Une caricature de l’islam par Benoît XVI

Une caricature de l'islam par Benoît XVI

La provocation de Benoît XVI envers les musulmans semble avoir réussi, dans la lignée des caricatures de Muhammad. Cette nouvelle attaque contre l’islam, caricaturale elle aussi, provoque remous et protestations en terre d’islam, instrumentalisées comme d’habitude la plupart du temps à des fins politiques. Prenant une position identique à celles de journalistes incultes voire racistes, Benoît XVI, « autorité spirituelle » du catholicisme, forge une nouvelle caricature de l’islam, consubstantielle du débat théologique orthodoxe entre chrétiens et musulmans, depuis des siècles.

Bien loin de vouloir pacifier le discours inter religieux, il se fait le porte étendard à la mode de l’inconscient collectif occidental, qu’il soit européen ou américain, et colporte les messages en vogue dans le but de redorer le blason d’un catholicisme moribond, luttant désespérément contre ses deux plus grands « ennemis » actuels : l’islam vivace dans toutes ses formes, et les autres branches, vivaces elles, de la chrétienté, notamment protestantes et évangéliques. Il récrée, somme toute, le vieux débat polarisé de l’orthodoxie des religions en se plaçant sur le terrain du mépris, du mensonge et de l’assimilation la plus indigne à la fois d’un théologien doublé d’un intellectuel. Ce genre de débats finit toujours par nuire à toutes les religions, mais il ne semble pas assez sage pour l’avoir compris.

La vérité sur le sens de la jihad

Le Coran, soumis à près de quatorze siècles de commentaires et d’exégèses, définit la « jihad » de deux façons :
— la « grande jihad », soit la guerre spirituelle contre ses propres travers, le chemin vers Dieu au travers de perfectionnement de soi, la voie de la spiritualité ;
— la « petite jihad », soit la défense par les armes de la révélation de Muhammad du temps de Muhammad.

La « petite jihad » est d’une importance très minime dans le Coran pour une seule raison simple : Muhammad était un prophète et donc « autorisé par Dieu » dans ce contexte à défendre par les armes sa religion révélée. Bien entendu, s’il est tout à fait possible de contester cette légitimité de faire la guerre, comme on contesterait la légitimité des croisades de la même façon, mais ce débat est un débat de théologiens, donc d’analyse théologique de l’histoire des religions. La Bible, tout comme de nombreux autres textes saints, comme la Bhagavad Gita, donnent un sens religieux à certaines guerres. Il ne faut, bien entendu, ne pas interpréter ce sens comme une invitation au meurtre.

Car, dans le cas de l’islam, tout le monde n’étant pas le prophète Muhammad, personne, aujourd’hui, n’a le droit, au sens du Coran, de tuer au nom de Dieu.

Bien entendu, ces explications simples ne sont utilisées ni par les extrémistes de prétexte musulman, dont les buts sont souvent politiques, les « islamistes » comme on les nomme en Occident, ni par les adversaires de ces extrémistes, enivrés des mêmes mots, des mêmes doctrines et des mêmes confusions regrettables. Ainsi lutter contre l’islamisme en empruntant ses arguments ressemble fort à une légitimation de ce dernier, au grand dam de la majorité du monde musulman.

Le symbole de la spiritualité musulmane

Les islamistes musulmans interprètent à la lettre la Petite Guerre à des fins politiques. Cette interprétation est fausse. Lorsque Benoît XVI interprète lui-aussi la jihad par la Guerre Sainte, il méprise, en connaissance de cause, par « mauvaise foi » si je puis dire, le symbole de la spiritualité musulmane qu’est la jihad.

La jihad est la guerre que l’on doit faire contre soi-même pour se parfaire et devenir bon, pour devenir un homme capable de pardon, pour aller vers certains des « attributs » de Dieu, comme on les nomme dans la spiritualité musulmane, par exemple dans le soufisme. C’est une des caractéristiques fondamentales de l’islam : chaque prophète, qu’il soit Moïse, Jésus ou Mohammed, n’est pas vénéré, et chaque croyant, menant sa propre jihad a une chance de nouer un lien direct avec Dieu au travers de cette guerre contre soi-même.

Mais, si les islamistes haïssent la spiritualité musulmane, cette attaque de Benoît XVI montre le catholcisme lui aussi, ne supporte pas d’envisager ce rapport direct avec Dieu. Pourquoi ? Parce que quand une personne est en rapport direct avec Dieu au sens spirituel du terme, elle n’obéit plus à des chefs humains.

C’est donc l’esprit spirituel de l’islam qui est attaqué par Benoît XVI, cet esprit qui est rabaissé par assimilation au rang de sauvagerie. La manipulation est grossière pour qui connaît un peu l’histoire des religions et l’ancienneté de ce débat ainsi que l’usure de ces arguments (on pourrait dire la même chose des attaques de l’islam orthodoxe contre la chrétienté en général). Mais dans un contexte comme celui de l’Europe, ou islam équivaut à islamisme, ou peur de l’islamisme équivaut à racisme anti-arabe, Benoît XVI compte bien faire retrouver un peu de popularité à un catholicisme en perte de vitesse.

Ainsi, il rabaisse les musulmans en les confondant avec les islamistes, provoquant incompréhension chez les musulmans modérés, incapables de croire à une telle gaffe de la part d’un souverain pontife réputé fin théologien, et haine chez les musulmans orthodoxes qui ont de nouveaux arguments pour accuser l’Occident de les haïr, eux en tant que peuple, en tant que religion et en tant que culture.

Gardons la tête froide

Si Benoît XVI prend exemple sur l’ayatollah Khomeyni afin de recruter de nouveaux catholiques, nous pouvons le laisser faire, tout en gardant la tête froide. Il est assez grand pour comprendre et assumer les conséquences de ses actes, et la petitesse de son intervention provocatrice et opportuniste. Toute religion est par essence tolérante et si le catholicisme des croisades n’a rien à envier aux islamismes actuels, la tolérance de l’autre devrait être le seul principe d’un pape.

Quelques conseils, pour finir, à ceux qui auraient tenu jusqu’au bout de cet article :
— aux athées et agnostiques, je conseillerais de ne pas profiter du nouveau (mais bien récurrent) prétexte actuel pour faire de Benoît XVI un symbole de la vérité ou du renouveau du catholicisme, ou pour attiser plus encore leur haine ou leur incompréhension du fait religieux ;
— aux chrétiens, je conseillerais de poursuivre le dialogue inter religieux sans se sentir solidaire de propos agressifs et caricaturaux, qu’ils viennent de l’Orient ou de l’Occident ;
— aux musulmans, je conseillerais de recevoir cette vile attaque avec le flegme indifférent des soufis ;
— à tous, je conseillerais de lire des livres sur l’islam et sur l’histoire des religions en général, et de lire le Mague au lieu d’apprendre le monde en ne lisant que le journal du même nom ou en ne regardant que les journaux télévisés.