Les Egorgeurs, chronique d’un appelé

Les Egorgeurs, chronique d'un appelé

Les éditions Los Solidarios ont réédité le livre de Benoist Rey, Les Egorgeurs. Le titre est brutal mais il résume bien la page d’histoire sanglante que la France a pu écrire en Algérie. Un témoignage poignant qui fut interdit quatre jours après sa sortie, en avril 1961.

Benoist Rey a 21 ans quand il embarque à Marseille pour l’Algérie. Nous sommes en septembre 1959. Par défi, quelques appelés chantent l’Internationale. Arrivé dans le Nord Constantinois, le turbulent Rey se retrouve dans un commando de chasse, un régiment semi-disciplinaire, une unité « d’élite » aussi sanguinaire que les parachutistes et la Légion étrangère. La sélection est rapide. Faute de candidats, tous les grands sont déclarés volontaires. Parfois, ce sont les moustachus !

Rey est vite mis dans le bain... de sang. Dès la première nuit, le commando incendie un village et égorge un vieil homme qui n’a pas su fuir à temps. Les mulets des villageois sont abattus. Un aspirant crie à sa section : « Vous pouvez violer, mais faîtes ça discrètement ! » Des musulmanes sont agressées par des groupes de soldats. Rey pleure alors ses premières larmes d’homme.

Page après page, le journal de bord de Benoist Rey dépeint la connerie et la sauvagerie quotidienne de ces hommes chargés de « pacifier » l’Algérie française. Officiers cinglés et simples bidasses (Européens, Pieds-noirs, Harkis ou même Sénégalais) se sont salement illustrés durant ces années de braise. Pour ces machines à tuer, un vrai baroudeur doit savoir boire, violer, égorger et torturer. Tous les soldats du monde sont des soudards assure Mato-Topé dans une préface avertie.

Certains appelés, petits ploucs ordinaires dans le civil, ne sont pas les moins actifs. Dans cet environnement barbare, ils découvrent subitement qu’ils ont pouvoir de vie ou de mort sur les fellagha et tous les « bougnoules ». Comme les esclaves assoiffés d’autorité, ils en abusent. Sur la porte de la salle de torture, on peut lire une pancarte sinistre : Au bon accueil. Avec des poids de quinze kilos attachés aux testicules et des électrodes branchées sur la peau, les prisonniers connaissent les véritables intentions des maîtres des lieux.

Les opérations s’enchaînent pour le commando et les autres bandes de tueurs. Embuscades, pillages, massacres, « corvées de bois » ponctuent la guerre sans nom. Quand les rebelles supposés ne sont pas tués au couteau ou fusillés, on les pulvérise avec des charges de TNT. Des hommes sont égorgés uniquement pour que leur sang attire les sangliers afin d’améliorer la tambouille... Les bourreaux pissent et crachent sur leurs victimes ou sur ce qu’il en reste. Les corps sont dépouillés de leurs bijoux et de leurs dents en or.

« L’Arabe est fait pour être maté », affirment les brutes. « Et l’on revient au camp un peu plus lourd chaque jour, un peu plus inhumain », constate Benoist Rey, infirmier impuissant, débordé par tant d’horreurs.
Terminé en décembre 60 et publié en avril 61 par les éditions de Minuit, le récit de Benoist Rey s’ouvre par un avertissement : « Je tiens naturellement à la disposition de la justice les noms des personnes dont les initiales sont citées dans ce livre. » Devant le peu d’empressement de la justice, Rey révélera les noms dans Vérité et Liberté, en mai 61. Sans succès... Avec Rey, on peut encore de nos jours demander : « N’y aura-t-il jamais un procès de Nuremberg algérien ? » Un livre douloureux mais indispensable.
Paco

Benoist Rey, Les Egorgeurs, éditions Los Solidarios. 9 euros. Grand Prix Ni dieu ni maître 1999.

Infos et commandes auprès de editionslibertaires@wanadoo.fr

Benoist Rey, Les Egorgeurs, éditions Los Solidarios. 9 euros. Grand Prix Ni dieu ni maître 1999.

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