Claude Sautet et Philippe Sarde, le maître de musique

Claude Sautet et Philippe Sarde, le maître de musique

Nous avons rencontré son ami et fidèle compositeur, Philippe Sarde. Des « Choses de la vie » à « Nelly et M. Arnaud », il a signé la musique de tous ses films.


Comment avez-vous rencontré Claude Sautet ?

Philippe Sarde : Sautet voulait reprendre George Delerue pour la musique des « Choses de la vie ». C’est lui qui avait composé la musique du premier film de Claude, « Classe tous risques ». Mais Delerue n’était pas disponible. Un des producteurs des « Choses de la vie » lui a donc parlé de moi.

Un matin, Claude Sautet a débarqué chez mes parents. J’étais en pyjama. C’était en 1969, j’avais 19 ans. Nous avons discuté de cinéma pendant une heure. En fait, j’étais beaucoup plus cinéphile que lui, et lui plus musicologue que moi. J’ai dû lui plaire. J’étais littéralement né dans une fosse d’orchestre : ma mère était chanteuse à l’opéra, j’ai appris la musique à 3 ans. A 9 ans je rentrais au conservatoire de Paris. A 15 ans j’étais déjà musicalement un adulte. Enfant, j’étais hypnotisé par le son qui sortait des films. Déjà je m’amusais à les scénariser musicalement : je me projetais un film en 8mm sans le son et j’improvisais la musique au piano. Ce n’est que plus tard en les revoyant que je découvrais leur vraie musique. Finalement, c’est grâce à ma rencontre avec Sautet que j’ai pu concilier ma passion pour la musique et le cinéma.

Claude Sautet m’a fait confiance. Il a un peu géré ma carrière pendant les sept premières années. Il était toujours là pour me conseiller. Me dire d’accepter de composer la musique de tel film, de ne pas le faire pour tel autre, etc... Tel un père avec son fils.

Quels étaient vos rapports avec Sautet pendant la préparation d’un film ?

Nous avions des rapports scénaristiques. On parlait beaucoup du film avant, pendant et après et aussi du sens de la musique. A quoi va-t-elle servir dans le film ? Je devais m’adapter à son caractère, à son ton. Comme il était très « musicologue », Claude me donnait des indications. Pour une Histoire simple, il voulait quelque chose de grave, de chantant et de très féminin à la fois.

Pour Vincent, François, Paul et les autres, une musique plus nostalgique. Pour César et Rosalie, il avait une idée tellement précise de la musique qu’il m’a fallu un an pour la composer. Chez Claude, la musique était un véritable élément de mise en scène. Grâce à la musique il pouvait faire des plans qui n’existaient pas. Créer des gros plans dans un plan général, par exemple, ou faire exister un acteur qui n’apparaissait pas dans la scène. Mais le spectateur ne devait jamais s’en apercevoir, seulement le ressentir. La musique devait être distante des images, suffisamment loin pour les soutenir. Elle ne devait pas être impliquée dans l’image. La musique ne devait jamais être un pléonasme mais « exprimer l’inexprimable » comme disait Debussy, créer un climat.

Chez Sautet, la musique est le « non-dit » du film. Dans Un cœur en hiver, par exemple, la musique sous-tend l’action : à travers la musique de Ravel, on peut suivre l’évolution sentimentale des personnages - la passion, le malaise, la rupture. Dans un film, on ne peut pas non plus mettre n’importe quelle musique sur n’importe quel acteur : certaines sonorités ne marchent pas sur tel ou tel. La musique doit apporter un plus.

C’est elle qui « fait envoler le ballon » selon l’expression de Claude Sautet. Mais elle ne peut pas faire envoler un ballon dégonflé : une bonne musique ne pourra jamais sauver un mauvais film. La musique de film est un métier d’homme de cinéma plus que de musicien.

A quel moment du film écriviez-vous la musique ?

Avant, pendant ou après. Le thème de Quelques jours avec moi avait été écrit 4 ans auparavant, à l’époque de Garçon ! Sautet s’en souvenait et voulait l’utiliser. Mais un film est un être vivant qui change, évolue. Même si la musique est composée avant, il y a toujours des corrections à faire. Pour Un cœur en hiver, par exemple, il a fallu réarranger la musique de Ravel, l’alléger sans la trahir afin qu’elle rentre dans le cadre du film. Là, je n’étais que directeur musical. Pour composer une musique de film, il ne suffit pas d’être un bon musicien. Il faut être cinéphile, comprendre le cinéma et sa technique.


L’ami pouvait-il aussi donner son avis sur un film ?

J’ai assisté aux rushs et au montage de presque tous ses films, donnant mon avis sans jamais l’imposer. Je lui servait de premier spectateur. Il me savait très cinéphile. Je me souviens que je lui ai conseillé de prendre Daniel Auteuil pour Quelques jours avec moi et de garder Serrault qu’il voulait virer au bout d’une semaine de tournage de Nelly et M. Arnaud. Je lui ai dit : « attends un peu. Serrault est un grand « soliste ».

Il parviendra à entrer tout seul dans le rôle. » Claude m’a écouté. Il en a été très content. En revoyant Serrault dans le film, j’ai l’impression de revoir Claude. Sautet a été pour moi plus qu’un metteur en scène.

Il a été un ami, un père. Il me manque.