La Mort de l’asile

La Mort de l'asile

La vie de Jacques Lesage de La Haye, 68 ans, se confond avec l’histoire des luttes contre l’enfermement dans les prisons et dans les hôpitaux psychiatriques. Avec La Mort de l’asile, publié aux éditions Libertaires, il revient sur des périodes à la fois tourmentées et fécondes.

Issu de la noblesse bretonne par son père et normande par sa mère, Jacques Lesage de La Haye s’est vite rebellé contre son milieu. Dès l’âge de 15 ans, c’est la fureur de vivre, les mauvaises rencontres, la passion selon saint Rock ‘n’ roll... Confondant anarchisme et gangstérisme, Jacques va enchaîner braquages et vols de voitures. Fin de l’épopée en 1957. Cinq jeunes loulous se font serrer par les flics. Parmi eux, Jacques et son frère Jean-Paul. À 20 ans, Jacques est condamné à vingt ans de réclusion. Si Jean-Paul sombre dans la folie après dix-huit mois d’incarcération, Jacques s’accroche à sa révolte pour survivre. Il passe son Bac en prison et décide de devenir psychologue.

Libéré de la maison centrale de Caen en octobre 1968, Jacques ne sait pas grand-chose du monde réel. Les braquages étant exclus, il doit bosser pour continuer ses études et passer son DESS de psychologie. Tout est bon. Docker, débardeur des halles, déménageur et même videur au Golf Drouot, le temple du rock. Finalement, en 1971, Jacques sera embauché comme psychologue à l’hôpital de Ville-Evrard. Il y restera jusqu’en 2003. Parallèlement, il sera chargé de cours de psychologie à Paris VIIII.
Jacques n’abandonnera jamais son cap pour autant.

Sa vie professionnelle et son engagement militant sont marqués par la lutte contre l’enfermement. En 1971, il rejoint le Groupe information prisons (GIP) qui s’est créé avec Michel Foucault. Il sera bien sûr dans l’aventure du Comité d’action des prisonniers (CAP) créé par d’ex-taulards comme Serge Livrozet, autre libertaire. En 1978, sa thèse de doctorat sur la frustration affective et sexuelle des détenus aboutira, aux éditions Robert Laffont, à la publication du livre La Guillotine du sexe, un ouvrage référence. Dans le même temps, Jacques lutte dans le mouvement antipsychiatrique. Des engagements qui vont au-delà des discours. Entre 1970 et 1978, sa femme et lui hébergeaient des jeunes de 17 à 30 ans dans leur trois-pièces de la Porte d’Orléans. Délinquants, toxicos, malades mentaux, sortants de prison ou de psychiatrie pouvaient rester là quelques jours ou plusieurs mois. Près de soixante-dix jeunes sont ainsi passés par cette bonne adresse. Intellos, journalistes, médecins s’installaient aussi souvent autour de la table ouverte du dimanche. C’était l’époque des expérimentations libres. Le petit appart devenait en quelque sorte un laboratoire de l’antipsychiatrie et des alternatives à la prison.

Formateur à l’Ecole des parents et des éducateurs depuis 1971, Jacques anime toujours des groupes de parole pour les détenus. On y cause parentalité, intimité, sexualité...
Dans La Mort de l’asile, l’ex-taulard devenu psychologue et analyste reichien, retrace son parcours turbulent. On y croise naturellement les combats de groupes radicaux comme le Groupe information asiles (GIA) et Marge, mais aussi des expériences comme celle de la clinique de la Borde ou du réseau alternative à la psychiatrie. Jacques commente également son quotidien professionnel, les contradictions, les hypocrisies et les blocages auxquels il s’est heurté. Des portraits de « malades » émergent avec humanité. Au fond, pointe la grande question : qui est « fou » ? Le système schizophrène dominant ou ceux et celles qui refusent de se soumettre, de marcher au pas ? Et qui décide du sort des « fous » ? Les réponses sont multiples d’une époque à l’autre, d’une région du monde à l’autre. Fosse aux serpents, nef des fous, N’Doep, cure de Sakel... A chacun son truc.

La Mort de l’asile, c’est aussi une plongée dans l’effervescence des années soixante-dix. L’époque de Sexpol, du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), du SPK allemand, de l’AERLIP et de Garde-Fous, de Handicapés méchants... On croise au fil des pages l’ombre des Roger Gentis, Franco Basaglia, David Cooper, Mary Barnes, Félix Guattari, Wilhelm Reich, Georges Devereux, Claude Sigala, Lucien Bonnafé...

Mais, au fait, de quoi l’asile est-il mort ? Ce ne sont pas les manifestes antipsychiatriques qui ont eu raison de lui. Ce ne sont pas non plus des raisons philosophiques et humanitaires qui ont conduit l’Etat à abandonner sa politique asilaire, mais des motifs économiques ! Les déficits financiers des structures hospitalières ont conduits à la « libération » des internés.

Ceux-ci se retrouvent aujourd’hui à la rue, seuls avec leur pathologie, et vont rejoindre les légions de SDF. Une logique qui fait que les malades mentaux représentent par ailleurs 30% de la population carcérale. Un jeu de vases communicants aberrant qui intervient au moment où la pensée et l’action alternatives sont quasi éteintes. Il est difficile de mesurer le recul idéologique des trente dernières années tant il est immense.

Dans ce contexte, le livre de Jacques Lesage de La Haye est un livre de combat pour ceux et celles qui ne désarment pas. Pour ceux et celles qui souhaitent toujours construire une société harmonieuse, attentive aux autres, sans forts ni faibles. « Le seul espoir qui nous reste est une politique du désir et de la liberté », termine l’auteur. Combat désespéré ou challenge... de fou ?

Jacques Lesage de La Haye, La Mort de l’asile - Histoire de l’antipsychiatrie, éditions Libertaires/éditions du Monde libertaire. 10 euros.
Plus d’informations sur site
Contacts : editionslibertaires@wanadoo.fr
On peut retrouver également Jacques Lesage de La Haye dans l’émission Ras-les-murs diffusée sur Radio libertaire (audible sur Internet)

Jacques Lesage de La Haye, La Mort de l’asile - Histoire de l’antipsychiatrie, éditions Libertaires/éditions du Monde libertaire. 10 euros.
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On peut retrouver également Jacques Lesage de La Haye dans l’émission Ras-les-murs diffusée sur Radio libertaire (audible sur Internet)