"Nous sommes cernés par les cibles"

"Nous sommes cernés par les cibles"

Ma première rencontre avec André Minvielle, transfuge de la Compagnie Lubat, vocalchimiste capable de passer du blues à l’accordéon, de la trompette aux percussions, eut lieu à Uzeste, en Occitanie « sous-réaliste destroy rurale » en compagnie du jazz-gascon Bernard Lubat.

Ma première rencontre avec Serge Pey eut lieu au Marché de la poésie, l’équivalent du Mercato footbalistique où s’effectuent chaque année, au mois de juin, les transferts de poètes d’un éditeur à l’autre. Sur scène, en compagnie d’un musicien noir, Serge Pey secouait la nuit, dans une transe de mots, agitant son bâton et ses grelots, psychomage et poète-guérisseur, un bâton dans la main sur lesquels sont inscrits ses poèmes, pour toucher et lier le ciel à la terre, et vice-versa.

Tous deux sont des chanteurs au sens où Serge Pey, ami de Ginsberg, initié au peyotl, troubadour et incroyable chaman du souffle, dit « champteur » car le poète est créateur de « champ ».

Nous sommes cernés par les cibles est le fruit de leur union manifeste bruyante, utopiste, musicale et politique, dans la grande tradition de la poésie protestataire. Porté par le souffle des troubadours, les soixante minutes que dure l’album, Serge Pey et André Minvielle offrent leur acte d’amour et de révolte, dans une écriture poético-libertaire, épidermique, hypnotique, chamanique, poétique, animale, somptuaire. Nous sommes cernés par les cibles est une déclaration d’amour et de guerre. Sorte de Radio Bemba rurale aux senteurs d’Afrique. On y retrouve des pans de la scansion hiphoppée d’André Minvielle ou des chants scatjazzrap d’occitanie de la Compagnie Lubat.

Des souffles comme venus de terres lointaines, des airs populaires et organiques, rhizomiques, qui plongent leur racine dans la communion avec la tradition orale. Troubadours, chamans, guerriers du sens et de la voix, hommes de bouche et hommes de bras, luttes en cours et à venir, poème en marche verticale. « Graffiti n° 1. Dans un pays où l’on dresse une statue pour la liberté seules les statues sont libres. »

Dans une époque qui ne lit plus ses poètes, le seul recours du poète est de prendre son bâton et ses grelots et de venir couvrir les bruits de la rue et les déflagrations de l’information en continu. La poésie n’est plus un genre en cours hormis dans sa tradition orale et musicale, de William Burroughs - il faut absolument redécouvrir le gigantesque album Spare ass Annie, en compagnie des Disposable heroes of Hiphoprisy - au rap créole du nonchalant Sir Bruno Beausir, alias Doc Gyneco, sans oublier le slam rageur du prophète-poète hip hop Saul Williams.

« Parfois on mange une soupe de fleurs avec caillou noir qui remplace le pain. »
« La poésie n’est pas une solution. Aucune solution n’est une poésie. »

Serge Pey retourne les phrases comme des gants, joue avec le mot exsangue à coquille dure, la casse, le frappe, en sort le jus, et en donne la chair comestible aux oreilles du passant.
« Parfois les questions tournent comme des cordes et attachent d’autres questions. »

« Graffiti n° 19. Dans un pays où les poètes sont enfermés dans les prisons seules les prisons sont libres. »
Nous sommes cernés par les cibles est un voyage dans la nuit des mots-dits, une radio-pirate qui vient à l’abordage de l’air du temps. Rappelons enfin que Nous sommes cernés par les cibles fut avant tout un texte d’Agit-prop, dit au mégaphone et proféré au bord de la Garonne dans une action dédiée à Porto Alegre.

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Nous sommes cernés par les cibles, Serge Pey & André Minvielle, Edition du Tilleul/Labeluz

Nous sommes cernés par les cibles, Serge Pey & André Minvielle, Edition du Tilleul/Labeluz