Hommage à Daniel CECCALDI !!

Hommage à Daniel CECCALDI !!

Rencontre avec Daniel Ceccaldi, chez lui, à Neuilly. En 1964, Truffaut l’engage sur La Peau douce. Puis dans Baisers Volés et Domicile Conjugal où il incarne le père de Claude Jade. Daniel Ceccaldi se souvient du plaisir à tourner avec lui qu’il n’a jamais retrouvé depuis.

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Comment Truffaut vous a-t-il engagé pour jouer dans La Peau douce ?

Philip de Broca - son 1er assistant sur Les 400 coups - avait montré à Truffaut des rushs de L’Homme de Rio où je jouais un petit rôle. François m’a repéré et m’a donné rendez-vous dans son bureau des "Films du Carrosse". A l’époque je connaissais presque toute la bande des Cahiers du cinéma (Chabrol, Godard, Brialy…) - sauf Truffaut. Quand je suis arrivé, j’ai tout de suite remarqué, trônant dans l’entrée, une énorme photo de Guitry quelques mois avant sa mort. Truffaut m’a lancé : "Oui, je lui devais bien ça. J’ai tellement était méchant avec lui dans mes critiques..." Il admirait beaucoup Guitry. François avait beaucoup de charme : je me souviens d’un homme discret au regard intense et malicieux. Il m’a montré le scénario de La Peau douce sans me le donner. Il préférait convaincre les acteurs d’accepter le rôle plutôt que de leur faire lire le scénario.

Comment dirigeait-il ses acteurs ?

Pour un acteur, travailler avec lui c’était le rêve : les tournages étaient délicieux ; François était toujours heureux, déconneur, jamais stressé. On s’amusait beaucoup. Il y avait un plaisir à tourner avec lui que je n’ai jamais retrouvé depuis. Sur La Peau douce, François écrivait souvent les dialogues une heure avant de tourner, ce qui rendait fou Jean Desailly. Je me souviens que le son n’était même pas enregistré : il n’y avait ni perchman ni ingénieur du son. Il pensait que la présence du micro influençait la prise de vue et que selon son emplacement, il modifiait le jeu des acteurs. Le film fut donc entièrement post-synchronisé : les sons furent rajoutés au montage. Desailly, trop habitué aux tournages luxueux des films de Delannoy, Grangier ou Autant-Lara, n’en revenait pas. Il était hors de lui. Alors pour lui faire plaisir - et en même temps pour se moquer - je me souviens que François est venu un jour sur le plateau avec un petit magnétophone d’amateur ! François s’entendait mal avec Desailly. Au départ, il voulait prendre François Perrier qui n’était pas libre. Finalement il a choisi Desailly pour son côté veule, mais ses airs de "premier prix de conservatoire", presque "anti-nouvelle vague", agaçaient François. Inversement, Jean avait été perturbé de ne pas avoir eu de scénario précis. Ça ne correspondait pas à sa formation classique. En ce qui concernait les scènes, François me disait parfois : "si vous avez des idées de dialogue ou des trucs qui vous passe par la tête pour une scène, je suis client." Il arrivait, en effet, qu’au dernier moment il rajoute des choses qu’il venait d’entendre. Mais jamais les dialogues n’étaient improvisés. Comme nous étions pour la plupart des acteurs de théâtre, c’était un moyen pour lui d’éviter que l’on joue de façon trop mécanique. Quand j’ai connu François, lui et ses copains des Cahiers du cinéma détestaient le théâtre. Pour la bonne et simple raison que Jouvet méprisait le cinéma. Je me souviens qu’ils ont commencé à tous aller au théâtre le jour où ils ont vu un documentaire dans lequel Orson Welles - leur maître - évoquant ses débuts sur scène, faisait l’apologie du théâtre !

Ses autres films étaient tournés sur le même mode ?

Au niveau technique, François avait évidemment changé. Sur Baisers Volés, il y avait une équipe de cinéma normale avec un perchman, un ingénieur du son, etc… Sa façon de travailler, elle, était toujours la même. François indiquait très peu de choses aux acteurs mais ce qu’il obtenait était toujours juste. La grande qualité qu’il avait, c’était ce calme, cette confiance qu’il nous transmettait. Il avait un grand respect, une grande admiration pour les acteurs. Dans Domicile Conjugal, François voulait réhabiliter les seconds rôles tels qu’il y en avait dans les films français des années 30-40 : les Carette, les Aimos, les Saturnin Fabre… Sur le plateau, François avait cette faculté d’être très ouvert, très présent tout en étant préoccupé par autre chose. Je me souviens que pendant le tournage de Domicile Conjugal, il préparait la sortie de son film précédent, L’Enfant sauvage. Parfois, il quittait le plateau entre deux scènes ou entre deux plans pour descendre passer des coups de fils ou voir des gens dans son bureau, situé trois étages en dessous de l’appartement où nous tournions. Il remontait quelques minutes après et on reprenait le travail. Pendant le tournage, on pouvait parler avec lui d’un tas de choses. Souvent, il me racontait des sujets de films qu’il recevait. Par exemple, l’histoire d’un type qui devient amoureux d’un canard. Cette idée l’a tellement amusé qu’il l’a replacée dans mon dialogue. François était un "ramasse miettes". Il prenait énormément de notes sur ce qu’il entendait ou voyait afin de s’en resservir dans ses films. Il était curieux de tout et de tous. Je l’ai croisé dans la rue quelques mois avant sa mort. Je ne l’ai pas reconnu tout de suite. Il avait une casquette enfoncé jusqu’aux yeux, un peu comme le Kid de Chaplin. Il avait des projets d’écriture. C’était très émouvant. A sa mort, je m’en suis voulu de ne pas avoir assez passé plus de temps avec lui.

Propos recueillis par Alexandre Moix dans « Téléobs - Nouveau Cinéma » du 11 au 17 Novembre 2000

Filmographie sélective :
· 1948 : Le Diable boiteux (Guitry)
· 1964 : La Peau douce (Truffaut)
· 1968 : Baisers Volés (Truffaut)
· 1970 : Domicile Conjugal (Truffaut)
· 1972 : Les zozos (Pascal Thomas)
· 1973 : Pleure pas la bouche pleine (Thomas)
· 1985 : L’amour en douce (Molinaro)

Filmographie sélective :
· 1948 : Le Diable boiteux (Guitry)
· 1964 : La Peau douce (Truffaut)
· 1968 : Baisers Volés (Truffaut)
· 1970 : Domicile Conjugal (Truffaut)
· 1972 : Les zozos (Pascal Thomas)
· 1973 : Pleure pas la bouche pleine (Thomas)
· 1985 : L’amour en douce (Molinaro)