Interview : Axelle Red nous livre son "Jardin secret"

Interview : Axelle Red nous livre son "Jardin secret"

Axelle est une artiste très minutieuse autant dans ses mélodies aux accords complexes que dans ses mots choisis avec soin. C’est une chanteuse engagée qui n’hésite pas à s’adresser aux grands de ce monde pour faire avancer les choses. Il suffit d’écouter attentivement son dernier album, "Jardin secret", pour comprendre que ses chansons sont loin d’être simplistes.

Cette jolie rousse à l’aspect fragile est loin d’être timide. Rencontre étonnante avec une femme réelle :

1. Bonjour Axelle. Vous avez appelé votre dernier album « Jardin secret ». Est-ce que vous auriez pu mettre ce titre au pluriel ?

Bonjour. Quelque part oui, quelque part non. Il est clair que chacun a plusieurs jardins et je les évoque dans mes chansons. Le jardin dont je parle dans l’album, c’est l’Eden. Tout le monde l‘habite, tout le monde peut y habiter ou croit pouvoir y habiter d’une autre façon et avec d’autres bases. Je parlais déjà de ce lieu dans la chanson « I had this dream » qui est d’ailleurs dans le livret de l’album.

(Extrait : Last night I had this dream. I saw people from all different places, they gathered together and since they’ve been loving each other.

Now I hope now I pray, that a change is to come today, this war I can’t stand it no more eradicate all this hate, share our gods our land we could be friends, no more hunger on this earth...)

Dans cette chanson, j’explique ce qu’est ce lieu : une sorte de communauté où les gens peuvent cohabiter d’une autre façon et en fait, cet Eden, il se trouve aussi bien au Paradis qu’au plus profond de nous et en tout cas, au plus profond de moi puisque c’est mon rêve, mon utopie. En même temps, si je dis qu’il se trouve sur Terre, c’est que chacun a ce jardin. Il suffit de le voir. Il suffit de regarder l’herbe et de comprendre que cette herbe est la richesse de la vie.

Il suffit de voir un papillon plutôt que de focaliser sur les mauvaises ondes. L’herbe et les papillons, ce côté bucolique, sont comme une sorte de peinture naïve mais ce sont des symboles, des métaphores. Donc pour moi, c’est quand même mieux au singulier puisque je parle de cet Eden. Mais comme tout le monde l’a en lui, alors à ce moment-là, il pourrait être au pluriel. Ce que je voudrais sur cette Terre, c’est un grand Eden. Je rêve que cette Terre devienne un autre monde. Donc, singulier. Pourquoi le voyiez-vous au pluriel ?

Je pensais... Eden, d’accord. Mais j’étais plus sur les jardins secrets que tout le monde a.

En fait, c’est une vraie moquerie ce terme et je lui ai donné une autre signification, on peut dire élargie. Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas un album intimiste qui parle de mes sentiments, de ma petite vie privée. Ça n’intéresse personne et en tout cas, cela ne m’intéresse pas d’écrire comme ça.

Ce que je voulais, c’est écrire un album universel qui s’adresse au plus grand nombre. Et même si j’ai écrit une chanson comme « Si tu savais » qui s’adresse à ma fille. Si je l’ai écrit, c’est en espérant être vue dans ce que je dis, que tout le monde se retrouve dedans, aussi bien un enfant, chaque enfant qui a un parent, aussi bien les pères que les mères. Cet album parle de nous, pas seulement de moi. Ça parle de notre société qui va trop vite, de notre comportement : on passe notre vie à chatter derrière un écran plutôt que de se rencontrer, de se voir. Par exemple, « Jure » n’est pas une chanson d’amour, c’est une vision utopique, romantique de ce monde.

Vous allez trop vite, vous allez griller toutes mes questions. Rires

Ahhhhhh. C’est parce que « Jardin secret » est un livre, je ne peux pas parler seulement d’une chanson. Il y a des gens qui me posent des questions « Et alors votre engagement ? ». Mais tout est lié. C’est en forme de boucle.

2. Pourquoi avoir choisi d’enregistrer au Royal Studio à Memphis ?

Cela fait dix ans que je travaille avec des musiciens de Memphis. On est vraiment des amis. Depuis « A tâtons », chaque album je l’ai enregistré avec eux. J’étais déjà allé enregistrer à Tennessee et cette fois-ci, j’avais envie d’aller dans le studio d’enregistrement de Willie Mitchell, le producteur de Al Green et Ann Peebles (chanteuses de gospel des années 70). Le son y est très très particulier, comme à l’époque en fait.

On y retrouve les vieux amplis à lampes, les vieux micros. Il y a une âme dans ce studio. Il y a la rareté. Il y a la poussière. Il y a la vieille table de mixage et puis Willie Mitchell qui est toujours là, même s’il n’a pas réalisé l’album puisque c’est plutôt moi. J’ai pu lui demander des conseils techniques. Il était toujours présent. Il connaît toutes les chansons et en parle toujours. Il était très fan de mes chansons et de ma façon de chanter. C’était très encourageant.

En même temps, je voulais ce concept d’être juste quatre musiciens pour qu’on entende vraiment bien chaque instrument. Je voulais cet esprit, presque comme pour un groupe de rock ou de jazz, one, two, three... paf, on y va. Tout était très bien préparé pendant la pré-production que j’avais faite à la maison où j’ai un petit studio, avec Lester Snell. Ce ne sont pas des chansons simples, toutes les mélodies ont l’air très faciles dans la veine de mes inspirations (Burt Bacharach) mais ce sont des chansons qui sont très complexes, des accords assez compliqués. Il fallait vraiment être bien préparés pour avoir justement cette liberté une fois sur place et ne plus y toucher par la suite.

3. Quelles chanteuses de soul admirez-vous le plus ?

Ohhhhhhhh. Je crois que celle dont je me sens la plus proche, c’est Dusty Springfield, c’était une blanche dont on disait qu’elle chantait du « Blue eyed soul » (soul Music interprétée par les blancs). Mais je crois que... la musique entre Dusty Springfield et Les Carpenters, la chanteuse Karen était blanche... Je ne sais pas si vous connaissez ?
... Heu...

Les Carpenters, c’est la chanson (et là, j’ai droit à un micro-concert pour moi toute seule) « Why do birds suddenly apear /Every time you are near ? » (« Close to you » Carpenters). Ouiiiii. Voilà, je me situe entre ce côté de, elle, qui est blanche, de cette façon dont elle chante, et en même temps de Dusty Springfield. Je suis très influencée par Aretha Franklin et Minnie Ripperton. Minnie Ripperton était black et montait très haut dans les aigus, un peu comme je fais dans « Papillon », comme je fais dans « Paradis ».

On pourrait croire de temps en temps qu’elle est blanche carrément. Vous connaissez Minnie Ripperton ? Elle chantait la chanson... Lalalala lala lalala lalalalala lala dum dum dudum... Axelle fredonne à nouveau... Ce sont des chansons que les gens connaissent sans savoir qui les chante. Voilà, c’est exactement cela.

Mais j’écoute aussi beaucoup les hommes. J’ai appris un jour de quelqu’un que si les femmes n’écoutaient que des femmes, elles avaient tendance à crier. Pour avoir ces graves, quand j’étais petite, j’écoutais beaucoup Elvis Presley et j’écoute d’ailleurs toujours beaucoup Otis Redding.

Ohhhhhhh Otis Redding. Oui c’est cela, pour avoir ce grave. C’est inutile d’essayer de crier comme Aretha Franklin. Personne ne sait le faire. Même quand elle a ce médium ou cet aigu, ça vient du ventre. Et comme je n’ai pas été élevée dans une église en faisant du gospel...

D’ailleurs quand on écoute « Fruit défendu » dans toute sa longueur, sur le disque je n’ai mis qu’une minute trente mais on peut télécharger la suite sur Opendisc, je chante vraiment comme sur scène quand je chante « Rester femme ». Je groove, je monte, je fais plein de trucs avec ma voix très soul. Mais je ne vais jamais faire cela avec une chanson juste pour faire. Si la chanson ne s’y prête pas, cela n’a aucun intérêt. Vous comprenez ce que je veux dire ? Tout est dosé en fonction de ce que je veux pour la chanson. Il faut toujours situer ma voix entre ces différentes choses.

C’est pour cela que les gens ne doivent pas se dire « Elle est allée enregistrer à Memphis mais ce n’est pas du Aretha » Ce n’est pas entièrement faux, ce n’est pas le but non plus. Il y a même un côté très Brodway dans l’album. Il y a un côté... qui composait les musiques de West Side Story « The sound of music » (« La mélodie du bonheur »), tu vois ? talatam tictictic talatatatam tili... Il y a même un côté « Singing in the rain dans « Changer ma vie ». Beaucoup de références dans cet album...

C’est aussi ce côté que les musiciens et Willie Mitchell apprécient : que tu fasses quelque chose de personnel, ce côté très mélodieux des chansons. Ils adorent les beaux accords et les belles mélodies. C’est ce qu’ils ont aimé dans l’album.

Moi aussi, j’ai adoré ce côté très travaillé.

Merci.

4. Pour créer un tel album, faut-il être entouré par des musiciens amis ?

C’est à dire que pour moi, un album commence avec les mélodies. Pour les mélodies, je me retrouve seule. J’ai passé trois ans à composer. J’ai composé 60 chansons. Et même si l’idée des paroles était là... Très vite, il y avait l’idée de « Prends ma main et suis-moi dans mon jardin ». J’avais déjà l’idée de « Papillon » et tout se mettait en place. J’ai refusé de travailler les paroles déjà parce que, je ne savais pas sur quelles chansons les mettre puisque je voulais être sûre. D’abord, je voulais un livre et je ne voulais pas perdre un chapitre de mon livre. Je voulais avoir les meilleures chansons possibles. Je voulais faire un album qui était aussi bien que mes dix références. En tout cas, c’est mon chef-d’œuvre.

Maintenant, je n’en ferai plus. Des albums avec des belles paroles, on en trouve. Des albums avec de bons musiciens, on en trouve. Mais pour moi, la différence, ce sont les chansons. J’ai voulu donner tout le temps aux chansons avant de faire le reste. Donc 3 ans pour en faire façon et j’en ai isolé 15.

Pendant la pré-production, j’ai travaillé avec Lester Snell. Par moment, il a sublimé les accords. Mais les mélodies à la base, c’est moi. J’adore ça. C’est ce que j’aime faire. C’est clair que cet album n’aurait pas sonné pareil même avec les mêmes musiciens si je n’avais pas enregistré à Memphis. Il a ce son du studio mais il est aussi dans la tradition du singer songwritter américain. Au niveau paroles, c’est drôle parce que dès que tu mets ça en français, il a encore une autre couleur. Tout à coup, « Perles de pluie » on peut penser à Brel qui chante cela dans « Ne me quitte pas ».

Quelqu’un m’a dit qu’il pensait à Trenet en écoutant « Changer ma vie ». Même si moi je n’ai pas pensé à ces gens. J’ai pensé à autre chose... à Jeanne Moreau dans « Changer ma vie » et en même temps, j’ai pensé à Burt Bacharach, à « Singing in the rain ». Sinon, à part cela, mes références... j’apprécie beaucoup la musique francophone donc française mais dans cet album, il n’y a pas ces références.

5. Ces petites tranches de votre vie que vous nous chantez sont écrites avec une grande simplicité. Pourtant, vous avouez dans « Pas compliqué » que vous avez tendance à tout compliquer justement. Comment avez-vous réussi à dire autant de belles choses avec un style si dépouillé ?

C’est du travail.

De nouveau, j’écris de façon particulière dans le sens où je me réfère beaucoup à des auteurs américains qui, en fait, vont à l’essentiel. Les songwriters, quelqu’un comme Hal David qui était l’auteur de duos avec Burt Bacharach qui a écrit « What a world needs now is love » (Axelle chante encore), ils sont très fort. Ils écrivent, ils écrivent..

Moi, il y a un côté français dans le sens où j’utilise beaucoup de beau vocabulaire, de belles paroles. En plus, cet album est rempli de métaphores, de symboliques. Dans « Perles de pluie », l’air de rien, je me réfère à cinq chansons : « Singing in the rain », aux Carpenters quand je parle des merles (birds), je me réfère à « The sound of music » de Rodgers and Hammerstein donc « La mélodie du bonheur », je me réfère même à la robe de pluie de Peau d’âne et à « Rain drops keep falling on my head » de Burth Bacharach. En fait, c’était un exercice de style de référer à tout cela. En même temps, il fallait que l’on se trouve dans ce jardin, c’est pour cela que je dis à un moment donné « Restons dans notre lit/ De mousse, de brindilles ». Et tout cela, c’est un exercice de style qui est dans le livre. Quand les gens l’écoutent, il est d’une simplicité. On n’a pas l’impression qu’il faut se bouger l’esprit pour pouvoir suivre. Mais quand on a envie par la suite de trouver les couches et les allusions et les références, elles sont là. Cela demande un grand travail, ce qui me plaît énormément. C’est aussi ma couleur et ma façon d’écrire. Il faut connaître de quelle façon je travaille.

Il existe même des références à la Bible dans cet album : quand je pense au « radeau quand il dérive/ L’océan fait sa croix » (Utopie), c’est l’arche de Noé ; en même temps, c’est le navire qu’on a construit pour les sans abris ; « dans un jaillissement d’espoir/ On construit un navire/ Le monde fait venir/ Tous les sans-avenir », c’est une allusion à la Bible ; dans « Fruit défendu », c’est une allusion à la Bible. Et ce « love » dans « Romantique à mort », je pense au serpent.

Ce que je ne fais pas, c’est rimer pour rimer. Cela peut être beau aussi, dans la tradition française beaucoup de gens travaillent ainsi. D’ailleurs, j’ai fait une sorte d’exercice de style mais vous n’avez pas la chanson. Vous avez « Aphrodisiaque » ? Non. « Aphrodisiaque », c’était très Gainsbourien, j’ai fait des rimes en « aque ». « Aphrodisiaque c’est ton impact/ Sur moi, c’est un fact ». Mais c’est beaucoup moins ma griffe que le reste de l’album. Il ne faut pas que les gens le prennent pour quelque chose de simpliste. Quand j’évoquais la simplicité, je ne pensais pas simpliste. Oui, c’est cela. Quand j’entends les paroles de Bill Withers, moi ça me touche. Bill Withers, il écrivait des chansons comme « Aint no sunshine » ou « Leon on me ». Axelle chante à nouveau. Vous voyez ?

Oui, oui.

Ce sont des chansons avec de beaux messages.

Quand il décrit la main de sa grand-mère, c’était la main qui disait « non, c’est pas ça » quand elle voulait l’avertir, c’était la main qui tapait dans les mains à l’église le dimanche, c’était la main qui lui caressait la tête quand il avait mal. Je veux dire, la façon dont il décrit les choses, c’est la vie. C’est une tradition comme cela.

6. « Tant pis si c’est comme ça/ Il y aura toujours la nuit/ Une Marie, un Cantat/ C’est pour cela que je vis/ Dans mon pays Utopie » Que voulez-vous dire exactement en évoquant cet amour passionnel ?

Je ne parle pas de cet amour passionnel. Parce qu’on a beau dire, Marie était une passionnée, Bertrand, un meurtrier. C’était un amour passionnel. Les crimes passionnels... C’est une histoire d’une tristesse. Malheureusement, on peut en être triste, on peut en parler pendant des siècles, c’est la vie. Il y aura toujours cela. Et on peut s’attrister pour cela, on peut sombrer, on ne peut rien y changer. Il faut punir Bertrand qui est d’ailleurs en prison.

Mais à part cela, on ne peut rien faire. C’est un message. Si j’ai parlé de cela, c’est simplement pour prendre un exemple des choses auxquelles on ne peut rien faire. Et malheureusement, dans la vie, il y a des choses qu’on ne peut qu’accepter. « Le radeau quand il dérive/ L’océan fait sa croix » (Utopie).

Il ne peut rien faire d’autre. Quand je suis triste, que les gens me déçoivent, quand ils me mentent, je m’en fais beaucoup, c’est la vie, ça arrive. « L’oiseau fera son nid », la vie continue, c’est la même chose. Ce sont des exemples que je donne. Et comme c’est quelque chose qui nous a beaucoup marqué, j’ai pris Marie et Bertrand.

7. On ne peut être « Romantique à mort » que si on se love ?

Oui mais ce love, il est double. « Romantique à mort », on a l’impression que c’est une chanson romantique, or, ça parle de sexe. Et en même temps, je veux bien être romantique à condition qu’on fasse l’amour. Et en même temps, je veux bien qu’on fasse l’amour à condition qu’on m’aime. C’est vraiment à double sens. Pour moi, ce love, la première signification que je donne, c’est le serpent qui love. Cette chanson est en fait beaucoup moins romantique que « Jure ! ». La vraie chanson romantique de l’album, c’est « Jure ! ». Je le jure, c’est romantique à mort. Cette façon utopique de l’amour. Rires. Où on sublime le tout... C’est ce que l’on fait quand même, l’amour rend aveugle mais si on n’est même pas aveugle au départ, on n’a aucune arme pour lutter, ça s’envole. C’est ce que je dis, on a le droit de sublimer tout, de l’exagérer complètement.

« Romantique à mort », c’est une chanson très masculine. Parce que les hommes veulent bien être romantiques mais à condition qu’il y ait la suite après. Romantique est une chanson romantique mais dans la façon où l’homme le voit. Mais j’aime bien. C’est comme pour « Sensualité ». Les gens depuis toujours ont collé ce terme sur moi mais ils ont oublié que cette chanson parlait de la sensualité d’un homme. Les gens n’ont jamais pensé à cela. Ils ont toujours pensé « Oh Axelle, elle est sensuelle ». Les gens ne savent pas qu’au départ cette chanson s’appelait « Sexualité ». Je trouvais que ça sonnait un peu brut. Le refrain, c’est très « Sexual healing », « Wake up, wake up, let’s make love tonight”. Le refrain en fait, c’est l’acte. Jamais les gens n’ont pensé à cela, ils m’ont vu comme une fille très sage qui est au maximum sensuelle mais pas plus que cela. Et je trouve cela assez drôle. Cette image, je ne m’en fais pas, je m’en fous mais c’est assez drôle. Même si je vais exploser ça, les gens continuent à me voir comme une fille gentille... Fragile... C’est vraiment très drôle.

En même temps, parfois, ça m’embête un peu que les gens me croient timide. D’où vient cette idée que je suis timide ?

Je vais voir Barroso (José Manuel Barroso, président de la Commission européenne) pour lui demander d’augmenter le budget pour le développement lors du sommet de la Commission européenne devant toute la presse et je l’obtiens. Il ne faut pas être timide à ce moment-là. Je suis mère de trois enfants, je réalise mes clips, je réalise mes albums. Je ne suis pas timide mais les gens continuent à voir ce côté fragile, timide, pas sûre de moi. Je ne suis pas quelqu’un de dur, ça c’est sûr. Pas timide.


8. « Si tu savais » est un chant d’amour pour Janelle, votre fille. Ne craignez-vous pas qu’un jour vos autres enfants vous le reprochent ?

Ah mais non, elles auront toutes leur chanson ! Premièrement, Gloria a déjà une chanson dans l’album précédent même si je ne l’ai pas écrite pour elle mais plutôt l’inverse : je lui ai donné le nom de la chanson. Dans cette chanson, je parle d’une femme forte et ce qui est très drôle, c’est que Gloria est forte. Elle ne me fait pas peur du tout. Quand je lui dis qu’elle est mignonne, elle fait « Pfffffff ». Elle est rock ‘n roll à mort. Tandis que Janelle, c’est quelqu’un qui a une joie de vivre, qui est d’une spontanéité, qui est très très artistique aussi mais qui me fait peur. Elle me fait plus penser à moi en fait... Elle veut plaire et quand on veut plaire, on se fragilise. Alors que Gloria, elle s’en fout de plaire.

La plus grande... C’est avec elle qu’on a les premières expériences. Tu te rends compte que tu as fait un enfant, que tu n’as pas fait un clone. Tu as fait un être humain qui, un jour, peut s’envoler. Tu ne peux que lui donner le meilleur de toi-même, les meilleurs des conseils, puis après le laisser en liberté. Mais c’est douloureux aussi. C’est la vie mais la vie, elle est dure. En même temps, c’est la première pour qui tu as ces craintes de ce monde... de ce monde qui est très beau, je veux lui donner ce message parce qu’elle est née du bon côté, comme je lui dis. Ce monde, déjà, a toujours fait peur, c’est pour cela que je parle des générations d’avant, de ma mère, mais on vit une époque post-Dutrou et plus jamais ils n’auront cette liberté comme la génération précédente a connu. En Belgique, il y a un réel traumatisme et plus jamais on ne retournera en arrière. Le monde, avec Internet, prend une dimension en plus. Les enfants amènent le monde à la maison.

Au départ, cette chanson était en anglais et s’appelait Janelle. Il n’y avait pas encore si tu savais. C’était “Janelle, I have this tale to tell”, “I want to see you fly in an open sky”. A Memphis, je me suis dit « Attends ! Je vais prendre le texte et je vais le transposer sur cette chanson ». Je ne pensais pas la mettre dans le livre. Mais tout à coup, je me dis « Mais si ! Elle va dans ce livre ! » .

Je ne trouvais ça pas honnête d’enlever son nom. C’est pour cela qu’elle est dans le titre. Ce n’est pas une chanson qui parle d’elle pour autant, c’est une chanson qui parle de la vie. C’est une chanson qui est très universelle. Je veux que chaque enfant se retrouve dedans puisqu’il a un parent et que chaque parent se retrouve aussi dedans. Ça ne m’intéresse pas de délivrer mon jardin secret, ma vie privée, mon amour avec mon enfant. Janelle m’a demandé si j’allais l’étrangler quand elle a écouté la chanson. Elle l’a trouvée lourde et trouvait « Gloria » beaucoup plus cool. Et Billie aura aussi sa chanson. De toute façon, elle s’appelle Billie Holiday, elle a déjà les chansons.

9. Un nouvel album, c’est comme un nouvel enfant. Avec ce que celui-ci contient, n’a-t-il pas été plus difficile à lâcher dans ce monde qui vous fait peur ?

Ecoutez, quand j’ai terminé l’album, le fait de l’avoir fait me suffisait. Je n’avais plus envie de le sortir. J’ai eu beaucoup de plaisir à le faire et ensuite, je me sens piégée. J’ai beaucoup de respect pour mon public et j’aime le rencontrer lors des concerts, mais me taper deux ans de promo... Pour arriver à mon public, il faut que je passe par les promos. Que je me livre dans des interviews, chose que je ne fais pas dans mes chansons. Bien sûr, je me livre un peu dans mes chansons mais ce sont aussi des situations universelles. Dans « Pas compliquer » je me livre un peu... Combien de femmes ne mangent-elles pas le dessert de leur homme... parce qu’il ne devait pas en prendre ou on change les plats... Beaucoup de personnes peuvent se retrouver dans cette chanson. Bien sûr, j’emploie le « je » au lieu du « tu », alors on croit que je parle de moi... Qu’est-ce que je disais ? Parce que je passe toujours d’un truc à l’autre, de quoi est-ce que je parlais au début ?

Et moi, je vous écoutais... Hum, je vous demandais si c’était difficile de le lâcher ?

L’envie de le garder... Mais c’est clair qu’on le sort quand même. Je ne suis pas plus fragile qu’une autre mais lors d’une sortie d’album, on se fragilise énormément. On est très susceptible aux critiques et, heureusement, presque toutes les critiques sont unanimes donc je suis rassurée. On se fragilise donc beaucoup mais je n’ai pas besoin d’être une personne publique, je n’ai pas besoin d’être une star. J’ai besoin de m’exprimer et je suis toujours contente quand les gens apprécient mais tout ce travail qui entoure une sortie d’album, j’ai du mal. Je dors souvent mal la nuit en me demandant ce que j’ai encore dit dans l’interview.

Dans mon album, j’ai cherché à trouver le mot juste pour bien faire comprendre ce que j’ai à dire et dans une interview, en une demi-heure, tu parles sans aucun contrôle sur ce que les journalistes écrivent ensuite. Je me sens très très mal avec cela. C’est pour cela que j’ai dit que c’était mon dernier album. Et je le pensais vraiment il y a encore un mois. J’en étais persuadée. Maintenant, je ne le suis plus. J’avoue que le plaisir de pouvoir créer reste et c’est ça aussi mon jardin secret. Tout l’intérieur de l’album c’est de la musique et c’est cela aussi mon jardin secret. Dans le futur, je pense ne faire qu’un ou deux titres. Les gens téléchargent une ou deux chansons ou n’en écoutent qu’une ou deux sur un album alors pourquoi se fatiguer à en faire un entier ? Les programmateurs reçoivent des piles et des piles d’album parce que tout le monde aujourd’hui fait de la musique... Pourquoi se donner encore la peine ? C’est un travail de fou même s’il me donne du plaisir. Si c’est pour être frustrée par la suite parce que les gens ne l’écoutent pas en entier...

Il y a tellement d’artistes qui n’ont plus de contrat aujourd’hui. Le fait que la musique évolue, c’est une bonne chose. Internet, c’est bien mais ça a beaucoup de conséquences tristes pour les artistes... Internet multiplie le travail de l’artiste par trois et personne ne s’en doute. D’une part, le travail est plus grand et d’autre part, il y a plus de chance pour qu’on soit moins regardés et écoutés. Je n’achète pas des albums pour les écouter une fois et les jeter. Notre époque veut cela. On achète pour deux mois et on jette. Comme pour la vie, les partenaires, on les juge et après deux ans, on s’en va. C’est pour cela que cet album, je l’ai fait en nécessaire de thérapie. Même si les choses ne sont pas toutes possibles en ce monde, j’ai mis tout mon positif. Je me suis dit... je vais le faire une dernière fois...

Une dernière fois, sûr ?

Non, ce n’est pas sûr mais plein de raisons font que... ce serait logique... Je n’aime pas être déçue, j’aime rester positive. Je n’aime pas la déception. Je veux que la musique reste une passion, pas une contrainte.

10. Avant de vous laisser le mot de la fin, j’aimerais encore vous demander quelle est la chanson de « Jardin secret » qui se rapproche le plus de vous ?

Toutes. On ne peut pas parler d’une chanson isolée. Chaque chanson existe indépendamment mais l’album fait 15 chansons. J’en ai mis 13 et demie sur l’album et on peut aller en chercher deux avec Opendisc. Les 4 minutes qui restent de « Fruit défendu »...

C’est une chanson que j’ai conçue pour faire l’amour dessus et puis « Paradis » qui explique l’histoire : ce n’est pas une fuite mais un besoin de faire bouger, de faire folâtrer mes pensées et d’aller dans ce paradis, cet Eden ; et en même temps, il y a la chanson « Aphrodisiaque ». Tout cela avec “I had this dream” qui n’est pas dessus non plus mais j’ai mis le texte, tout cela est mon livre. Si on a pris toutes ces chansons, on a vraiment une idée de ce que j’ai voulu dire. Tout cela me ressemble à 100% même si certaines chansons expliquent beaucoup plus comme « Utopie ».

J’y raconte ma déception et pourquoi avoir voulu la transformer en positif : ou bien, c’était devenir cynique parce que je suis quand même un peu déçue quand je redescends sur terre mais je refuse parce que je vais jusqu’au bout et quand j’ai été jusqu’au bout et que je vois qu’il n’y a rien à faire, je dis tant pis. J’ai créé cette sorte de vision utopique de ce monde pour pourvoir justement survivre, pour pouvoir continuer à apprécier la vie. Si l’on prend « Naïve », on comprend aussi. Avec ces deux chansons, je crois qu’on comprend bien la « philosophie » qui existe derrière. Si on veut compliquer, on peut voir aussi le côté auto-dérision.


11. Et bien, je vous offre donc les mots de la fin...

Les mots de la fin... J’ai fait cet album en espérant une sorte de débat. J’ai vraiment essayé de ne pas utiliser un langage trop moralisant. Mais il y a une grande morale dans l’album puisque c’est un album très engagé. C’est vraiment un album qui parle de valeurs. On a tous l’engament moral de ne pas accepter l’injustice qui règne dans le monde. C’est très bien d’inviter le monde au bal de Charité mais son agenda est débordé ! En fait, il commence avec nous. On ne peut pas avoir un monde juste et honnête si dans notre couple, dans les valeurs que nous donnons à nos enfants, avec notre voisin, on n’est pas tolérants, on n’est pas justes, on n’est pas honnêtes. C’est album parle de cela.

Je suis très lourde dans mes propos en interview mais pas dans l’album. On peut l’écouter de plusieurs façons. Il est plus fort que moi. C’est mon engagement. On a aussi un engagement politique et on n’a pas le droit de critiquer si on ne va pas voter.

Notre monde est dirigé par un seul pays au monde et ce pays, non seulement n’est qu’un pays mais en plus leur président n’est représenté que par 15% de sa population. Tout cela parce que les gens ne vont pas voter. Aujourd’hui, on critique beaucoup, c’est très bien de critiquer mais avant de critiquer, il faut voter. Même si on a des critiques, même si on pense que notre avis peut s’exprimer, même si on n’est pas votants, ce n’est pas juste, parce que, quand on ne vote pas, ça joue pour les partis extrémiste, comme l’extrême droite. Et ce ne sont pas des partis démocratiques. C’est important de l’expliquer. Souvent les gens me demandent ce que l’on peut faire mais on a tous ce monde dans les mains. On peut le faire si on se donne la peine de voter. Voilà. Merci.

Merci à vous.

Jardin secret, Axelle Red, Virgin

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