C’est lui ou Moix ! ou comment l’on censure en France :

C'est lui ou Moix ! ou comment l'on censure en France :

Je viens d’apprendre avec dégoût la censure de mon ami Frédéric Vignale, qui prend le risque de m’accueillir sur son excellent Journal Le MAGue. Invité pour enregistrer la prochaine émission de Stéphane Bern, on lui demande in extremis de déguerpir sous le prétexte que sa présence importunerait l’invité vedette, Yann Moix. C’est lui ou Moix !

Je me demande s’il faut davantage blâmer le tocard de l’écurie Grasset ou ceux qui ont cédé à ce chantage. Tout cela, bien évidemment, me rappelle les nombreux épisodes de ce genre que j’ai dû subir. La première fois, ça fait très mal. Vignale déclare dans France-Soir (3 ocrobre 2006) que c’est comme une balle perdue qui vous atteindrait. C’est tout à fait juste. Ma première censure d’écrivain, c’était chez Fogiel en 2004. Le président légalement élu d’Haïti, Jean-Bertrand Aristide, avait été déposé par un coup d’État américain (lourdement) appuyé par la France et la plupart des médias hexagonaux aboyaient en chœur contre l’homme qu’il fallait d’abord accuser de la rage pour ensuite mieux lui maintenir la tête sous l’eau. Fogiel m’avait demandé de préparer avec lui une interview d’Aristide. J’avais exigé d’être sur le plateau (en direct) au moment de la diffusion.

Paf, la société de production de Fogiel, s’y était engagée par écrit en signant un fax que j’ai prudemment conservé. Fogiel enregistra l’interview en ma présence. Tout se passa bien. Un peu trop bien même, car Aristide répondait avec beaucoup d’humour et d’à-propos à toutes les questions évidemment méchantes que Fogiel lui posait, dans le genre : « Êtes-vous un trafiquant de drogue ? Combien avez-vous volé dans les caisses de votre pays ? Êtes-vous l’assassin que l’on dit ? Combien de petits enfants avec vous mangés lors de vos cérémonies vaudou ? » J’exagère à peine. Il en ressortit un sujet évidemment favorable à Aristide qui passait (à juste titre) pour la victime de l’acharnement médiatico-raciste français. Je m’apprêtais, non sans jubilation, à partir pour la Plaine Saint-Denis pour le direct. Un taxi avait même été prévu par la production pour m’y conduire.

Et soudain, mon portable sonne. Un type m’appelle, dégoûté. C’est un jeune journaliste de la rédaction de PAF qui avait passé trois jours à monter le sujet. Déprogrammation de Claude Ribbe et du père Aristide ! Ordre de la chaîne, paraît-il.

Un an plus tard, je vais chez mon éditeur Le Serpent à Plumes / éditions du Rocher présenter aux libraires mon prochain ouvrage, Le Crime de Napoléon. Après la réunion, un inconnu s’approche de moi, place Saint-Sulpice, alors que je bavarde avec mon éditeur, Christian Séranot (d’origine martiniquaise). L’homme écarte rudement Séranot pour me parler en privé. Il ne s’est pas présenté. D’abord, je le prends pour un pandore encarté au FN :

« - Monsieur, je viens d’assister à vote réunion avec les libraires. Eh bien laissez-moi vous dire que je n’aime pas du tout le titre de votre livre, ni la couverture !

- Alors je pense que vous aimerez encore moins le contenu ! mais, au fait, qui êtes vous ?

- Pascal Galodé. Nous venons de racheter la maison d’édition ce matin. Et à présent, c’est moi le patron ! Inutile de vous préciser que je ne m’intéresse pas à tous les auteurs, mais que je suis particulièrement attentif à votre cas »

En effet, Jean-Paul Bertrand venait de vendre Le Rocher le matin même. Craignant que la sortie du livre ne soit sabotée, je trouvai un autre éditeur, Guy Birenbaum, qui accepta avec enthousiasme non seulement de sortir ce livre, mais de publier dès la rentrée un autre de mes manuscrits, Une Saison en Irak.

Christian Séranot fut bientôt remercié. On lui aurait fait comprendre que « Le serpent à Plumes n’avait pas pour vocation de publier trop de noirs ». Galodé serait bientôt licencié à son tour, non à cause de la couleur de sa peau, mais - dit-on - pour incapacité. Le succès du Crime de Napoléon (30 000 exemplaires vendus malgré un dénigrement bien orchestré) ne lui aura pas porté chance.

Troisième censure en septembre 2005, juste avant la sortie d’Une Saison en Irak (Privé). J’y dénonçais - sous une forme romancée - la torture systématiquement pratiquée par l’armée américaine en Mésopotamie. À cette époque, c’était un sujet vraiment tabou, voire dangereux. J’y évoquais également la disparition d’un journaliste français. Mon récit rappelait l’histoire de Fred Nérac, un compatriote volatilisé près de Bassora au printemps 2003 et très probablement criblé de balles par une cinquantaine de blindés US lors d’une opération où de nombreux civils furent mitraillés. La France n’avait jamais trop cherché Fred Nérac. Elle avait préféré se réconcilier avec Washington sur le dos d’Haïti. Comme on s’en doute, les médias aux ordres ne parlaient guère du malheureux journaliste. Le livre devait être lancé par Ardisson, dans son émission Tout le monde en parle. Après avoir lu les épreuves, il avait demandé l’exclusivité aux éditions Privé. Le 16 septembre 2005, je passai une après-midi entière avec son assistante, Gwennaelle Trillat, pigiste pour la société Tout sur l’écran. Finalement, le sujet fut déprogrammé. Motif ? Madame Nérac ne voulait pas venir sur le plateau pour parler de mon livre. Bizarre exigence : un romancier devant être accompagné de quelqu’un qui authentifie son récit ! Au moment même où je me trouvais avec Gwennaelle Trillat, Ardisson faisait la promotion de son dernier essai sur Europe 1. Et là, il s’en prit violemment à un auditeur qui avait téléphoné pour lui rappeler le plagiat qui lui avait valu une condamnation. Furieux, comme on s’en doute, Ardisson reconnut immédiatement en cet auditeur un partisan de Dieusonné ! Comment ? Peut-être avait-il un léger accent.

Et l’animateur royaliste, hors de lui, de se féliciter d’avoir pu « torcher la gueule » à l’humoriste. Y a-t-il eu un lien entre cet incident et ma "déprogrammation" ? Ai-je été pris - couleur oblige faute d’accent - pour un partisan de Dieudonné ? Toujours est-il que quelques semaines plus tard, Ardisson recevait dans son émission Madame Nérac à laquelle personne ne s’était jamais intéressé jusque là. Cette fois, je n’eus pas la chance d’être convié. Du fait de l’exclusivité accordé à Tout le monde en parle, je n’eus aucun article de presse et le livre passa absolument inaperçu. Sauf pour le Quai d’Orsay qui publia un communiqué déclarant - deux ans après sa disparition - que des recherches allaient être effectuées pour savoir ce qu’était devenu Fred Nérac...

Voilà comment on escamote un ouvrage dérangeant. On pensait sans doute que ce serait la même chose pour Le Crime de Napoléon, trois mois après Une saison en Irak. Mais c’était sans compter sur la presse étrangère (et notamment britannique) qui brisa l’omerta française.

Mais ce n’était pas la dernière fois que je serais censuré. Le succès du Crime de Napoléon (Privé) ne m’avait pas mis à l’abri du ciseau et du caviardage. Bien au contraire !

Dans un premier temps, on fut bien obligé de m’inviter pjuisque j’étais cité dans le Daily Telegraph ou le New York Times. On était persuadé qu’il suffirait de lâcher contre moi quelques historiens aux ordres et que la messe serait dite. Mais ce ne fut pas très concluant. D’emblée, l’hagiographe Thierry Lentz avait perdu son sang-froid sur LCI en contestant le fait que les cendres de l’Aiglon étaient entrées aux Invalides portées par des soldats de la Wermacht, ce qui est pourtant attesté par une photographie. « Vous n’y connaissez rien ! s’étranglait-il . »

Alors on décida d’attaquer sous un autre angle : en réduisant mon livre à une comparaison Hitler-Napoléon pour essayer de déchaîner contre moi la communauté juive. On hurla à la concurrence des mémoires (comme s’il y avait un monopole à défendre...). J’avais eu le malheur de rappeler - preuves à l’appui - que Napoléon était un antisémite de la pire espèce. Ce qui ne l’empêcha d’ailleurs pas de vouloir assimiler les juifs de France. C’est alors que je fus très violemment pris à partie par Elisabeth Lévy, Pierre Nora, puis Alain Finkielkraut et même Jean Benguigui qui se déclara juif à l’antenne pour tester ma réaction. Comme je ne suis pas antisémite, la tentative de me faire passer pour tel ne prospéra guère. En revanche, chaque lynchage télévisé m’attirait des sympathies (et des lecteurs). Alors, on ne m’invita plus. Sans pour autant se priver de m’attaquer en mon absence. Dans le dos, c’est moins classe, mais tellement commode. C’est ainsi que, le 14 septembre dernier encore, une émission de radio fut organisée sur France Inter par Patrice Gélinet sur le thème « Napoléon et l’esclavage ». Bien sûr, voilà qui n’avait rien à voir avec mon livre ! Il s’agissait de faire la promotion d’un ouvrage inepte que Thierry Lentz avait bâclé pour répondre au mien. Thierry Lentz, qui ignorait tout du sujet en décembre 2005, aurait réussi la performance de sortir un ouvrage sur la question dès le printemps suivant ! Cinq mois, montre en main ! Non seulement je ne fus pas invité sur France Inter, mais la bibliographie citée excluait bien évidement Le Crime de Napoléon. On pourra le vérifier facilement sur le site de France Inter

Telle est la manière dont on censure impunément sur les ondes du service public.

Ne me sentant pas une vocation limitée à la comparaison Napoléon-Hitler, j’aspirais, bien entendu, à m’exprimer dans le débat qui ne manquerait pas de s’ouvrir lors de la commémoration de l’esclavage, le 10 mai 2006, sur une prétendue « question noire ». À cet effet, un contrat avait été signé durant l’hiver précédent avec les éditions Plon pour un essai intitulé Les Nègres de la République, brûlot assez dévastateur à paraître le 3 mai. Peu de temps avant la parution annoncée (pour que le livre n’ait aucune chance de sortir à temps) Olivier Orban , responsable de Plon , m’adressa un courrier invraisemblable : il avait lu mon texte avec « effarement » ; il ne le publierait pas. Que contenait-il donc, ce livre, qui puisse « effarer » l’éditeur du manuscrit du général Aussaresses (ce qui valut audit éditeur une condamnation pour apologie de crimes de guerre) ? Mettait-il en cause certains amis d’ Olivier Orban ? Vous le saurez bien assez tôt en jugeant par vous mêmes.

Le soir du 10 mai 2006, je fus quand même invité par RFI à débattre avec le président du Cran, Patrick Lozès, une créature de la Françafrique surgie de nulle part pour faire battre entre eux Africains et Antillais. Mais monsieur Lozès, craignant sans doute que je ne lui « torchasse la gueule » en direct, se déclara - comme l’auteur de Podium - importuné par ma présence. RFI s’exécuta avec zèle et me déprogramma une fois de plus. Mais un journaliste inexpérimenté eut l’imprudence de m’expliquer les détails de cette censure dans un message téléphonique très édifiant qui circula sur le net.

Qui ? Moi ? Paranoïaque ? Mon précédent éditeur, Guy Birenbaum, a récemment déclaré sur son blog être l’objet de « reproches » incessants pour avoir publié Le Crime de Napoléon. D’où viennent ces reproches ? L’éditeur se contente de préciser qu’ils sont le fait « d’ennemis, d’amis, de confrères » dont, sans doute, la publication des noms poserait problème. Ces pressions ne sont sûrement pas imaginaires puisque Guy Birenbaum se croit obligé de préciser, pour se dédouaner, qu’ « à titre personnel », certains passages du livre l’auraient « dérangé ». Tous ceux qui ont vu l’allégresse affichée par le patron de Privé à l’époque de la publication du Crime de Napoléon peuvent attester qu’il ne semblait guère « dérangé » par la moindre virgule. Sans doute a-t-il gardé ses reproches par devers lui, le temps de la publication : une délicatesse qui l’honore et dont je le remercie. J’espère juste qu’il m’indiquera un jour les passages... incriminés, c’est le cas de le dire. Guy Birenbaum , qui passe pour un éditeur courageux, se fera-t-il un point d’honneur - passant outre les mots dont on saura après coup qu’ils étaient dérangeants - de publier le manuscrit qui a « effaré » Olivier Orban ? C’est l’avenir qui le dira.

Signalons en attendant le coup d’éclat d’Olivier Pétré-Grenouilleau, historien pour le moins controversé et actuellement poursuivi en justice par deux associations pour ses propos révisionnistes sur l’esclavage et la traite. Il vient d’être embauché par Le Monde des Livres pour assurer - en toute "objectivité" - la chronique des essais historiques. Est-ce un hasard si la première critique de M. Pétré-Grenouilleau (Le Monde daté du 28 septembre 2006) est un éloge appuyé du livre du bien-pensant Daniel Lefeuvre stigmatisant, à l’instar de Bruckner, la « repentance coloniale » ? Point de vue bien étrange, pour un homme naguère si chaleureusement défendu par Jean-Marc Ayrault, maire de Nantes et par Lionel Jospin ? Bien évidemment, on ne peut soupçonner Pétré-Grenouilleau d’être partial dans ses critiques ! De fait, en ce qui me concerne, je n’ai pas attendu l’auteur des Traites négrières pour être lynché dans Le Monde. J’ai même réussi la performance d’être quasiment insulté dans un article qui ne concernait même pas mon livre. Ainsi fus-je interpellé par un certain Philippe-Jean Catinchi. Il est vrai que ledit Catinchi se produisait volontiers en faire-valoir de Pétré-Grenouilleau, lors de conférences à la Fnac où l’on me réglait mon compte entre amis (voir à ce sujet la relation d’un témoin, Allain )

Catinchi a cru utile de vomir sa bile dans "Le Monde des Livres" du 3 juin 2006, à l’occasion d’un papier, évidemment dithyrambique, qu’il consacrait au livre de Thierry Lentz. Pas de mots assez élogieux pour glorifier l’apologie du criminel esclavagiste signée en catastrophe par le directeur d’une fondation Napoléon financée par... les menuiseries Lapeyre. Oui, celles qui transforment les forêts africaines en bois « exotique ». Lapeyre, y’en a pas deux ? Si, dans les forêts d’Afrique, il y a également la Becob, ex-société de Bernard-Henri Lévy rachetée par Pinault (propriétaire de la Fnac) et au conseil d’administration de laquelle siègerait -dit-on- Olivier Orban.

Alors, Guy Birenbaum défendra-t-il Claude Ribbe, l’auteur qui a assuré, paraî-il, 15 % du chiffre des éditions Privé en 2005 ? Bravera-t-il la censure en osant publier son « effarant » manuscrit, Les Nègres de la République ? Et le courageux Stéphane Bern, l’invitera-t-il, ce Ribbe, dans son émission pour parler de la censure aux côtés, bien sûr, de Frédéric Vignale ? Quel suspense, en attendant !

Photo de Agnès Caporal : un moment de complicité entre Aimé Césaire et Claude Ribbe

Photo de Agnès Caporal : un moment de complicité entre Aimé Césaire et Claude Ribbe