Interview : Bernard Quiriny

Interview : Bernard Quiriny

Nous sommes quelques uns à former beaucoup d’espoir autour de Bernard Quiriny auteur d’un premier recueil de nouvelles très prometteur publié chez Phébus en ce début d’année. Si vous n’avez pas encore eu la chance de découvrir cet écrivain talentueux, je ne peux que vous conseiller de vous procurer au plus vite son "Angoisse de la première page" qui vous mettra en face d’un morceau de choix de très bonne littérature actuelle. Entretien exclusif avec le créateur de Pierre Gould.

1. Bonjour Bernard Quiriny, nous avons beaucoup aimé votre livre au Mague, mais une question reste en suspens... qui êtes-vous donc ? On sait très peu de chose sur vous à part que vous êtes né en 1978 que vous avez bossé à Chronicart et Epok et que vous habitez non loin de l’écrivain Gérard Oberlé ?

La question contient presque tout ce qu’il y a à dire : j’ajouterai seulement que je suis né en Belgique, que je m’occupe de droit et de philosophie à l’Université de Bourgogne (je viens de passer quatre ans en compagnie de Cornelius Castoriadis, à qui j’ai consacré une thèse ; on le retrouve dans deux des nouvelles) et que je vis alternativement en Côte d’Or (Dijon) et en Nièvre (pas très loin, en effet, de chez Gérard Oberlé).

2. Comment l’Ecriture est-elle arrivée dans votre vie, comment est venue votre vocation d’écrivain (ne niez pas vous avez reçu un prix à cet effet) ?

Bonne question. Au départ, une poignée d’idées dont je me disais que, peut-être, elles pourraient donner lieu à de bonnes histoires, à la manière de quelques-uns des écrivains que j’aime : dans des registres très différents, mais tous dans des formes brèves, Marcel Aymé, Borges, Chesterton, Casares, Cortazar... Après avoir longtemps hésité, j’ai fini par me lancer en espérant que les textes que j’écrirais, à défaut d’être dignes de ces « modèles », mériteraient d’être lus et, peut-être, relus dans quelques années.

3. A quand donc remonte votre première rencontre avec le mystérieux Pierre Gould ?

L’histoire de Gould est assez curieuse, et beaucoup de gens m’en parlent en me demandant les raisons pour lesquelles j’ai fait revenir ce personnage, s’il s’agissait de moi, d’un double fictionnel, etc. Je n’arrive plus à me souvenir de la nouvelle dans laquelle il est apparu ; c’était en tous cas dans l’une des premières que j’ai écrites. J’ai trouvé amusant de réutiliser ce nom dans d’autres textes ensuite, de manière à créer à la fois un doute et une sorte de running-gag : on retrouve Gould partout, dans des situations et avec des personnalités chaque fois différentes, comme le loup en fuite retrouve Droopy où qu’il aille dans « Dumb-Hounded », le cartoon de Tex Avery. Après, bien sûr, on peut creuser la question et s’interroger sur la signification de cette récurrence, au-delà de sa dimension humoristique. Certains lecteurs m’ont fait remarquer que Gould était le personnage « détonateur », celui par lequel tout bascule du normal vers le fantastique - ce dont je ne m’étais pas rendu compte et qui est tout à fait vrai. D’autres ont observé que Gould était là dans « L’angoisse de la première phrase » et « Le guide des poignardés célèbres », deux nouvelles qui tournent autour de l’écriture, de sorte qu’il était peut-être le double sur lequel j’avais transféré mes doutes et mes interrogations. Denis Grozdanovitch a également attiré mon attention sur le fait que « Gould » est un nom juif (je l’ignorais, enfin je crois), ce qui selon lui est très important. Nous n’avons malheureusement pas eu le temps d’en discuter plus avant, il faudra que je lui repose la question un jour.

4. Est-ce que cela a été difficile de convaincre votre éditeur de publier un recueil de nouvelles pour votre entrée en Littérature ?

Non. J’ai la chance d’être publié par un éditeur qui se préoccupe de la qualité du texte avant de se demander de quel genre il relève. Cela dit, je sais que d’autres maisons refusent de publier un premier livre qui soit un recueil de nouvelles, préférant un roman - ce qui peut aussi se comprendre.

5. Un jeune auteur qui ne fait pas un livre sur son sexe c’est assez rare de nos jours, d’où vient ce parti pris de ne pas parler de vos parties intimes ?

Elles n’ont guère plus d’intérêt que celles des autres. J’ai tâché d’éviter deux sujets : mon sexe et mon nombril. Cela ne suffit certainement pas à rendre le livre remarquable, mais enfin, il échappe au moins aux travers les plus grossiers.

6. Comprenez-vous l’engouement que peut susciter ce livre, en êtes-vous content presque un an après sa publication, l’avez-vous relu ?

« Engouement » est un grand mot, mais j’ai été surpris - et très heureux - du bon accueil qui lui a été réservé dans la presse. Je craignais que le genre choisi, la nouvelle, ne le condamne à l’indifférence, mais ça n’a pas été le cas. Dix mois après, je suis très content de la manière dont ça s’est passé, et plus encore quand je constate que le livre continue sa vie et se balade ici et là : on en a lu un extrait dans une émission de radio cet été, un réalisateur m’a écrit pour me dire qu’il aimerait adapter l’une des nouvelles en court-métrage... Je ne l’ai jamais relu : j’ai trop peur d’y trouver des insuffisances, des choses que j’aurais mieux dites maintenant.

7. Vous portez un attachement particulier au style, à la phrase juste et musicale, semble t’il ? Houellebecq doit vous ennuyer alors...

C’est sans doute la part la plus difficile, artisanale et enthousiasmante de l’écriture, au-delà du fait de concevoir des histoires : reprendre les phrases et les améliorer, traquer les lourdeurs, gommer les répétitions, réécrire la même chose avec d’autres mots, plus élégamment, plus clairement, sans pour autant être précieux. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai aimé écrire ces deux séries de textes très brefs, « Commerces » et « L’Art dangereux » (dont la forme et le ton m’ont été en partie inspirés par un recueil de textes courts d’un écrivain argentin contemporain, Eduardo Berti : La vie impossible). Plus le texte est court, plus il doit être en quelque sorte impossible de l’écrire autrement ; chaque terme doit être pesé et choisi, c’est comme de l’orfèvrerie. Quant à Houellebecq, je ne sais pas trop quoi en dire. Je ne doute pas qu’il soit un auteur important, même si ce n’est pas vraiment le genre de littérature que j’apprécie. D’autres vous diront pourquoi c’est un contempteur génial de notre monde ou un observateur hyperlucide de la société dans laquelle on vit ; moi, ça ne m’intéresse pas vraiment. Et pour ce qui est de son style, je dois dire que La Possibilité d’une île m’a paru assez mal écrit. Mais peu importe.

8. Si vous aviez un empire, qu’en feriez-vous ?

Je le vendrais.

9. De quoi parlera votre prochain livre ?

Je travaille à des nouvelles qui parlent d’évêques argentins dotés de corps multiples, de plantes carnivores de trois mètres de haut, de machines à contrôler les foules et d’écrivains jumeaux qui travaillent ensemble. J’ai dans la tête et sur le chantier un début d’esquisse de roman tournant autour du thème du totalitarisme, mais c’est encore informe.

10. Je vous laisse le mot de la fin cher Bernard Quiriny !

J’utilise cet espace de liberté pour reproduire un petit poème que j’ai lu l’autre jour dans un livre de Sepúlveda et Delgado-Aparaín et que je récite à tout le monde depuis en hurlant de rire à chaque fois. Il est signé du chilien Vincento Huidobro et parle de l’étroitesse géographique aberrante de son pays natal : « Les quatre points cardinaux / Sont au nombre de trois / Le Nord / Et / Le Sud. »


Lire la critique de ce livre sur le Mague


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