Oui nous avons hébergé un terroriste... de 3 ans

Oui nous avons hébergé un terroriste... de 3 ans

Cet aveu, nous le devons à Jean-Marc Raynaud et à Thyde Rosell, fondateurs de l’école libertaire Bonaventure située sur l’Île d’Oléron. Un récit tragi-comique captivant qui remet quelques pendules à l’heure.

Le « fait divers » n’a pas figuré à la Une des médias nationaux. Le 30 novembre 2004, la paisible maison de Jean-Marc Raynaud et de Thyde Rosell a reçu une visite très matinale. Une dizaine de flics du SRPJ de Poitiers, mandaté par la Division nationale anti-terroriste (DNAT) a fait irruption dans toutes les pièces. Les deux éducateurs libertaires ont été mis en garde à vue pour « participation à une entreprise terroriste ».

Pour bien comprendre cette histoire ubuesque, remontons un peu dans le temps. Le 3 octobre 2004, à Salies-de-Béarn, la police anti-terroriste française arrête Mikel Albisu et Marixol Iparragirre, militants d’ETA. Au fond du filet, se trouve un troisième petit poisson, l’enfant du couple. Âgé de 8 ans, il est scolarisé à l’école de son village depuis plus de deux ans. Une question survient. Où se trouvait le môme avant ? Un avis de recherche est transmis à l’Education nationale... qui se plie volontiers aux demandes policières, alors que la sécurité du garçon n’a jamais été menacée. De fil en aiguille, les fins limiers apprennent que la « grenouille » avait été scolarisée à l’école libertaire Bonaventure entre septembre 2000 et juin 2001 et dans une maternelle de l’Île d’Oléron l’année suivante. La famille Raynaud-Rosell l’hébergea donc jusqu’en septembre 2002, date où le petit changea de région.

Avertis, fin octobre 2004, par une directrice d’école, le couple anar prend connaissance de la circulaire électronique qui arrive dans les établissements scolaires de Charente-Maritime. Il ne faut pas être devin pour imaginer la suite. Pas nés de la dernière pluie, les libertaires s’organisent. Le réseau militant est activé. En prime, Jean-Marc Raynaud rédige un petit texte qu’il scotche sur sa porte d’entrée :
« A vous qui arrêtiez, déjà ceux qui hébergeaient des enfants juifs lors de la dernière guerre
1) Le café est prêt. Il suffit d’allumer la cafetière.
2) Servez-vous en sucre.
3) Si le chien aboie, rassurez le. Il a toujours eu peur des bandits.
4) Je dors à l’étage.
5) Merci de frapper avant d’entrer. Je suis cardiaque et n’apprécie que modérément les émotions fortes.
Le 31 10 2004. Jean-Marc Raynaud »

Le décor était planté. Mais les supers flics ne se pointeront qu’un mois plus tard sur l’Île. Ce qui, soulignons-le au passage, n’est pas très sérieux. S’ils avaient été coupables d’un quelconque méfait, nos amis auraient eu mille fois l’occasion de mettre les bouts ! Ce qu’ils ne feront pas. Ils attendent et vaquent à leurs occupations. Galvanisés par la foi des Justes. Finalement, le 30 novembre 2004, la cavalerie débarque avec la police scientifique qui, discrètement, tente de se distancier des cow-boys. Le célèbre duo des bons et des méchants...

Côté méchants, on n’apprécie que moyennement la prose de Jean-Marc Raynaud. On le fait savoir. Le ton monte et la tension aussi. Jean-Marc Raynaud, de santé très fragile, s’écroule. On est à un poil de la bavure. L’infarctus guette.
Avec des zigotos comme ça dans leurs pattes, les flics n’étaient pas au bout de leurs surprises. C’est ainsi que, le 1er décembre 2004, ils enragèrent en découvrant dans le quotidien Sud-Ouest (500 000 exemplaires), une interview du père Raynaud avec photo. Bien joué. Sauf que les méchants deviennent encore plus méchants. Le pouls de Jean-Marc fiche le camp. Retour à la case hosto. La frayeur passée, les hostilités reprennent. L’ambiance s’échauffera encore un peu plus quand, pour le faire « parler » au troisième jour de garde à vue au commissariat de Rochefort, les flics menaceront de placer Bertille Raynaud-Rosell, encore mineure, à la DDASS. Illico, Jean-Marc refusera de s’alimenter.
Qu’on se rassure, notre ami a survécu à ses quatre jours sans sommeil, sans nourriture (sauf une barquette de surgelé non décongelée), à ses vingt heures d’interrogatoires sur vingt-quatre (dans le style « votre femme a avoué », « et les amants basques de votre femme... »), aux insultes et aux humiliations, à sa cellule en béton sans chauffage et à sa couverture mouillée. Thyde, malgré un cancer récent, n’a pas eu le traitement de « faveur » de son mari. Pas rancunière, après sa libération, elle ira porter des chocolats à ses geôliers en guise de remerciement. La jeune et bouillante Bertille connaîtra aussi les plaisirs de l’interrogatoire.
Tous les trois racontent leur expérience au jour le jour avec colère, émotion et... humour. Sur quatre pages, deux autres témoins commentent leur mésaventure. Cela ne figurera dans aucun procès verbal puisqu’il s’agit du gentil chien et du vieux méchant chat.

Ce livre, publié par les éditions Libertaires, ne se limite pas à ces récits, en eux-mêmes très parlants. Il fait le lien avec d’autres questions. Exemple : Les enfants sont-ils responsables des actes de leurs parents et doivent-ils subir les aberrations du monde des adultes ? Vaste sujet qui fait bien sûr le lien avec les chasses à l’enfant dont sont victimes les familles sans papiers. Au fil des chapitres, on pourra encore s’interroger sur la justice, les prisons, le droit et le devoir d’insoumission...
En annexe, pour les esprits lents, la réédition de trois vieux articles de Jean-Marc Raynaud parus dans la presse libertaire en 1987, 1999 et 2001 tente de redire le fossé qui existe entre l’anarchisme, le terrorisme d’extrême gauche et le nationalisme (basque ou autre). Redire que sans dieux ni maîtres, sans patries ni frontières, les anarchistes sont des citoyens du monde qui ne se mettent à genoux que pour cueillir des fleurs.

Jean-Marc Raynaud et Thyde Rosell se servent enfin de ce livre pour remercier ceux et celles qui ont été là pour les épauler dans l’épreuve : la Fédération anarchiste, la CNT, la Libre pensée, l’ICEM Pédagogie Freinet, les centaines d’ami-e-s d’ici et d’ailleurs... sans qui ils auraient pu craquer et, pourquoi pas, avouer qu’ils avaient cassé le Vase de Soisson !

Au fait, la « grenouille » va aussi bien que possible. Il a été confié à sa famille basque espagnole. Il fait des milliers de kilomètres pour quelques petites heures de parloir avec ses parents. Jean-Marc et Thyde, alias Dada, continuent à s’occuper de lui puisqu’il fait partie à jamais, et plus que jamais, de leur famille.

En cherchant des traces d’ADN jusqu’à dans les couettes de la famille Raynaud-Rosell, en volant ordinateurs et téléphones portables, les flics pensaient peut-être décapiter tous les réseaux terroristes de la planète. Comme des éléphants dans un magasin de porcelaine, ils sont en fait tombés sur une belle histoire d’amour entre une petite grenouille basque et des Charentais au cœur gros comme ça.

Jean-Marc Raynaud et Thyde Rosell, Oui nous avons hébergé un terroriste de trois ans, éditions Libertaires. 187 pages (dont 16 en couleurs avec dessins, photos, cartes postales). 12 euros.

Pour en savoir plus sur Bonaventure, lisez Bonaventure une école libertaire - Dires et agirs d’éducations libertaires, éditions Libertaires (2005). 180 pages. 15 euros.

Catalogue complet des éditions sur www.editionslibertaires.org

Jean-Marc Raynaud et Thyde Rosell, Oui nous avons hébergé un terroriste de trois ans, éditions Libertaires. 187 pages (dont 16 en couleurs avec dessins, photos, cartes postales). 12 euros.

Pour en savoir plus sur Bonaventure, lisez Bonaventure une école libertaire - Dires et agirs d’éducations libertaires, éditions Libertaires (2005). 180 pages. 15 euros.

Catalogue complet des éditions sur www.editionslibertaires.org