Pour quelques gouttes de sperme en plus ?

Pour quelques gouttes de sperme en plus ?

Le X existe quasiment depuis la création du cinéma, à la fin du XIXème siècle. Cependant, d’abord confiné dans les salons privés, il a pris son essor dans les années 60 en parallèle avec la libération sexuelle.
S’aventurer à évoquer le porno, c’est aussi narrer son expérience personnelle, né sous le sceau d’un appétit que l’on découvrira peu à peu vorace...

Je me souviens du premier film que j’avais eu l’occasion de visionner, je devais avoir 9-10 ans, peut-être 11 (aujourd’hui, les mômes ont les yeux grand ouverts dès 5-6 ans). Il se nommait Initiation d’une jeune marquise avec l’alléchante Marilyn Jess (sous ce pseudo se cachait une exquise lolita du cul à la poitrine quasi-parfaite), et cela m’avait donné à fantasmer jusqu’à mes premiers pas adultes, sur les délices du libertinage. Avant l’amour, la découverte.

Années 70, c’était la grande époque du X français, les cinémas spécialisés pullulaient à Paris. Le maire de Tours, Jean Royer, se donnait un rôle qu’il ne quittera plus, celui de vieux con réactionnaire, en demandant la fermeture de ces lieux honnis et n’hésitant pas à exécuter la sentence dans sa bonne ville. Les actrices, étudiantes studieuses au ton aussi bourgeois que coquin, s’amusaient comme des petites folles. Bénazéraf, lui, construisait sa réputation d’intello pop-cul (truffant ses oeuvres de références à la philosophie grecque et à nos génies littéraires). Globalement, c’était beauf (ça l’est toujours) mais ça passait.

Aujourd’hui, l’état des lieux, c’est quoi ? Une production de masse négligente pour quelques créations décentes, beaucoup de débordements, trop d’excès, les filles prennent rarement leur pied, les mecs sont salement mâles, ne reste qu’une trace modique de ces moments où au moins, l’ambiance était bon enfant, le sida n’avait pas ravagé le milieu. Les ados attendent de concrétiser leurs premières expériences, le support X servant de commode palliatif. Les adultes baillent d’ennui. Dans les plus mauvaises productions dorceliennes, où est l’envie, où se situe le désir ? Ils rejoignent les vertiges d’un néant problématique. Les acteurs assurent le minimum syndical sans même faire semblant. Pourtant, la représentation du besoin solitaire, de la fantaisie totalitaire, veut-on croire, tient au phénomène d’identification. A travers l’autre, c’est le passage à l’acte qui se construit. Son plaisir, c’est notre fantasme. Alors, s’il montre qu’il simule, à quoi bon ? Depuis longtemps, à ce spectacle morose, on préfère le plan séquence décomposé. A chacun son destin. Pour certains, le rythme des pulsions sexuelles se conjugue avec la fellation, d’autres se tournent vers les scènes de lesbianisme et ainsi de suite jusqu’à la jouissance du corps. Aussi vite vu, aussi vite oublié dans un art consommé de semi-culpabilité ou dans une maîtrise parfaitement assumée de moeurs à l’allure (mais à l’allure seulement) libertaire... Depuis le passage à la vidéo, depuis l’extension d’internet à un large public, le porno a perdu son sens interdit, a rejoint le canapé familial, se junk-foodise à vue d’oeil. Après, on rentre dans le domaine des productions extrêmes où les différents éléments (foutre, chair et sang) s’entre-mêlent au sein d’un maelström dépassant les limites de l’obscénité.

Aujourd’hui, le porno s’auto-centre sur sa personnification pour mieux dissimuler ses travers. Aujourd’hui, Ovidie se dresse en porte-drapeau d’un néo-féminisme loin des revendications du MLF, John B.Root parle d’éthique, Andrew Blake, le pape hamiltonien du cul, continue sa filmographie glamour et Woodman marchande ses filles de l’Est au prix fort. Aujourd’hui, on exploite et sur-exploite jusqu’à l’indécence. Aujourd’hui, tu as le choix jusqu’à la nausée. Aujourd’hui, l’image de la chair s’enchevêtre sous l’harmonie perdue d’appétits reclûs. Aujourd’hui, la société, prise par un contre-effet post-soixante huitard qui n’en finit pas, se coince la queue entre les jambes. Aujourd’hui, les années 70 sont finies.

La pornographie n’est pas l’érotisme. Elle n’est justement pas là pour expérimenter de nouvelles sensations, pour provoquer l’envie ni le désir, pour arpenter la pudeur de nos fantasmes secrets. Le porno, c’est le règne du cinéma minimal, de la branlette express. Souvent, l’histoire elle-même, est totalement inexistante, laissant place à l’action sans que l’on comprenne ni le comment ni le pourquoi. Il n’explique rien, suggère encore moins. Filmer un couple en train de s’embrasser, palper l’attraction fatale qui ensorcèle les individus, sous-tendre l’idée de l’insoutenable légèreté de l’être, le porno ne sait pas. S’amuser, il ne sait plus. Perpétuer les clichés ringards de l’homme macho, de la femme soumise, du marin pédé (vague référence au superbe Querelle de Fassbinder, aime-t-on à supposer) ou de la soubrette délurée, il sait. L’acte d’amour est devenu un objet post-industriel, sans autre fondement que remplir les caisses d’un marché juteux.

Malgré les prétentions artistiques d’une poignée de réalisateurs et les performances remarquables de quelques acteurs, les petits enfants bandent mou, les nymphes sont dans les choux.