Pierre Drachline : Dire, penser, vivre et écrire après la mort !

" Lire un écrivain est la meilleure manière de le fréquenter " a dit un jour Pierre Drachline. Cette phrase prend, justement, tout son sens lorsqu’on lit du Drachline. On passe des heures précieuses et douces en pénétrant dans la connivence délicate entre prose et la poésie d’un auteur qui ouvre des chemins, qui défriche notre médiocratie, avec ce pudique qui choisit, tour à tour, l’humour noir, le faux cynisme, l’axe de la mémoire et de la mort pour faire un voyage intérieur digne, vivant parmi les ruines. On est en bonne compagnie avec ce fin lettré qu’on aimera si on n’ a pas peur d’admirer, qu’on torpillera au vitriol car il dit mieux. Malgré la décomposition programmée du temps, des êtres et surtout des joliesses du monde, voici le parcours héroïque d’un résistant. C’est dans un vagabondage conscient de l’esprit qu’il nous emmène à la poursuite de l’Innommée.

" Chaque jour passé est un hold - up réussi "

Une promenade tout sauf dilettante où il rencontre d’heureuses formules, des mots qui resteront, où il prend du recul face aux mondanités vaines de cette " société [qui] nourrit bien ses métastases ".

" Fin de conversation " est un récit qui vaut tous les Roman Jakobson du monde. Le narrateur oralise pour ne pas sombrer dans la dépression un chant résolument positif malgré les intempéries et les drames du dedans qui seraient là pour conjurer le mauvais sort. Ce livre qui dépasse les genres littéraires traditionnels est avant tout un Essai courageux, rigoureux malgré son apparente facilité de lecture. Une introspection jamais sèche, comme le monde vu par Nadjeda Mandelstam dont une citation superbe ouvre le livre. S’il y a un public pour ce type de travail sur les syntagmes, si des gens sont enthousiastes, touchés après la lecture de cet ouvrage, tout n’est pas perdu. Voilà le type de narration qu’il faut mettre en valeur, car elle aiguise notre œil et notre esprit pour marcher dans les pas esquissés par notre guide bienveillant. Drachline réinvente à chaque phrase la lucidité poétique. L’image inattaquable. On jubile et on se nourrit de la somme folle des expériences de cet homme à la fois familier et lointain. C’est une oeuvre de réaction. Ce livre est un mouvement, un combat digne contre " l’exhibitionnisme des larves ".
Ce récit empli de clins d’œil, de mises en abîme jamais private joke est un labyrinthe qui se joue des apparences rendant hommage au corps, assénant quelques vérités, se faufilant avec bonheur dans des sentiers jamais dépourvus d’élégance. Ni de vérité. Cette tendre ironie sur les microcosme est nécessaire. Louons-là comme elle le mérite.

Je ne serais pas surpris de trouver une bonne douzaine de phrases extraites de ce livres dans des dictionnaires de citations, il n’y a pas de gratuité dans cette création tout azimut, ces mots ont valeur de témoignage. Drachline offre des petites pierres nonchalantes à notre histoires des Lettres. Il délaisse pour un temps le masque du clown et touche juste, presque trop près de la frontière, de la fêlure que l’on porte tous en nous. C’est dérangeant, étourdissant mais faisons-lui confiance, la balade ne sera sans doute pas vaine. On se retrouvera après avoir frôlé les précipices.
Ce récit est un pied de nez aux ventriloques de l’émotion dont le narrateur n’est jamais dupe, des fausses commedia del arte du quotidien qui tournent vers le sordide. Un coup de poing dans les bijoux de famille de la glauquitude contemporaine. Une réflexion ultra sensible aux frontières de l’intime après les bouleversements intrinsèques au deuil mis en scène dans un champ lexical de métaphores pertinentes.
Drachline écrit dans un silence pieux , dans trois points de suspension, offre son œil intelligent et calibré à la société du spectacle, se régale des inconsistances, sans moquerie excessive, car il sait y faire l’équilibriste.

Drachline décide de parler, même si cela ne se fait pas, à cette rapine de mort, de dire malgré tout alors que les débats sont clos. C’est cet instant de l’après qui donne tout son sens à l’analyse. Ce qui pourrait apparaître comme un exercice gratuit est tout le contraire. Lisez " Fin de conversation ", parler de ou commenter ce livre, c’est le paraphraser.

Fin de conversation ; Récit, Pierre Drachline, 1996, Cherche Midi, 154 pages

Fin de conversation ; Récit, Pierre Drachline, 1996, Cherche Midi, 154 pages