La force de conviction, de Jean-Claude Guillebaud

Jean-Claude Guillebaud nous convie dans son dernier livre à une analyse rationnelle de l’attirance pour l’irrationnel. Accrochez-vous au bastingage, car en pleine tempête irrationnelle, le capitaine du navire raisonnable se fait un peu secouer.

On ne pourra pas en vouloir à Jean-Claude Guillebaud de ne pas s’attaquer à un gros morceau : la croyance, et d’une manière plus générale l’irrationnel dans notre société (tremblez mortels !). Mais le gros morceau en question, plein de montres, de vendredi 13 et d’échelles, plein de télépathie, de pouvoirs psy, de Dark Vador, de divinités diverses et d’extraterrestres, a déjà mangé plus d’un intellectuel raisonnable et il faut avoir une force terrible pour prétendre lutter contre l’irrationnel avec la raison. D’ailleurs, si j’étais religieux, je dirais que ce Guillebaud ne manque pas de toupet !

Les plus du livre

Soyons clair, ce monsieur n’est pas le dernier des crétins et dit des choses qui sont, de nos jours, douces à entendre aux oreilles. Ah l’intelligence se fait rare de nos jours ! Mais ne nous égarons point, le sujet est déjà grave, n’en rajoutons pas !

La première thèse du bouquin est qu’il n’y a pas d’homme sans croyance, et que si l’homme occidental est persuadé d’avoir bouté la religion hors de l’Etat et remisé les idéologies au placard méphitique du temps, il n’en reste pas moins que chacun d’entre nous a besoin de croire pour vivre. La thèse n’est pas nouvelle, certes, mais Guillebaud est particulièrement intéressant quand il illustre son propos avec des exemples concrets (oui parce que moi sinon, j’ai un peu de mal à comprendre).

Son exemple le plus emblématique est le Cac 40 sur France-Info ! Oui, nous dit-il, ceux qui vouent un culte prédominant à l’économie et écoutent le Cac 40 deux millions de fois par jour sur France-Info sont des religieux écoutant la lecture des prières au dieu économie, et croient que ledit dieu véhicule des savoirs alors qu’il ne fait que répandre des croyances déguisées en savoirs. Là, on lui tire notre chapeau, car en 2005, critiquer de manière intelligente l’économie n’est pas monnaie courante.

Guillebaud insiste avec des exemples tirés de la science. La science, nous dit-il, a pris une certaine habitude de travestir des croyances en savoirs. Or, pour les blaireaux que nous sommes, il n’est pas facile de faire la différence. Nous nous faisons donc enfler comme des bleus dès lors qu’un scientifique ouvre la bouche pour nous rire au nez et se moquer de notre vision simpliste de la « réalité ». En gros, pas le droit à la déconnade, genre « et si les extraterrestres existaient... » On est remis en place par les « savoirs » de la science tout comme l’athée était remis en place par les religieux au Moyen Age.

Hé oui, car Jean-Claude Guillebaud persiste et signe en nous donnant des comparaisons temporelles ! C’est qu’il a des arguments le bougre ! En gros, nous dit-il, nos descendants se fendront bien la gueule quand ils verront que nous étions des esclaves aussi abrutis des modèles économiques, et que l’économie était devenue, à notre époque, une véritable « religion politique ». De quoi nous faire penser durant les longues soirées d’hiver...

J’aime bien aussi la critique de l’hédonisme dépressif à la Onfray. Si, si je l’ai vu, même si ce n’est pas explicite, mais de manière perso, c’est vrai que je suis content (voir l’article du Mague sur le duel Onfray contre Houellebecq)...

Les moins du livre

Si Guillebaud brille par son analyse rare des travers religieux de notre société civile, il est moins percutant et nettement moins convaincant dans la partie religieuse du livre. En effet, son credo frise le réchauffé et les poncifs fusent (allitération en « f » de la mort).

Les premières approximations viennent du fait qu’il confond souvent les intellectuels, auxquels il appartient, avec les autres, genre nous, la masse des abrutis qui allons voir les voyants pour qu’ils voient. En gros, mais c’est souvent le travers des intellos, ceux que eux vivent est représentatif de ce que vit la société. Bien sûr, ce n’est pas aussi simple que ça (c’est ma phrase fétiche ! ).

Autre travers, celui des hypothèses de travail : nous serions actuellement dans une époque où la tentation d’aller vers les boules de cristal et autres marabouts nous viendrait du fait que nous ayons perdu nos fois en les religions et en les systèmes politiques. Bof... Le raisonnement est un peu faiblard et pas du tout étayé. Ca ressemblerait même à une croyance sociale, car les religions officielles ne vont pas si mal que ça et les voyants bossaient dur avant comme après la chute du Mur de Berlin.

Quelques bon points pour lui néanmoins, notamment le fait qu’il s’insurge contre le fait que le catho de base soit maintenant vu par beaucoup comme un crétin crédule fini et superstitieux (mais la religion d’Etat est en ce moment l’athéisme), et que les mecs qui ont foncé en avion dans les tours du World Trade étaient pas plus musulmans qu’un terroriste d’extrême gauche. Malgré tout, l’islam est agrémenté de tous les poncifs habituels qu’on aimerait bien ne pas voir dans un bouquin de cet acabit.

Bien sûr, Guillebaud veut nous donner son avis sur tout cela, d’ailleurs c’est un peu pour ça qu’il a écrit ce livre, je suppose, et là, comme la plupart des apprentis philosophes, on déchante un peu, même si le constat qu’il nous a fait était souvent alléchant. En substance, si on était tous un peu plus humanistes et que tous pouvaient communiquer autour de leurs croyances en toute ouverture d’esprit, alors ça irait mieux en ce bas monde... Mouais... Certes, mais ça vole pas haut. Et puis, c’est un peu simpliste, comme qui dirait, c’est un vœu pieu (humour) !

De fait, le problème logique le plus grave de cette partie du livre est cette vision de Guillebaud que l’on choisit une croyance dans notre société matérialiste et consumériste comme on choisit des pâtes Panzani plutôt que des Lustucru quand on va faire le plein de bouffe au supermarché. Hé ouais, mais (reprenez tous en cœur), c’est plus compliqué que ça (faut que je pense à faire breveter cette phrase moi avant que quelqu’un de plus connu ne me la pique). Le summum du « Oulala (les sourcils froncés d’inquiétude) ! » est quand Guillebaud compare la foi en un dieu unique et le choix d’une opinion politique. Urghh.

Conclusion

Ce bouquin est un bon bouquin qui finit bien comme il faut, avec des recettes inapplicables mais vertueuses. On nage en pleines bonnes intentions, c’est cool, peace and love, ça fait du bien, même si c’est pas réaliste.

Je prédis déjà un grand succès du bouquin chez les profs de l’Education Nationale et chez tous les intellos de gauche qui se la jouent à avoir une opinion sur tout. Dommage, on est pas dans Télérama !

La force de conviction, de Jean-Claude Guillebaud
Edition du SEUIL
22 €

La force de conviction, de Jean-Claude Guillebaud
Edition du SEUIL
22 €