HISTOIRE D’Ombre

HISTOIRE D'Ombre

L’ombre, cette zone sombre due à l’absence de lumière, qui naît de l’interception de cette dernière par un corps opaque, nous est très familière sans que pour autant nous y prêtions quelque réelle importance. Nous en avons tous une, c’est certain, c’est acquis, à tel point qu’on pourrait presque l’oublier. Cette traînée noire, qui apparaît devant, derrière, sur les côtés, qui nous grandit, nous rapetisse, nous fait des membres allongés ; nous suit et nous fuit. On ne saurait mesurer son importance qu’en en étant dépourvu, comme bien souvent.
C’est cette mésaventure que nous conte Von Chamisso, à travers l’étrange histoire de Peter Schlemihl.

Imprimé pour la première fois en allemand en 1814, et traduit dans presque toutes les langues européennes depuis, très célèbre en Angleterre et aux Etats-Unis, L’étrange histoire... raconte bien plus que le simple deuil d’une ombre. Cette œuvre est une vraie réflexion sur la perte d’identité, la différence et l’exclusion, sujets universels, et on ne peut plus d’actualité de nos jours.

Peter Schlemihl, cède son ombre au mystérieux homme en gris, contre une bourse d’or inépuisable. En lâchant l’ombre pour la proie - ici, l’argent - Schlemihl subit une véritable métamorphose, dont il ne tarde pas à mesurer l’ampleur et les funestes conséquences. Amputé de son ombre, il est banni du monde des hommes malgré lui, et cette absence de projection, au premier abord banale et superflue, se révèle, pour le héros malheureux qui s’en trouve dépourvu, une tare sociale.

Alors qu’il a le sentiment d’être resté strictement identique à lui-même, la façon dont il est perçu par autrui modifie radicalement sa forme. Il est identique à ce qu’il était et pourtant n’est plus semblable à ses semblables, qui ne le reconnaissent plus comme tel. L’exclusion sociale est à ce point violente et inéluctable qu’elle finit par anéantir le lien le plus fort qui puisse lier deux êtres : l’amour.

En enfer parmi les autres, il se retire, et est condamné à vivre reclu, à l’abri de la lumière, isolé des hommes et de l’amour. Seul son fidèle serviteur et ami Bendel l’accompagne dans son infortune. Son chemin croisera de nouveau celui de l’homme en gris (le diable ? ) et Schlemihl fera des choix, s’en accomodera tant bien mal, au travers d’un enchaînement d’invraisemblances merveilleuses...n’en disons pas plus ici.

Malgré le fait qu’Adelbert von Chamisso présente ce récit comme l’oeuvre de Schlemihl lui-même, qui le lui aurait confié, le texte de l’ouvrage rappelle et confirme que le héros de cette fiction n’est autre que le double de l’auteur, qui maintient cette version d’un Schlemihl réel, mais se plaît en même temps à la démentir à plaisir au fil de l’histoire.

L’auteur a su adroitement combiner les charmes du conte, la profondeur de la parabole, et le frémissement de l’autobiographie, belle alchimie, savant mélange paradoxal, qui font de cette oeuvre un surprenant succès.

Les différents degrés de compréhension de ce petit livre font que, presque deux siècles après sa première impression, il est indispensable de le lire, relire, et le recommander vivement à ses amis, ses enfants, grands et petits.

« Si tu veux vivre parmi les hommes, apprends à révérer d’abord l’ombre, ensuite l’argent »

(P.S : Merci à celui, cher à mon coeur, ombre complice, qui m’a offert ce joli moment de lecture)

L’étrange histoire de Peter Schlemihl, d’Adelbert von Chamisso - 2 € chez Librio (également disponible aux éditions Flammarion, Folio, Hachette)

Matez des ombres comme s’il en pleuvait

L’étrange histoire de Peter Schlemihl, d’Adelbert von Chamisso - 2 € chez Librio (également disponible aux éditions Flammarion, Folio, Hachette)

Matez des ombres comme s’il en pleuvait