Ouiiiiiiii à huit femmes !

Ouiiiiiiii à huit femmes !

François Ozon a réalisé le rêve des petites filles modèles et des petits garçons pervers : mettre en scène une maison de poupées et toutes ses occupantes. Dans cette demeure de maître sans âge, le réalisateur de " Sous le sable " et de " Sitcom " réussit le prodige de graver sur la pellicule ses phantasmes d’adolescent dans un grand film d’auteur et de genre. Cette oeuvre " sous la neige ", dont le prétexte est une réunion de famille pour Noël vire au cauchemar, au jeu de rôle et à la tragédie pour le plus grand bonheur colorisé de tous. Chacun y trouve son compte, Ozon le premier qui va au bout de ses songes, les actrices qui se régalent dans cet exercice de style jubilatoire et enfin et surtout, les spectateurs qui passent un moment enthousiasmant.

Parlons-en, de ces actrices pour qui le metteur en scène, amoureux du théâtre, du cinéma et de la comédie musicale, a écrit une partition sur mesure d’une justesse implacable, d’une ironie mordante et d’une maîtrise formelle impressionnante car elles sont choyées ces femelles de tous les âges, de toutes les couleurs et de toutes les complexités. Il n’y avait vraiment pas besoin d’un homme autre qu’un alibi sans visage pendant cette heure-quarante-cinq précieuse et rare tant elles éclairent l’espace de leurs beautés, de leurs laideurs et de leurs diversités.

La palme du jeu déjanté et fringuant revient, une fois de plus, à Isabelle Huppert qui compose une vieille fille affreuse en proie à des frustrations sexuelles caractérisées, mais Catherine Deneuve est admirable tout comme Emmanuel Beart, Fanny Ardant, Danielle Darrieux et toutes les autres. C’est " un ruban de rêve " comme pouvait l’imaginer un Orson Welles. Ozon joue désormais dans la cour des très grands, de ceux qui marquent de leur empreinte le Septième Art. Il a compris mieux que quiconque la théâtralité et son utilisation adéquate sur grand écran. Il a compris les immenses possibilités du cinéma, il sait le flatter, lui rendre hommage, le fêter tout en y apportant son style et son regard. Il sait y glisser du Ferré et du Françoise Hardy, des clins d’œil à " La pianiste ", à des vieux Hitchcock, y introduire de vieilles folles alcooliques ou de petites gamines insolentes.

Ozon porte un regard sexué sur ce petit monde, dans ce microcosme archétypique de la famille et de la société. Rien ne nous est épargné : inceste, homosexualité, frigidité, perversions, nymphomanie, adultère, sodomie, tromperie et j’en passe et des meilleures.

François Ozon impressionne par l’intelligence de son propos, l’efficacité et la modernité de ses dialogues, l’élégance de la mise en scène de ces corps de femmes admirables et complémentaires, et par ce chant ininterrompu kitch et frais.

La caméra d’Ozon, pleine de prévenance et de tendresse caresse et effleure le décor - une Palme également aux décorateurs de ce magnifique ensemble - et ces huit féminités en un balayage délicat et subtil. Jamais ces actrices n’ont été aussi joliment regardées et mises en valeur. Les nombreux inserts et gros plans viennent cueillir ses fleurs variées au couleurs acidulées qui nous sont présentées une par une dans son générique qui est une magnifique trouvaille, comme de nombreux moments du film.

Il serait réducteur de considérer ce long métrage comme une version moderne et cinéphile d’un Cluédo. C’est juste une déclaration d’amour fou au cinéma et aux actrices, un herbier précieux et référentiel qui permet à Ozon de montrer que son univers n’a pas fini de nous enchanter. On ne regrette pas d’avoir payé sa place de cinéma en sortant de la projection de " 8 femmes ", on a juste envie de dire merci au cinéaste de nous avoir permis de réaliser l’irréalisable " enter dans une jolie boite à musique intemporelle ".

Illustration : Vincent Bouba

Illustration : Vincent Bouba