Interview : Bruno Leroy, éducateur de rue

Interview : Bruno Leroy, éducateur de rue

Bruno Leroy est un éducateur de rue comme on en croise trop peu. Oubliez vos idées reçues sur ce métier et plongez-vous dans ce long entretien très enrichissant et précis mené tambour-battant et qui vous donnera une vision juste quant à la réalité des choses sur le terrain. Bruno Leroy, humaniste, écrivain, Croyant et homme de conviction est un personnage hors-norme avec un coeur gros comme ça qui risque vraiment de vous donner un autre point de vue sur ce qui se passe en banlieue et ailleurs avec notre jeunesse. Une interview à méditer.

1. Bonjour, Bruno. Votre nom, Leroy, est-il prédestiné ? Seriez-vous le roi des éducateurs de rue ?

Votre question me fait sourire car, je suis loin de me considérer comme le roi des éducateurs de rue ; je suis un peu plus médiatisé que certains qui font pourtant dix fois plus que moi... qui sont au service des autres et militent également pour un monde meilleur. Simplement, ils sont dans l’ombre et je parais toujours être dans la lumière parce que j’écris, c’est tout. Je suis un pauvre hère qui essaie de mener au mieux sa mission éducative. Je suis d’ailleurs en bon terme avec de nombreux éducateurs qui sont loin de voir en moi, un roi mais un militant qui ne baisse jamais les bras. Je ne sais franchement pas pour quelle raison obscure, je suis devenu un nom dans le monde éducatif. Au début, j’ai cru que c’était dû à ma grande gueule. Aujourd’hui, on me parle de charisme, je ne sais pas vraiment pourquoi, je suis un type comme les autres éducateurs que je rencontre. Je ne suis le roi de rien sinon de ma propre conduite de vie et pour le reste, les jeunes s’en fichent totalement. Et le patronyme n’a jamais hiérarchisé la fonction. Heureusement car, nous ne choisissons pas au départ. Mais, nous sommes maîtres de l’arrivée.

2. Je sais ce qu’est un éducateur spécialisé, un éducateur de jeunes enfants mais qu’est-ce qu’un éducateur de rue ?

Un éducateur de rue est un éducateur spécialisé. Il travaille avec d’autres assistants sociaux sur le terrain afin d’aider les jeunes à recréer le lien social. Il faut à la fois des qualités professionnelles indéniables pour mettre en œuvre des projets et surtout, des qualités humaines essentielles au service des ados en difficulté pour les aider à s’insérer dans la société. J’ai une équipe de vingt éducateurs qui mettent en œuvre des méthodes psychologiques et pédagogiques pour favoriser le développement personnel, la maturation sociale et l’autonomie des jeunes et même des adultes qui éprouvent des difficultés. Au quotidien, je vis dans la rue avec ce que consiste les attitudes spontanées des Jeunes et ma capacité de répondre.

Je fréquente également les cafés, les lieux de rassemblement des jeunes de la rue, leurs lieux de vie. Nous essayons de les sortir de leurs désespoirs existentiels qui leur colle à la peau. Je les aide avec mon équipe à se détourner de la came et d’autres merdes pour les orienter vers des activités plus constructives. Pour cela, il faut aller chaque jour à leur rencontre et avoir une qualité d’écoute indispensable de leurs problématiques. Nous travaillons avec d’autres structures pour les aider à réaliser leurs rêves qu’ils soient professionnels, sportifs, artistiques ou autres.
Nous agissons toujours selon la volonté du jeune et non en faisant du forcing social.

Et nous travaillons également, autant que faire se peut, avec l’accord des parents.
Les différents groupes de jeunes sont dynamisés pour une conscientisation des problèmes de droits et de devoirs envers la société. Certains partent en voyage avec d’autres organismes et nous évoquons ensemble les différentes législations, les problèmes de drogue mais aussi les simples règles de vie tels que la tolérance, le respect de soi et des autres. Nous faisons participer les parents dans cette grande aventure sans pour autant les obliger ou les culpabiliser.

Pour mettre en place tous ces paradigmes, il faut un équilibre nerveux à toutes épreuves. L’éducateur doit presque religieusement préserver son capital nerveux. Sinon, il transmet son malaise aux jeunes et le résultat est désastreux.
Je pourrai vous parler durant des jours et des nuits de notre profession. Mais, je me fais un devoir absolu de ne rien révéler qui pourrait mettre en porte à faux les jeunes. Je suis une tombe lorsqu’il s’agit de parler de l’intimité d’une personne. Notre cohérence de vie est un témoignage pour eux et c’est grâce à nos convictions du respect de l’Humain, qu’ils nous accorde leur confiance.


3. En parcourant les différentes notes de votre blog, je remarque que vous parlez sans cesse de Dieu.
N’avez-vous pas raté votre vocation ou êtes-vous un prêtre défroqué ?

A neuf ans, j’ai senti l’appel de Dieu. A treize ans, j’entrais au séminaire pour devenir prêtre. Puis, je suis tombé amoureux d’une fille après cinq ans de séminaire et les sentiments semblaient plus puissants que ma vocation. Cette fille est restée quelques mois avec moi et puis, innocent, je me suis représenté au séminaire où l’on m’a dit qu’un futur prêtre qui oscillait entre le mariage et la prêtrise ; il fallait sérieusement qu’il réfléchisse. Ce que j’ai fait.

Dieu fait partie des moindres interstices de mon être. Je n’ai pu devenir prêtre et pourtant, par la suite j’ai refait six ans d’études de Théologie Catholique.
Je n’aime pas le terme prêtre défroqué qui est totalement ringard et insultant. Nous ne sommes plus au XVIIIe siècle. Il était utilisé lorsque les curés portaient des soutanes obligatoires.

J’ai compris avec le temps que, la mission d’un homme ne s’exerce pas uniquement au sein de l’Église mais dans toutes professions et dans toutes dimensions de l’existence. Si mon Blog parle tant de Dieu, c’est que je ne puis en parler dans mon quotidien auprès des jeunes. Mais, il me brûle sur le web ou par écrit d’exprimer mon Amour pour Lui. Mon Blog est un lieu d’expression spirituelle et le reflet de mon âme. Pour répondre à votre question, je n’ai pas raté ma vocation puisque Dieu m’a envoyé sur d’autres chemins où je suis heureux. Si, j’avais été malheureux de ne point être prêtre ; oui j’aurai raté ma vie mais, ce n’est pas le cas.

4. De nos jours, qu’est-ce qu’un jeune en difficultés ?
Je répondrai à votre question en quelques mots et cela est valable pour les adultes aussi : n’être aimé et reconnu par personne. Ce qui entraîne le refus de s’aimer et donc, la perte de confiance en soi mais surtout, cette sensation de n’avoir rien à perdre. Rien de plus dangereux qu’un jeune estimant ne plus rien avoir à perdre. De là, commencent les conneries que l’on soit issu d’un milieu aisé ou plus pauvre. Le suicide des Jeunes demeure une problématique importante en France.

Pour moi, les difficultés sont d’abord existentielles avant que d’être matérielles.

Apprenons à responsabiliser nos jeunes. Apprenons à leur redonner goût à la Vie en leur disant que c’est un long combat qui vaut la peine d’être vécu.


5. Aujourd’hui, un maire alsacien vient de brûler des caravanes vides qui appartenaient à des gens du voyage et occupaient un terrain communal.
Hier, des jeunes brûlaient des voitures pour protester contre la société.
La violence est partout et rien ne peut la contrer ?

La violence est en nous et permet de nous imposer face à autrui. C’est la violence positive. Nous pouvons par un long travail éducatif, canaliser la violence négative.
Pourquoi selon vous des personnes usent d’une violence positive et d’autres totalement dévastatrice ?
C’est l’image que nous avons de nous-mêmes qui génère nos comportements. Tant qu’un individu aura une image négative de lui. Il réagira négativement.

Travailler sur le développement personnel et la confiance en soi est donc loin d’être inutile.

Depuis des années que je suis éducateur, j’ai vu la violence progresser à un tel point. Je constate aujourd’hui que bon nombre de personnes ont de réels problèmes psychologiques. Une fragilité qu’elles n’osent pas s’avouer. Cela est valable pour toutes les couches sociales. Et lorsqu’on possède un pouvoir qu’il soit municipal ou National, les réactions peuvent être dangereuses et humiliantes pour les gens sanctionnées.
Vous savez l’acte de brûler des voitures de la part des jeunes est au départ dû à un authentique malaise social.

Même si certains ont dits qu’il s’agissait d’un jeu. Pas pour tous. Ils en ont marre d’être traités comme des chiens. Ou d’être insignifiants à cause de la peur des adultes. Il m’arrive de leur foutre mon poing dans la gueule quand ils dépassent les limites. Mais sans haine. C’est la violence positive qui nous permet ensuite de discuter. Parce qu’ils en ont ras le bol de ces adultes qui les craignent.

Imaginez que tous les jours, lorsque vous sortez, vous sentez des attitudes d’évitements ou franchement hostiles à votre égard. Et vous voyez dans le regard des gens une peur incommensurable. Une peur qui détruit tout dialogue et vous donne l’impression étrange de ne plus appartenir à ce monde. Votre première réaction sera celle de la défense, même par la violence. Ensuite, la tension baisse et vous préférez arnaquer ceux et celles qui ne semblent pas vous aimer.

Et troisième étape, vous allez rechercher la compagnie d’individus qui vivent les mêmes souffrances que vous. C’est le phénomène des bandes, restauration du lieu familial par excellence. Et comme cette société vous rejette de partout, les drogues sont là pour apaiser votre mal-être. Et vos incompréhensions aussi.
Je caricature exprès mais nous sommes tellement proches des réalités.

Il faut dans un premier temps sanctionner les incivilités de ces jeunes sinon, nous les ignorons encore. Ils faut qu’ils reprennent leur place de citoyens à part entière. Exercer une liberté responsable. Il faut également que les adultes soient plus ouverts aux jeunes.
En fait, il faut impérativement que les relations repartent sur de bonnes bases. Les médiateurs font un travail remarquable dans ce sens.

Ils parviennent à apaiser les jeunes les plus violents. Nous manquons d’adultes vrais, forts, osant affirmer leurs convictions sans les imposer. Nous manquons d’adultes amoureux de la Vie. Et surtout, nous manquons de dialogue et de relations authentiques entre nous. Commençons par là et nous verrons la société se transformer progressivement.
Je vais vous raconter une courte histoire significative. Un jeune que je connaissais bien pour agresser les personnes âgées ; me dit un jour : Pourquoi tu ne prends pas ta retraite ? Surpris par cette question, je lui rétorque qu’on ne prend pas sa retraite à mon âge. Il me répond : Dommage, il faudra que t’attendes pour devenir riche.

Je lui ai répondu que je ne travaillais pas pour le pognon et que la retraire n’enrichit pas.

En fait, il volait des petites vieilles à la sortie des Postes et constatait q’elle avait un sacré pécule. Dans notre discussion, je lui ai fait comprendre que c’était trois mois de retraite qu’il volait. Il ne le savait pas. Il pensait que cela était le revenu mensuel de la personne âgée. Inutile de vous dire que je l’ai traité de beau salaud. Depuis, ce jour il n’a plus volé une seule retraitée. Tout simplement, on ne lui avait jamais dit que cela représentait trois mois de salaire.

Alors, apprenons à nous parler et même à dire aux jeunes : Tu sais, je vis la galère comme toi, je suis au chômage et c’est la misère à la maison.
Souvent, ils pensent que les adultes même dans la merde ont tous les droits sociaux pour s’en sortir. Cela crée les malentendus car, ils sont seuls à penser qu’ils doivent se battre contre cette société injuste.
Ouvrons les portes du dialogue dans le respect des autres. Et la violence s’atténuera dans la reconnaissance que nous aurons d’autrui.

6. Ne pensez-vous pas que les français sont de plus en plus assistés et qu’ils sont incapables de se débrouiller seuls

Vous posez la question de façon très tranchée. Mais, mon côté rebelle ne me fait pas admettre les réponses toutes faites. La réalité est beaucoup plus complexe. Il est facile de dire que les voisins sont des assistés quand on a un emploi et un peu de fric. Mais, quand on a 300€ par mois pour s’en sortir, on estime pas de façon identique l’assistanat. Sinon, tout le monde est assisté. Le patron qui ne cesse de demander des aides de l’État pour embaucher, n’est-il pas un assisté qui fait du chantage ?
J’entends énormément de conneries sur l’assistanat pour que ça ne me fiche pas en colère.

Je dirai que nous sommes dans une société désenchantée. Dans un désert de promesses, le peuple finit par mourir de soif.

Vous savez, le chômage est une grave question qui ne doit pas être abordée sous l’angle du type qui veut travailler ou qui refuse par fainéantise.
D’abord, un fainéant, comme on dit, n’existe pas. Le découragement, oui. Beaucoup sont découragés de ne plus trouver ou retrouver d’emploi et baissent les bras. Ils sont taxés de fainéants.

D’autres s’enferment dans les addictions telles que l’alcool ou d’autres substances ( médicaments etc...)
Je crois que nous vivons dans une société hautement déprimée. C‘est aux hommes politiques de redonner un souffle d’espérance. Puis, ce sera aux citoyen(ne)s d’alimenter ce souffle.

Si le RMI n’avait pas été mis en place combien de gens crèveraient littéralement de faim ?

Je ne dis pas qu’il n‘existe pas de profiteurs, comme dans tous systèmes. Mais, de là à traiter les Français d’assistés et d’incapables de se débrouiller seuls ; je trouve cette question totalitaire. Vous savez beaucoup trop de gens se suicident à cause de telles accusations.
Non, mais si nous ne mettons pas en place une éducation citoyenne des droits et surtout des devoirs ; nous risquons de vivre en léthargie pendant longtemps.
Et votre question est importante dans le sens où elle fait appel à la responsabilité de tous. Nous sommes tous responsables des autres. Quand on ce sera foutu ça dans la tronche, on aura tout compris. Autrefois, les gens s’épaulaient dans les moments difficiles. Maintenant, c’est chacun pour sa gueule. La solitude vécue par les personnes en difficulté est abominable.

Comment voulez-vous qu’ils retrouvent l’énergie pour s’en sortir ? La déréliction totale, absolue, voilà ce qu’ils vivent face aux factures impayées, aux enfants qu’ils ont du mal à élever, aux regards des gens qui travaillent et les considèrent comme inexistants ou parasitaires.
Comment voulez-vous remettre en quelques mois debout des gens dont on s’est acharné à achever durant des années ?
Et ce n’est pas uniquement le travail des éducateurs ou de tous les travailleurs sociaux de les aider à cheminer. Je le redis, cela concerne tout le monde.

Mais, à côté de cela, vous avez des jeunes créateurs d’entreprises qui marchent bien. Des personnes dynamiques qui ne demandent qu’à entreprendre et aller de l’avant.
Quoique sur le plan strictement culturel, les consciences ont évoluées. Je connais beaucoup de personnes qui ne privilégient plus la valeur < travail >, comme autrefois. Ils préfèrent consacrer du temps à la création, au repos en famille, aux voyages...

Non, notre société est en pleine mutation et elle laisse les plus faibles sur le bord de la route.
Soyons solidaires les uns les autres et cessons de nous ériger en juges. Je vous assure que notre société aurait un autre aspect.

Les Français ne sont pas assistés, ils sont démissionnaires. Et c’est plus dangereux, encore !

7. A votre avis, quelle est la place de la femme dans son couple et dans la société en 2006 ?

La place de la femme en 2006 est de s’épanouir dans une activité qu’elle aime avec un salaire identique aux hommes. Et surtout, cette usurpation de parité doit être remise à l’étude. Combien de femmes Ministres ? Combien de femmes Présidentes de la République ? Combien de femmes à l’Assemblée Nationale ? Et la liste n’est pas exhaustive. Ce sont encore les hommes qui ont les pleins pouvoirs sur la planète.

Nous sommes dans des sociétés patriarcales.
Et quand la femme travaille, elle doit se farcir les courses, la vaisselle et les gosses. Heureusement, qu’il existe des maris pour soutenir leur épouse dans ces instants de surcharge de travail.
Mais, face à tout cela, je vous en prie rendons grâce et honneur à la femme qui a décidée de rester à la maison pour s’occuper de sa Famille. Ne la dévalorisons pas. Il s’agit d’un choix de vie tout à fait honorable.
Pour conclure, je dirai que le féminisme à fait autant de pas en avant que de pirouettes en arrière.

La femme ne sera jamais l’égale de l’homme. Heureusement, sur le plan physiologique ; j’aime sa féminité. Donc, qu’elle ne tente pas de singer l’homme mais d’obtenir des égalités sociales.

La femme est supérieure à l’homme dans le sens où elle est instinctuelle. Elle pourrait régler les problèmes humains selon la sensibilité de chacun.

Les hommes pensent qu’ils détiennent tous les pouvoirs. Apparemment, ils ont raison et je dirai malheureusement.
Beaucoup de combats sont à mener pour les femmes en 2006. Comme, je le disais précédemment, d’une autre manière, le féminisme a renforcé le machisme des hommes. Par protection. D’autres combats sont donc à poursuivre et je laisse l’imagination féminine en ce domaine, faire son chemin. J’ai confiance.


8. Beaucoup de couples divorcent aussi vite qu’ils se sont mariés, ou se séparent rapidement au bout de deux ou trois années de vie commune pour ceux qui n’ont pas souhaité passer devant le maire. La famille traditionnelle n’existe plus, est-ce que cela expliquerait toutes les difficultés actuelles ?

Là, nous entrons davantage dans des problématiques sociologiques. Nous sommes dans une société qui veut aller vite, très vite. Et je vois cela avec les jeunes. A peine la fille rencontrée et c’est la position horizontale. Le corps n’est qu’un transmetteur de plaisirs.

De plus, là où apparaît la notion sociologique, c’est la peur de l’engagement. Un mariage se prépare longtemps à l’avance. Maintenant, il est fait rapidement tout en sachant que s‘il y a mésentente, le divorce n’est pas loin.
Nous revenons à cette notion d’assistanat que nous évoquions tout à l’heure. Tout est bien huilé. Le système propose un divorce en cas de légers différents.

Vous n’avez plus à vous engager vraiment puisque le divorce fait office d’assurance contre les mariages ratés.
Vous savez, je suis issu d’un couple divorcé après plus de vingt ans de mariage. Et mes parents représentaient la famille traditionnelle.

Oui, bien-sûr, beaucoup de problèmes chez les jeunes et moins jeunes viennent de ses familles désunies. Je me souviens de la terrible souffrance que cela a provoqué en moi, lorsque ma mère nous a annoncée qu ‘elle quittait mon père pour un autre. Et pourtant, ce divorce s’est passé calmement. Mais, je serai toute ma vie un fils de divorcés. Et puis, ma mère est décédée quelques années après d’un cancer. Les médecins sont unanimes, elle se rongeait intérieurement de cette situation. Elle n’avait que 49 ans. J’ai donc perdu ma mère deux fois. La deuxième fut malheureusement définitive.

Je sais qu’elle me posait des questions du style : Tu crois que j’ai réellement trompé ton père ?

Je lui répondais : Non, tu n’as pas trompé ton mari. Tu t’es trompée de mari, c’est différent.

Vous savez tous les enfants se remettent d’un divorce. Et cependant, ils éprouvent la sensation d’être de trop et de ne plus être vraiment aimés. Oui, je crois qu’un divorce peut être à l’origine d’un malaise intérieur. Là aussi, il faut que tout le monde se mobilise pour expliquer que l’on peut sortir grandi d’une blessure. C’est le phénomène de résilience.


9. Vous qui encadrez les jeunes en difficultés, êtes-vous l’exemple type du père de famille ? En d’autres termes, êtes-vous marié et père ?

Autrefois, j’ai quand même débuté à 19 ans, j’étais probablement le frère.
Maintenant, avec mes cheveux grisonnants ; je sens bien que je suis le père éducatif. Sans me prendre pour les parents légitimes, jamais. Mais, la complicité n’est plus la même. Cette paternité éducative est importante à leurs yeux. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi, jusqu’au bout.

Concernant, ma vie privée, tout ce que je vous dirai c’est que je vis depuis des années avec une personne que j’aime. Et nous n’avons pas d‘enfants pour des motifs strictement personnels. Mes jeunes me posent rarement la question. Je ne vois pas pourquoi, je révélerai tout à la presse. Sachez simplement, que je connais le Bonheur équilibré.
10. L’Eglise n’a pas un discours moderne. Comment vous positionnez-vous par rapport à celui-ci ?

Je respecte immensément l’Église et pourtant, elle est souvent en dehors de la plaque. Je ne peux pas la suivre dans mes fonctions éducatives en tout. D’ailleurs, j’ai suivi une formation en théologie de la libération. Mal vue à l‘époque car, trop marxisante. Je suis toujours Théologien de la Libération et je m’en vante.

Le discours de L’Église institutionnelle est loin des réalités des pauvres gens. Il me faut donc, commettre quelques entorses. Sinon, j’aurai rendu mon Diplôme d’éducateur et arrêté mes fonctions depuis longtemps.
Vous savez, avec les jeunes vous entendez tous les discours jugés indignes au regard de l’Église. Il me faut au contraire, une très grande ouverture d’esprit pour mener à bien ma mission.

D’abord, l’Église adresse un discours idéalisé pour l’ensemble des Catholiques. Ce discours, je peux très bien le vivre chez moi dans la prière. Justement pour acquérir du discernement auprès des ados en difficulté.
Et puis, la Force intérieure d’affronter toutes les réalités auxquels ces Jeunes me confrontent.

Je ne tiens pas compte des discours officiels de l’Église lorsque j’ai une situation urgente à gérer. Et je vis souvent dans l’urgence. Que répondre au jeune qui veut un préservatif ? Tiens, le voilà je préfère cela que te voir atteint du sida. Je suis gay, qu’est-ce que tu en penses ? Vis ton amour dans la fidélité. Aime ton ami et donne-moi des nouvelles. Mais ne fais pas cela uniquement pour le sexe. Je me came tous les jours et je suis en manque ou mon père était bourré hier soir, tu peux aller lui parler ?
Voyez, quelques questions au hasard. Mais, lorsqu’on croit en Dieu, le hasard n’existe pas. C’est la Providence qui met ces Jeunes dans mon destin. A moi, d’assumer les cris de détresses, les violences et le reste.

L’Église est une vieille boussole qui aurait besoin de se réformer. Mais, c’est à chaque chrétien ( ne ) d’assumer sa Foi en pleine maturité. Et de répondre aux questions inattendues pas avec des têtes de pucelles effarouchées mais, d’adultes qui s’adressent à des adolescents en plein questionnement.

L’Église a donnée sens à ma conscience de chrétien et c’est pour cela que je l’aime.
Mais, je l’aime avec un esprit critique et non comme un mouton bêlant. Écoutez les discours de Jean-Paul II sur les Droits de l’Homme et vous trouverez qu’elle n’est pas si ringarde que cela.

11. Vous êtes à l’écoute de nombreuses personnes et vous, qui vous écoute ? Je ne veux pas que vous me répondiez Dieu, ce serait trop facile.

J’ai de nombreux amis et des vrais. J’ai ma famille et des amis prêtres qui m’écoutent avec leur âme. Puis, j’ai l’écriture pour écouter parler mes mots. Mais, ne vous inquiétez pas, je suis très bien entouré. Et j’ai surtout une équipe remarquable qui est à mon écoute constante puisque nous partageons les mêmes problématiques. Mais, hors du cadre professionnel, étant un gars qui aime discuter avec les autres ; j’ai des amis ( es ) de tous horizons qui sont à mon écoute. Et qui entendent derrière les phrases ce que je veux leur dire. C’est précieux !

12. Citez-moi une personne appartenant au gouvernement français et que vous admirez.

C’est très difficile pour moi qui suis un mec de gauche. Je n’ai pas d’admiration particulière pour un homme politique de ce Gouvernement. Et pourtant, je n’ai pas d’animosités non plus.

Sauf, pour les extrêmes de tous bords. Avec la mondialisation l’économie est devenue complexe et je pense que nos politiciens sont parfois victimes d’une immense machinerie qui leur échappe. Il faut remettre l’Humain au centre de la vie citoyenne. Ce sera un travail de longue haleine d’autant que les contre-pouvoirs en France ne sont pas puissants.

Je crois en la sincérité des politiciens et en l’avenir pourtant fragile de la démocratie. Mais, je crois avant tout que l’être humain doit voter selon sa conscience et son histoire et non pour mettre le Pays dans le désarroi. Concernant, les hommes ou femmes de gauche pour l’instant, je reste très réservé. Je suis socialiste et pourtant, j’attends les projets plutôt que les insultes formulées contre ce Gouvernement.

13. Parmi tous ces jeunes que vous aider, tous ne sont pas chrétiens. Avez-vous tendance à faire du prosélytisme ?

Ah ! Non jamais. Je suis certes chrétien mais Républicain avant tout. Le prosélytisme est une violation de conscience. Je n’ai jamais pratiqué ce genre d’irrespect envers quiconque. Et ce n’est pas aujourd’hui que je commencerai !

Ma relation avec Dieu est personnelle et je me vois mal en train de dire à un jeune qui se came : Tu sais, Dieu t’aime. Il se demanderait où je me procure la mienne.
Trêve d’humour...La plupart des jeunes sont musulmans et me parlent de leurs croyances. Moi, je suis au milieu d’eux avec mon bagage théologique et chrétien. Cela, se ressent certainement dans mon comportement puisqu’il arrive qu’on me pose la question de savoir si je suis croyant. Je réponds bien-sûr dans ce cas précis.

Mais jamais, je ne leur parle de Dieu Amour. Il faut d’abord qu’ils perçoivent qu’un simple éducateur est capable de donner de l’amour désintéressé, cela me paraît primordial dans leur existence. Dieu, vous savez n’est qu’un terme abstrait dans leur univers. Quand un mec est dans la merde, mon devoir est de l’aider à sortir de là, pas lui faire de l’évangélisation. Je me répète, ma cohérence de vie est primordiale pour eux. Savoir où je puise ma force ne concerne que moi.

D’ailleurs, j’ai horreur de ces cathos qui donnent d’une main pour leur envoyer Dieu dans l’autre. Ce comportement est inadmissible. Nous sommes dans un État laïc et nous devons vivre une spiritualité laïque faite de partage, de fraternité, de respect, de liberté responsable...
C’est beaucoup plus important que de leur fourguer le Christ à chaque geste. Ils ne croient qu’en la gratuité des démarches individuelles. De plus, il faut respecter les autres religions. Vous savez, si une seule fois, j’avais fait du prosélytisme, ils m’auraient largués depuis longtemps. Et ils auraient eu raison.

14. Cheveux longs, jeans, santiags... N’avez-vous pas l’impression de dégager une image de ringard ?

Est-ce que pour vous l’habit fait le moine ?

Je n’ai jamais suivi les modes. J’ai des longs cheveux depuis l’âge de treize ans alors, que c’était la mode des cheveux courts. Je tournais à l’époque des films pour la télévision et il leur fallait un mec avec des cheveux longs. Voilà, comment tout a débuté. Et mes santiags me collent aux pieds depuis mes dix sept ans, c’est un cadeau. J’ai quand même changé de paires depuis...
Je me fous totalement de mon look et encore plus de savoir si je fais ringard ou non.

Je suis depuis mon enfance, un rebelle qui veut se démarquer des gens dits ordinaires.

A près de 47 piges, cela peut surprendre. Mais, je ne suis pas un mouton bêlant qui va se raser le crâne parce que tout le monde le fait. Je me sens bien dans ma peau ainsi.
Bien-sûr que l’habit fait le moine. La façon dont vous habillez votre corps est révélateur de votre identité. C’est pour cette raison que j’affirme être un rebelle car, j’ai continué à m’habiller ainsi, pour faire flipper les bourgeois et me rapprocher des blessés de la Vie. Sinon, je mettrai un costume-cravate et j’aurai l’air con tout en trahissant mon idéal de convictions profondes.

Je vous le redis, le look je m’en bats les flancs. Mais, s’habiller pour ressembler aux autres est une connerie. Je me sens très mal à l’aise dans un costard. De plus, si les gens étaient plus originaux, il y aurait moins de marginaux.

Nous sommes stéréotypés en tout. Si , je suis ringard. Je revendique ce ringardisme au nom de la liberté de s’habiller autrement. Seuls, les jeunes ne sont pas surpris ce qui prouve qu’ils sont loin d’être des imbéciles de la société formatée.

15. Quel est votre plus grand bonheur ? Ou quel serait votre plus grand bonheur ?

De savoir les autres Heureux qu’ils soient proches ou éloignés. Pour le reste, je suis un homme pleinement heureux, joyeux, plein d’humour et épanoui car, je pense avoir réussi ma vie et par ricochet celle des autres.

16. Le monde entier file un mauvais coton ?

Je pense déjà avoir répondu à cette question. Je donnerai donc une seule et unique phrase : Il est temps que nous retrouvions le sens des autres et de la vie commune, c’est-à-dire vivre en société dans le respect et la tolérance. Le visage de l’Humanité en serait métamorphosé.
Je pense que le fric est la drogue par excellence qui détruit les rapports humains. Vivons dans une société où le cœur sera loi. Utopique ? Peut-être, mais j’y crois fermement !

17. Dieu a fait l’homme à son image ou l’homme a créé Dieu à son image ?

J’aurais tendance à dire les deux. Dieu a d’abord créé l’ Homme à son image. Puis, les Hommes ont imaginés Dieu. Je m’explique. Une personne croyante qui a vécue une enfance avec un père très autoritaire verra en Dieu le puissant légaliste qui régit les lois des conduites humaines. Ce sont des croyants névrotiques. Donc, l’image que l’on se fait de Dieu est en rapport avec notre vécu. C’est pour cette raison que les prêtres ont une formation de haute tenue, notamment au niveau psychologique.

Moi, je ne me fais aucune image de Dieu. J’ai horreur de cela, l’image est un miroir déformant. Je sais que Dieu est Amour. Non, parce que je l’ai lu mais par expérience. La Foi est une expérience entre Dieu et vous. Si cette phase de la rencontre divine n’a jamais vue le jour, vous demeurez dans le monde des images et des mots. Dieu est l’indicible que l’on tente sans cesse d’expliquer.

Je crois que les poètes y parviennent mieux que les religieux ou théologiens eux-mêmes.

18. Je vous laisse le mot de la fin...

Nous devons tous et toutes donner un sens à notre existence. Que ce sens soit artistique, poétique, littéraire, pictural, éducatif, musical... Peu importe.
Le sens des valeurs que nous transmettrons aux jeunes de ce temps aura le parfum des réussites de demain.
C’est parce que nous avons baissés les bras et que nous laissons entrer une morosité malsaine que notre monde est au bord de l’asphyxie.

Donnons l‘oxygène du Bonheur et de la Joie de vivre.
Le monde à venir aura le visage que nous lui donnons actuellement.

Savez-vous que la plus grande révolution face aux problèmes qui adviennent est l’humour et le rire.
Garder un grand sens de l’Humour lorsque tout va mal, c’est prendre ses distances avec ce mal et ainsi, ne pas se laisser envahir.

Les valeurs spirituelles qui nous habitent tous et toutes seront les lumières qui éclaireront le monde futur. Gardons notre militantisme pour un monde meilleur, toujours en alarme. Où que vous soyez et qui que vous soyez, vous êtes utiles sur cette terre. A vous de trouver votre route, si ce n‘est déjà fait . Vous êtes mes frères et Sœurs en Humanité.

Le BLOG de Bruno LEROY

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