Conversations sur la guerre : de l’histoire et de son enseignement (2/3)

Conversations sur la guerre : de l'histoire et de son enseignement (2/3)

...Or, pour certains mouvements panafricanistes, Adandozan représente tout un symbole de modernité difficile à cacher d’ailleurs par ses propres détracteurs. Il fut le premier souverain dans le monde entier à abolir, par le refus de vendre, la traite négrière ; ce qui constituait, en 1800, sinon une folie au vu des intérêts en jeu, du moins une vaillance sur laquelle ces mouvements pensent tout aussi innocemment qu’il faut prendre exemple. Bien entendu, cette version de l’histoire n’est pas celle qui transparaît dans le récit et le film que je viens d’évoquer ni dans l’histoire qu’on enseigne. La conspiration contre Adandozan et sa déchéance qui introduisirent la notion de coup d’État dans une nation du golfe du Bénin précolonial avait pour unique motif, non de libérer le peuple aboméen de la cruauté d’un roi, mais de remettre en danger permanent tous les peuples de la région précédemment soumis aux razzias des chefs aboméens qui s’illustrèrent comme les plus grands chasseurs d’esclaves de toute l’Afrique de l’Ouest.

La témérité d’Adandozan, contrairement à Saddam Hussein qui fit détruire son propre armement par l’ONU avant d’être attaqué par les Américains (et leur appendice du Royaume-uni), est non seulement d’avoir mis fin unilatéralement à la traite, mais d’avoir emprisonné le plus grand négrier de l’époque qui, après son évasion, constatera que la position d’Adandozan était entérinée par les « nations civilisées », une situation qui inquiéta sa propre carrière. Dès lors, Chacha n’avait que deux choix : ou retourner en Amérique pour devenir un simple citoyen en perdant la puissance et le prestige que lui conférait sa carrière, ou s’imposer sur Abomey en renversant son ennemi juré qui n’aurait dû être que son vassal au regard des rapports des force de l’époque. Il choisit la deuxième solution en prenant un grand risque, l’armée étant entièrement dévouée à Adandozan. Ainsi naquit, près de Grand-Popo, la première armée de femmes que Chacha entraîna dans la plus grande sévérité et qui sera maintenue par les rois d’Abomey en tant qu’elle représente une véritable machine à tuer.

Et pour aborder les questions qui divisent, certains panafricanistes attribuent à Adandozan le mariage avec une femme blanche, européenne, et affirment qu’il s’agissait d’une imprudence qui lui aura été fatale là où d’autres voient une preuve de son ouverture.

Qui ose croire qu’aujourd’hui le commerce triangulaire a disparu et non qu’il se transforme comme depuis le début en changeant soit les sommets du triangle, soit les objets du commerce ? Qui ne veut pas admettre, en dépit de la réalité du vocabulaire, que l’or noir d’aujourd’hui, le pétrole, équivaut à l’or noir d’hier, l’esclave ? Que les souverains arabes ont exactement le même type de rapports avec les firmes occidentales d’exploitation de pétrole que les rapports qu’avaient les souverains nègres avec les négriers ? Qui refuse de rêver que, même Saddam Hussein vaincu, cette guerre en soi représente un aveu de désespérance de la société occidentale capitaliste et que de toute façon, elle va changer les rapports entre les nations, non seulement dans cette région mais dans le monde entier ? Quel sera l’or noir de demain ? Il me semble que cette question devrait préoccuper dès à présent « les restes du monde », je veux parler des sous-développés qui sont les seuls dans ce triangle à n’avoir pas pris encore les devants. Leur émergence sera encore plus terrible à l’humanité car ils auront à se venger à la fois d’humiliations successives inscrites dans la précipitation de leur histoire.

Je comprends le message de Huenumadji Afan dans sa chronique de la semaine. Je le partage même. Pour moi, il stigmatise l’incongruité de l’ONU et son incapacité notoire à régler quelque problème que ce soit. Ce machin des vainqueurs d’une autre guerre est aujourd’hui si vétuste qu’il est terrible de lui accorder quelque crédit que ce soit, surtout quand on est classé en dehors de l’histoire, quand on fait partie des « restes du monde ». Mais je suis contre cette guerre parce que son prétexte, son initiative, son déclenchement, sa finalité et ses péripéties reposent sur du mensonge, reposent sur la plus grosse des qualités du « monde civilisé », sur le principe même de l’histoire qu’on enseigne.

Quand il méprise l’opposition de certains États européens, j’ai envie de lui dire oui, car, en suivant de l’intérieur la propagande qui se fait autour de cette guerre, on ne peut tirer d’autres conclusions que la sienne, à savoir que ces États n’ont rien à foutre de la démocratie en Irak et que chacun, finalement, en profite pour se positionner. Mais je continue de faire une restriction à la position initiale allemande que je trouve aussi franche que celle du pape. La préoccupation allemande depuis le début est non seulement le financement de cette guerre, mais sa futilité au regard de ce que l’Irak ne constitue une menace pour personne. Bien entendu, en Allemagne comme en France, le refus affiché par les hommes d’État est trahi par une collaboration militaire douteuse qui nous ramène à la conclusion de Huenumadji Afan. Je continue de croire au génie créateur de beaucoup d’artistes américains dont la position par rapport à la guerre s’explique par l’expérience acquise à travers le traitement de sujets qui dépassent le cadre de leur nombril.

Pour moi, cette guerre est une démonstration de ce qu’est en son principe la démocratie : une monarchie absolue fondée sur une manipulation absolue de la masse dont tout le monde sait qu’elle n’a pas forcément raison et dont tout le monde se targue parce qu’elle constitue, avant tout, la seule légitimité. Dans l’Irak de Saddam Hussein, si peu démocratique, c’est au contraire cette masse qui se bat pour son président contre l’agression occidentale pendant que les médias occidentaux témoins continuent de répandre le spectre d’un tyran et que la masse occidentale suit avec des slogans du genre « ni Bush ni Saddam ». Soyons sérieux : si Saddam est un tyran, il n’y a plus aucune raison de s’opposer à cette guerre quand le peuple a choisi et continue de choisir son tyran.

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