VIGOUREUX BONDY... MERCI !

VIGOUREUX BONDY... MERCI !

Totalement inédite et exaltante, telle est La fille qui cherche, unique
traduction française du génial tchèque de la Beat Generation.
Egon Bondy s’offre le luxe d’une vie et d’une œuvre où l’aseptie des
corps, des cerveaux et des sociétés n’existe pas.

Cette année en été je suis enfin partie en toute liberté
à la sortie de la ville aussitôt je me suis déshabillée
et maintenant je me balade dans les champs autour de
Prague nue
sauf pour traverser les villages j’enfile un sac avec des trous
pour la tête
et pour les mains

Paru aux éditions URDLA, ce petit ouvrage est traduit du tchèque par
Marcela Salivarova Bideau et agrémenté de quelques lithographies noir
et blanc subtilement érotiques. Étroit, rayé de gris et de noir, relié
et cousu de fil blanc, au sens propre et artisanal du métier
d’imprimeur, l’objet offre d’abord à qui l’ouvre ses pages rugueuses de
papier Johannot et son odeur âcre d’encre typographique... Touchez
cette peau grainée, comme un cuir vivant. Car oui, les caractères de
plomb impriment à l’écriture de ce Livre Majeur la grâce d’une danse
charnelle, joyeuse et champêtre, à laquelle il est impossible de
résister.

Dans le trèfle humide de rosée matinale
j’ai vu un cul d’une blancheur archirare
y baisait appuyée sur son flanc gauche
une fille aux yeux bleus pas vraiment moche

Ecrite par Egon Bondy en 1971, la première partie de La fille qui
cherche est un hommage en prose à sa tumultueuse amante Honza : “Jadis
quand j’étais jeune et fou je suis tombé amoureux de la femme fatale de
ma vie qui était la fille de la femme fatale du poète le plus connu de
mon pays même s’il n’était pas de notre nation.” Honza, fille de la
Milena dont parlent les lettres de Franz Kafka. Honza, poétesse,
militante, alcoolisée, libre, nymphomane, délirante et...
archi-célébrée dans son pays parce qu’auteure du chef d’œuvre de la
littérature pornographique tchèque. Honza répond à la prose de Bondy
avec une longue lettre d’amour intense et étonnée. Une Hanza jamais
repue de la profondeur continue et vivace de son amour pour Bondy, des
années d’amour infinies.

“(...) et me voilà installée en train d’écrire une lettre d’amour -
quelque part quelque chose ne tourne pas rond ou, au contraire, tout
est parfaitement en ordre et alors c’est la merde d’un tout autre
genre, tu parles d’un choix. (...) je suis assez vieille pour ne pas
avoir peur des banalités. Assez vieille et amoureuse - amoureuse de
toutes ces choses dont nous avons parlé et qui nous lient - à mon grand
âge je fais cette constatation avec un étonnement un rien amusé mais
comme le monde ne ressemble de toute façon à rien, je prends ça pour
une donnée. À toi de faire pareil. (...) Si jamais dans ma vie j’ai
commis quelque chose dont j’ai honte, c’était des choses commises au
nom du bon sens. (...) le bon sens, ce sont des affiches contre
l’alcool, ce sont des États dirigistes, le bon sens c’est la poésie
stérile au service de la bonne cause, s’il vous plaît épargnez-moi le
bon sens, avec la vitalité qui est la mienne j’encaisse plus que
n’importe qui, mais le bon sens me fera mourir au bout d’une semaine de
la mort la plus triste qui existe, le bon sens anéantit en moi tout ce
qui me donne un sens, le bon sens me rend impotente, autant sur le plan
érotique qu’intellectuel. (...) Comme il se trouve que je ne suis pas
lestée d’une once de cet obscurantisme si prisé par ce monde
irrationnel (il est curieux de voir à quel point ce monde irrationnel
s’appuie sur son bon sens), je n’arrive pas à me fixer des limites, je
ne veux surtout pas me les fixer. Ce n’est pas ma façon de voir les
choses. Si je sens Ton baiser, j’en veux un autre, voilà ce que
j’appelle être en ordre.”

Journal de la fille qui cherche Egon Bondy est cependant davantage
qu’un vif poème d’amour en prose. Bondy, philosophe, poète et
romancier, se glisse tout entier dans la chair de la femme désirée.
Avec sa voix à elle, il écrit à pleines tripes l’amour, la merde, le sexe, les échanges, la violence, la transpiration, les champs, l’orgasme, les planchers, la liberté, la tendresse, le libertaire, les étables, la tristesse, le désir, les pulsions suicidaires, la vie, l’exaltation, les rivières, la toilette, la bière et la vodka comme un Tout vigoureusement vital et explosif.

Dans la chambre je voulais me laver de la poussière de la
journée
mais sale et collante de transpiration comme j’étais
il m’a forcée sur le plancher
Pour ne pas me salir encore davantage
je lui ai fait le pont
Sûrement du jamais vu pour lui ça l’a terriblement excité
de voir comment ce petit trou le nargue
Au moment où il s’est penché en avant pour s’en servir
j’ai vu sur le mur en face le tableau dans le miroir
Quand soudain j’ai vu cette taille étroite ce ventre qui
s’estompe et le bassin qui dépasse
Toute cette silhouette mincelette au-dessus de laquelle
ne se dressaient que les seins
j’ai ressenti un étonnement inattendu
où vais-je seulement caser ce membre
Et quand j’ai vu comment il entre
et comment il s’engouffre en moi
je n’arrivais pas à comprendre où il disparaissait
et voilà qu’il ressort
et replonge encore là
où d’après le reflet dans le miroir on devrait à peine
enfourner la moitié
et j’ai été si sidérée et fascinée par ce théâtre
qui se prolongea quelques minutes
que j’ai d’abord complètement oublié de réaliser que je
l’avais en moi
et ce n’est que vers la fin emportée par la joie enthousiaste
devant un spectacle aussi surprenant et stimulant
que me suis mise à crier d’aller encore plus loin
et quand il s’est mis à gicler
pour la première fois de ma vie j’ai senti véritablement des
portions d’amour propulsées jusqu’au cœur

Amoureux, l’auteur n’en est pas moins acteur
révolutionnaire... Ce qui demeure assez complémentaire. Zbynek Fiser choisit le pseudonyme juif
d’Egon Bondy au début de la trouble année 1949. La Tchécoslovaquie met à nouveau la shoa à l’ordre du jour. Bondy devient ainsi la figure de proue de la révolte de gauche contre le stalinisme antisémite.

Faut pas croire qu’un jour je serai autre chose que
cette liberté qui
vous nargue et que vous aimeriez voir comme une sorcière
calomniée et brûlée sur le bûcher
jamais une seule de vos joyeusetés bovines ne me verrez
avec vous fêter
dans votre “bonheur” mon absence sera ma présence la
meilleure
pour vous rendre fous ou désespérés ou vous mettre en
colère
c’est pourquoi jamais non seulement mes paroles ne seront
officielles
mais encore toujours et pour tous je serai impopulaire
sauf pour Egon Bondy avec un peu de bonheur
il est comme moi un travailleur de la première heure

Âgé aujourd’hui de 76 ans, Egon Bondy est devenu l’honorable et
alcoolique doyen de la faculté de philosophie de Bratislava. En
République tchèque, malgré la reconnaissance dont il jouit, ses textes
sont médiocrement ronéotypés, difficiles à trouver. Une partie de son
œuvre est traduite en allemand. En France, l’éditeur Max Schoendorff
l’accueille et le défend dès 2004 dans sa fantastique collection
littéraire Fil à Plomb, éditée chez URDLA. Pendant ce temps-là, à
Bratislava, le septantenaire libertaire, inadapté et génial s’abreuve
de vodka. Un verre, sans peine, ouvre les vannes du désir. Les pulsions
vitales d’un individu l’emportent crûment sur les conventions d’une
société... S’injecter une strophe de Bondy dans le cerveau, c’est
picoler sans honte la limpidité de sa nature d’animal cérébré, qu’on se
le lise.

mieux vaut crever avec l’héroïne
se pendre se bourrer la gueule à mort
s’immoler baiser à mort
que faire cadeau d’une heure
d’une seule petite heure
pour faire durer cette connerie criminelle
en travaillant
ou en réparant la voiture
ou en gagnant du fric pour un poste de télé
et nourrir ainsi dix mille salopards vicieux
qui souhaitent qu’on vive
qu’on vive le plus possible
pour avoir simplement quelqu’un à bouffer

La fille qui cherche, Egon Bondy, traduit du tchèque par Marcela
Salivarova Bideau, éditions URDLA, 2004, 18 euros.

Ouvrage rare, tiré à
500 exemplaires et composé du Journal de la fille qui cherche Egon
Bondy, par Egon Bondy ; d’une Correspondance de Jana Krejcarova alias
Hanza et d’une Postface de Martin Machovec.

La fille qui cherche, d’Egon Bondy, Editions Urdla

La fille qui cherche, d’Egon Bondy, Editions Urdla