La Comédie humaine d’Orson Welles

La Comédie humaine d'Orson Welles

En 1955, Orson Welles réalise 6 documentaires la télévision britannique ITV. L’un d’eux - « l’affaire Dominici » - totalement inédit jusqu’à ce jour, vient d’être restauré.

En 1958, Orson Welles déclarait aux Cahiers du Cinéma : « quand je filme, je m’intéresse plus au caractère qu’à la vertu. Ce que je veux montrer ce sont des gens d’une ampleur extraordinaire, plus grands que nature.

J’ai une sympathie humaine pour les différents personnages que j’ai crées ; moralement je les trouve détestables, pas humainement ». Cet « homme de la Renaissance dans le Xxème siècle », comme le surnommait André Bazin, a compris que « ce qui intéresse l’homme c’est l’homme ».

Charles Foster Kane, Macbeth, Othello, Mr Arkadin, Don Quichotte sont autant de personnages proches de la personnalité d’Orson Welles. Brillant homme de radio, il adapte, en 1938, « La guerre des mondes » de H.G.Wells, et provoque une panique générale en annonçant aux américains que les martiens ont débarqué. Séduits par son culot, les producteurs de la RKO d’Hollywood lui laisse carte blanche pour réaliser son premier film, Citizen Kane. Il n’a que 25 ans !

Il attendra 14 ans pour réaliser sa première expérience télévisuelle. En 1955, Welles effectue une série de 7 reportages pour le lancement de la toute nouvelle chaîne de télévision privée britannique, ITV. La série « Around the world with Orson Welles » - qu’il qualifiera lui-même « d’essais en cinéma sur le voyage », de « vacances illustrées » - remporte un grand succès critique et publique. Succès renforcé par une vive polémique concernant des scènes jugées trop violentes dans l’épisode « Corrida à Madrid ».

Des 7 épisodes, « L’Affaire Dominici » - premier volet de la série - n’a jamais été diffusé ; Welles n’en ayant jamais achevé le montage (voir entretien). En 1998, la société Gray Fil Sipirs qui détient les droits de la série, propose à Christophe Cognet d’en achever le montage tout en restant fidèle au travail de Welles. Une entreprise gigantesque au vue des nombreux éléments manquants et introuvables à ce jour : sons d’ambiance, musique, commentaires de Welles. Quant à l’épisode sur Vienne (« Le Troisième homme retourne à Vienne »), sa copie a disparu dans les années 80.

Produite par Louis Dolivet (producteur français de Mr.Arkadin et d’un Don quichotte resté inachevé), cette fresque humaine est celle d’un cinéaste itinérant qui parcoure le monde avec un bout de pellicule en poche. Pèlerin passionné, Welles se rend tour à tour en Provence, au Pays basque, à Londres, Madrid, Vienne et Paris. Lui qui rêvait d’être un homme de nulle part, il fut un homme de partout. Se servant de sa caméra comme de passeport international. Auteur en quête de personnages, il se promène parmi ses semblables comme le naturaliste au milieu de ses plantes.

Il plonge sa caméra dans les cœurs pour en faire le tour 24 fois par seconde. Car ses documentaires ne sont ni des portraits physiques sur la vie, ni des portraits métaphysiques sur l’existence.

Mais des courts-métrages sur des regards brefs et des éclats de rires, sur des instants rapides fondus dans l’air du temps.
De Londres, de Madrid, de Paris ou de la Provence, on ne voit rien. Welles ne filme pas Big-Ben, la Tour Eiffel ou Notre-Dame de la Garde. Il filme des visages, des voix, des manières d’êtres, des souvenirs racontés par des inconnus qui deviennent peu à peu nos amis.

« La télévision est un moyen de satisfaire mon penchant à raconter des histoires comme les conteurs arabes », déclarait-il aux Cahiers du Cinéma. Saint-Germain-des-Prés vu par Welles, c’est une photographie de Doisneau à laquelle on aurait rendu le mouvement et le son, un conte des Mille et une nuits où des immortelles traversent la pellicule comme des anges : Cocteau, Simone de Beauvoir, Eddie Constantine, Juliette Gréco...

Avec une humanité quasi shakespearienne, (on connaît l’influence de Shakespeare sur son œuvre) Welles filme la réalité pour en faire un poème. Tels ces toréadors montés sur des chevaux que la caméra fait s’envoler comme des pégases ; ce vieux sculpteur de Saint-Germain aux allures de « Péricles » ; ou encore ces « joyeuses commères de Windsor » apprivoisées par son rire d’enfant gâté. Et que dire de Gaston Dominici, le plus wellesien des personnages de Welles - ce Foster Kane en bacchantes et veste de paysan, devenu héros d’un drame pagnolesque ? « Je comprends que le monde entier se soit passionné pour ce simple fait divers.

Un cadre comme celui de Lurs, des personnages comme les Dominici ne peuvent naître dans l’imagination d’un romancier. Il faut les voir pour le croire ! », écrivait Welles dans France Soir. Ces petits films sont l’œuvre d’un grand narrateur qui a su raconter, au travers de biographies d’inconnus, l’histoire nostalgique d’une époque.

Cet art de passer du particulier au général est celui d’un homme qui déclarait : « Ce qui compte, c’est la poésie ».