A propos des collages de Frédéric Vignale

A propos des collages de portraits d’écrivains en particulier et des collages de Frédéric Vignale en général

Image, montage, collage font-ils bon ménage ? Cubisme ou surréalisme (et même futurisme avec l’impérialisme des affiches de propagande) n’ont eu de cesse de répondre en investissant tous les champs d’actions et médiums artistiques susceptibles de les renseigner. Des générations plus tard, d’autres artistes succombent à ces chants magnétiques. Parmi eux, Frédéric Vignale.

D’origine italienne par son père (Campanie), ce trublion du net est un collagiste silencieux qui œuvre dans l’ombre de la toile. Au ramage des collages, il ajoute et préfère la photographie. Si bien qu’il convient de parler, quant à ses travaux, très vraisemblablement, de photocollages.

Vivant avec son temps, refusant l’argentique pour ce nouveau chant magnétique, lui préférant le numérique, refusant les pigments pour mieux employer la palette graphique informatique, il croque, à sa façon, les artistes et écrivains qu’il croise ou convoque dans son univers particulier. Son regard est, forcément, nécessairement, subjectif, sélectif. Un coup d’œil que vient seconder les interviews qu’il fait des artistes et écrivains. Le tout l’éclairant plus sûrement que toutes les esquisses dans un atelier nécessaires avant de convoquer véritablement l’œuvre.

De sorte qu’il ne viendra à personne l’idée de poser la question suivante : le photocollage de Vignale a-t-il le devoir d’une fidélité absolue avec le modèle ou la réalité de l’œuvre artistique du sujet ? Se doit-il de commercer avec le réel de la personne déjà elle-même double sujet ? Quelle est la schizophrénie du maître et du sujet ? Les couleurs, vives, chaudes, étalées à grands traits ou judicieusement contenues, sont des schismes qui disent l’écran de fumée autour du sujet et du maître. Les contours qui ceignent les écrivains comme autant de mandorles témoignent du respect que porte Vignale à ses sujets mais également de la terra incognita qu’il ne tient pas à déchiffrer ou défricher.

Le spectateur est libre. Contour et limite se doivent d’être questionnés tout autant. Sans parler des bordures-ruptures, comme des hiatus invitant au questionnement. La figure tutélaire de l’écrivain est emblématique. Vignale ne le sait que trop bien lui qui accentue ce trait et en souligne toute la force. C’est par exemple, Gérard Oberlé, petit corps, rabougri mais chef immense, rose-bonbon, démesuré, débordant du cadre et bataillant ferme contre les autres couleurs pour dicter sa loi et, finalement, s’imposer.

L’homme monstrueux rendu attendrissant par un regard azur, est profond : il caresse son chien qui semble broyé dans ses bras de titan. L’animal est affublé du nez de son maître : le spectateur averti devine sûrement là le rappel à la bonne chair, à l’exquise cuisine qu’apprécie et fait l’auteur, à la bibliophilie qui est son univers, aux recettes d’une écriture savante et fine, faite pour les palais délicats qui savent apprécier.

Arrabal, le plus Espagnol des Français est croqué dans sa duplicité canaille, dans son statut de Janus, de siamois : deux visages dont l’un n’est que lettres et caractères d’imprimerie et l’autre, celui qu’on lui connaît, rondouillard, presque franchouillard* ; les deux sont noyés dans le rouge acidulé et la couleur brun qui ne manquent pas de rappeler son combat politique contre « Franco la muerte » (comme le chantait le chanteur et poète français Léo Ferré installé plus de trente ans en Toscane).

C’est Pessoa, dont le portrait s’efface dans la couleur ; fidèle au neutre, à son œuvre, à la lenteur et à la rêverie et donne envie d’aller le rencontrer à travers ses livres. C’est Prévert, maître des choses, bariolé comme s’il était une égérie de la marque Benetton surplombé par les lettres MERDE* d’un temple de la consommation.

Et d’Aragon et Elsa que restent-ils aujourd’hui dans le cœur des hommes (des Français surtout) ?

Rien ! Seules leurs amours survivent. Alors Vignale, fin, rend compte de cela : ils les encadrent, vieux, comme une photographie que l’on a chez soi et que l’on conserve religieusement de son grand-père et de sa grand-mère. Il accompagne les amoureux d’une bande rouge pour illustrer, façon Arrabal, leur combat et d’un gris, plus petit, qui s’étiole et où se perdent ce qui semble être deux croix gammées. On pourrait nommer cela : la couleur des idées (politiques).

Ici, toutefois, cela semble plus convenu : il n’y a pas le geste rageur et jubilatoire ni politique du MERDE* que l’on découvre chez Prévert. Mais, quoi qu’il en soit, les photocollages de Vignale présentent bien une analogie sur le plan du signifiant et une relation encyclopédique (culture, politique, publicité, etc) largement détectable à travers l’iconisme. On s’approche des figures de Wharol. Dommage qu’il n’y ait pas d’auteurs italiens ! A suivre.

Arigo Sacchi

* en français dans le texte

(1)Traduction Laurent Bulteau

Arigo Sacchi, maître de conférences (sémiotique du signe) à Sienne et à Pise est également critique d’art dans plusieurs supports de presse transalpins. Il collabore également à différentes revues européennes.

Le site de collage de Vignale

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