoup servi ! (rires). Je fais plus attention qu’elle à ce qu’on peut essayer de me faire croire. Et puis je traîne beaucoup moins à Saint-Germain des prés que mon héroïne ! En réalité je suis devenue très casanière, presque asocial...Il me faut prendre beaucoup sur moi pour sortir.

3. Est-ce que vous êtes consciente que vous avez tout (belle fille née dans une famille riche, fréquentation de people...) pour déplaire à un journaliste de Gauche ? (rires)

Je sais que j’ai en tout cas tout pour déplaire à une journaliste de Marianne ! Ce magazine viennent de m’épingler, avec d’autres jeunes auteurs, sous un titre éloquent : "La Star Academy littéraire". L’idée de l’article est de dire que les éditeurs nous choisissent jeunes et beaux, font de nous des stars d’une saison et nous jettent ! Il n’y a pas grand chose à répondre à cela. Et je ne saurais pas davantage quoi répondre à un journaliste de Télérama qui me jugerait sur ma naissance (qui n’est pas aristocratique arrêtons !) ou mes fréquentations.

Je voudrais dire à Marianne que c’est faire insulte aux éditeurs, même s’il en existe de peu scrupuleux, que de penser qu’ils publient des textes sur le physique de ceux qui les leur apporte. Et même si c’était le cas, j’ai envie de dire "Qu’importe !". Nous vivons dans un monde d’apparence et il faut faire avec. J’ai peut-être un physique à la mode, si ce physique peut servir à me faire découvrir c’est tant mieux...Sur la distance seul le travail paiera et je le sais. Il ne faut pas prendre les lecteurs pour des idiots, s’ils lisent un livre c’est que l’histoire qu’on a à leur raconter leur plaît, pas pour le physique d’un auteur qu’il ne vont pouvoir contempler que sur une quatrième de couverture en format timbre poste ! Quant au journaliste de Télérama je lui répondrais sans doute que quelque soit l’endroit d’où l’on vient on en a pas moins le droit de vouloir raconter des histoires. J’espère juste le faire bien. Et puis si ce qu’ils disent est vrai, ça ne peut que me pousser à faire toujours mieux, travailler et progresser. Parce que le physique, lui, il va aller en se dégradant ! C’est dans l’ordre des choses...

4. Est-ce que cela vous plaise que vraisemblablement beaucoup de critiques ne s’intéresseront pas à votre livre et ne le liront même pas à cause des a priori faciles qu’ils pourraient avoir contre vous ?

J’aimerais que les critiques lisent mon livre, ne serait-ce que pour avoir de vraies raisons de l’aimer ou de ne pas l’aimer. Les a priori, faciles ou non, je n’aime pas ça. D’ailleurs c’est aussi le sujet de "Trapéziste" : ne pas se fier aux apparences. Quand je suis face à un livre, avant d’en avoir lu au moins quelques pages, je veux être vierge d’avis. On ne sait jamais sur quoi on va tomber, c’est comme la boîte de chocolats de Forrest Gump ! Plus sérieusement, il m’est arrivé d’ouvrir des livres en pensant qu’ils n’étaient pas fait pour moi...J’ai souvent été agréablement surprise ! Je trouve ça dommage de s’épargner la joie d’une bonne lecture par des a priori. Il y a des mauvais livres aussi, mais encore faut-il les lire pour s’en assurer. Pour un critique ne pas le faire relève un peu de la faute professionnelle.

J’ai beaucoup de respect pour quelqu’un comme Jean-François Kervéan. Au cours d’une émission, il m’a avoué qu’il avait lu mon livre alors qu’a priori le sujet ne lui plaisait pas du tout. "Ca n’était pas gagné !" m’a-t-il dit. Finalement il en a pensé beaucoup de bien. Ca m’a touché. Au-delà du fait qu’il ait aimé, qui réconforte évidemment, j’ai trouvé très professionnel de lire un ouvrage que l’on ne pense "a priori" pas fait pour nous. Ce genre de comportement est rare et précieux chez les critiques littéraires. S’il ne l’avait pas aimé j’aurais été triste, mais je l’aurais tout autant respecté. Je n’ai aucune estime pour les critiques qui condamnent sans avoir lu.

5. J’ai trouvé très habile ce fil rouge du déficit du compte en banque qui augmente ou baisse tout le long du roman...

C’est malheureusement une réalité très actuelle. La plupart des gens conduisent leur vie en fonction de leur compte en banque. Demandez à quelqu’un si ça va et il vous répondra que les temps sont durs, que les finances vont mal ou qu’il a du raccourcir ses vacances...

La morosité et l’état dépressif sont souvent liés à tout ce qu’entraîne une situation précaire, son lot de mauvaises surprises : la peur de l’huissier, la lettre de relance de la dernière facture impayée, le joli cartable que l’on a pas pu offrir à sa fille, etc. La télévision nous assène que le moral des français est en berne et, lorsque les journalistes font des micro-trottoirs pour en savoir la cause, on retrouve souvent la baisse vertigineuse de leur pouvoir d’achat.

Il faut arrêter de se leurrer, les gens ne sont pas égoïstes mais ils penseront à être dépressif au regard de la misère du monde quand eux-même iront mieux. C’est humain. C’est de cette constatation que m’est venue l’idée de ce fil rouge car, malheureusement, je pense que c’est le fil rouge de beaucoup de gens.

6. Est-ce que vous vous rendez compte que vous êtes un OVNI littéraire et que vous avez créé un genre original et très fort qu’on pourrait nommer "le banonisme" ou "le tristanisme" ?

Je suis flattée du compliment mais non, j’avoue que je ne me rend pas bien compte de ça...Le "banonisme" ça sonne très négatif, le "tristanisme" pas très gai...je ne suis peut-être pas faite pour être un genre littéraire joyeux ! Plus sérieusement je ne pense pas avoir inventé grand chose. Je lis énormément les classiques de la littérature et j’essaie de m’en imprégner. J’adore Bukowski, Nabokov, Rimbaud, Colette, Stendhal, Hugo...Dans le désordre ! Récemment un ami auteur m’a offert Martin Eden de Jack London, merveilleux comme bouquin ! J’ai beaucoup appris en le lisant. Si je suis un OVNI littéraire, j’ai une base de lancement que je saurais très bien identifier ! (rires)

7. Est-ce que la littérature vous aide à mieux vivre, vous a sauvé de quelque chose ou bien vous précipite t’elle dans un abîme étrange ?

Un peu tout ça à la fois. La littérature m’aide à vivre car elle donne un sens à ma vie. C’est un lieu commun de dire ça, et je n’aime pas le stéréotype de "l’écrivain torturé" que ça véhicule, mais très tôt dans ma vie je me suis demandé ce que je faisais là ? Mon père n’avait pas trouvé bon de rester auprès de moi, ma mère n’aimait pas les enfants, la nourrice me tapait dessus et je ne voyait pas franchement d’issu. Quand je me projetai je ne voyais pas de but à tout ça. J’avais des amis qui voulaient devenir riches et moi, j’avais quotidiennement la preuve que ça ne garantissait pas le bonheur. D’autres parlaient de la joie d’être en famille, etc.

En fait je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire de toutes les années que j’avais devant moi. En plus, je n’étais pas croyante alors l’idée de naître, de s’agiter et de mourir je trouvait ça très glauque et pas très utile. Puis j’ai découvert les livres et l’écriture.

Ca m’a pris très jeune. Les livres m’ont sans doute évité de sombrer dans la dépression. La littérature me permet de profiter de toutes les belles choses de la vie sans me dire systématiquement "et après ? à quoi bon tout ça ?". Ca marche aussi pour les choses un peu moins belles ou carrément moches ! (rires) Et après ? J’en ferais des livres...C’est déjà ça !

8. Que vous a dit Patrick Poivre D’Arvor, le dédicataire de votre livre après l’avoir lu ?

Que j’étais une petite funambule ! Que désormais j’étais auteur et qu’il allait falloir que je continue ma route dans cette direction. Il m’a toujours beaucoup soutenu dans cette voie et je l’en remercie, d’où la dédicace.

9. Votre troisième roman est-il en gestation, va t’on suivre les suites des aventures de votre double littéraire, la funambule Flore ?

Je suis en train de l’écrire. Et effectivement Flore reprend du service !...Mais dans quelque chose de plus personnel et en même temps de beaucoup plus proche de la fiction que mes deux précédents romans. Il y a quelque chose du polar et de la quête d’identité dans ce nouveau roman. Flore règle ses comptes avec son père !

Je ne veux pas faire un livre-procès, pas du tout. D’ailleurs, vous le découvrirez dans le livre, l’histoire est totalement fictive, une espèce de chasse à l’homme dans Paris...En revanche j’ai des choses à dire sur le rôle du père et sa place dans la construction d’une femme. Ou sa "non-place" dans le cas de l’absence. C’est encore assez flou...Je ne sais pas si je suis très clair en fait ! (rires)


10. Je vous laisse le mot de la fin chère Tristane...

Ah non, je n’aime pas finir ! Rien ne finit vraiment non ?