Ils veulent (encore) tuer le docteur Freud !

Un nouveau collectif de quarante auteurs dont un historien, trois praticiens spécialisés dans les thérapies cognitives et comportementales, un psy, un psychologue et un professeur de psychologie veulent exhumer les restes du cadavre du docteur Freud et le piétiner sauvagement en scandant des slogans scientifiques ! Lisez l’enquête exclusive et très psychanalytique du Mague sur les auteurs névrosés de cette atteinte au plus tabou des tabous : Herr Sigmund.

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Docteur, j’ai bobo dans ma tête

La psychanalyse serait-elle sur le déclin ? Le glas de nos divans serait-il en train de sonner ? Après nous avoir dit que nous étions tous des névrosés durant des décennies, voilà qu’on nous dit le contraire : que Freud et sa psychanalyse ne sont que des imposteurs, que les psychanalystes sont de dangereux malfaiteurs, toujours prêts à nous soupirer un "hmmm" concerné en échange d’une coquette somme de pognon, que tous ces marabouts, non seulement ne peuvent pas nous soigner, mais en plus sont des individus dangereux pour notre santé mentale !

Cela fait beaucoup d’un coup, surtout quand on nous rejoue une rengaine qui n’a pas changé depuis l’« Introduction à la psychanalyse » de Freud. Toute cette mascarade, a une fois encore l’odeur des espèces sonnantes et trébuchantes, un goût de polémique artificielle et de relecture bien primitive de certains écrits. En substance, en France, on s’emmerde tellement dans les milieux intellos qu’on se sent obligé de raviver les vieilles polémiques stériles. Plus qu’exhumer le cadavre de Freud, c’est le cadavre d’une polémique longue comme l’histoire de la psychanalyse qu’il faut encore supporter entre deux actualités contingentes d’orages furieux et de Katrina pas contente.

« Alors là, mon cher, vous êtes en pleine science-fiction »

Bon, l’argument scientifique, on le connaît : l’inconscient de Freud n’est pas « démontrable ». Donc, toutes ces théories, c’est du caca boudin, à reléguer au rayon des vendredi 13, des grigris africains, de l’horoscope, des miracles et des extraterrestres. Compris ?

Enfin, pour les scientifiques hors pair qui lisent le Mague, je voudrais signaler que l’opinion dominante socialement correcte à un certain moment de l’histoire de l’humanité, genre au hasard à l’époque de Galilée, était de considérer que la Terre était plate. On pourra citer aussi un contemporain de Freud, raillé pour ses théories « à la con » et humilié par ses collègues bien pensants de l’époque, j’ai nommé Albert Einstein.

Tout cela pour dire que le consensus sur la non démontrabilité des choses, on sait ce que ça vaut, comme on sait comment l’intelligentsia scientifique prend les nouveautés et les théories qui bouleversent un peu les idées reçues.

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Le philosophe Gotlib

Cela fait penser à la « Rubrique à brac », œuvre philosophique majeure du philosophe Marcel Gotlib dans lequel on voit un Galilée proposant sa théorie de la Terre ronde vite remis en place par un scientifique austère, défendant la terre plate, qui lui dit l’air concerné et consterné : « alors là mon cher, vous êtes en pleine science-fiction ».

Pourquoi ces bonnes âmes veulent-elles nous éviter le péril psychanalytique ?

Quand quelqu’un cherche à vous aider alors que vous n’avez rien demandé, c’est toujours un peu louche. Je dirais même que c’est psychanalytiquement suspect, de quoi le faire allonger sur un divan afin de le faire s’expliquer de ses intentions véritables.

Ici, les grands maîtres de l’histoire et de la psychologie n’y vont pas par quatre chemins pour démolir Freud et usent de tous leurs stratagèmes pour nous convaincre nous, les blaireaux, les non initiés de la prescription du Prozac ou du Valium, nous les abrutis irrécupérables, incapables de démontrer, comme le font les découvertes scientifiques majeures des sciences cognitives, le fait qu’un individu a une activité cérébrale non nulle en regardant « Qui veut gagner des millions ? » à la télé le soir.

Pourquoi donc, ces maîtres du médoc facile et ces archanges de la démocratie du Tranxène nous préviennent-ils des dangers de la psychanalyse ? Pourquoi s’abaissent-ils à faire œuvre de charité pour dissuader les plus névrosés d’entre nous d’aller raconter notre enfance sur des divans qu’on paye à l’heure, comme les transats l’été à la plage ?

Bien sûr, ces gens ont quelque chose à vendre. Pour qui jette un œil de temps en temps aux canards scientifiques, le combat est récurrent depuis un moment : reprendre le contrôle de l’esprit humain, de manière scientifique, voilà quel est l’enjeu, et ce combat passe par l’éradication des théories non démontrables, par la réécriture de l’histoire des sciences et par enfin la prescription de Prozac aux religieux, qui quand même sont des vrais névrosés dans leurs monastères. La « science », comme à son habitude, veut tout contrôler et ne supporte pas que quelque chose lui échappe.

Tous des pourris ?

On peut se demander en effet qui sont les plus pourris dans cette histoire franco-française, car, contrairement à ce que dit le collectif anti-Freud dans ce bouquin dispensable, le débat dans les pays anglo-saxons n’a pas du tout la teneur que ces derniers décrivent. Freud y est depuis longtemps considéré comme un « inspirateur doctrinaire », et les travaux psychanalytiques actuels ou récents se portent souvent sur des filiations avec la psychanalyse de Jung, totalement inconnue voire taboue en France.

Cette vision différente de la psychanalyse est d’ailleurs utilisée dans différents domaines allant des thérapies personnelles ou de couple à l’établissement de profils psychologiques pour les entreprises. La psychanalyse anglo-saxonne, ou ses branches dérivées, sont donc beaucoup plus vivaces et ouvertes de l’autre côté de l’Atlantique que chez nous.

Car, saviez-vous, chers lecteurs du Mague, avides de la connaissance par ce journal prodiguée, que Freud, même si c’était un « dangereux petit obsédé sexuel obsédé par l’argent de ses patients » figure dans les pages du DSM IV, véritable bible anglo-saxonne de la psychiatrie, comme un inspirateur réel des travaux sur la psychologie. Avant lui, nos amis les psychologues n’existaient pas, et les psychiatres pétaient le crâne de leurs patients à coups de marteaux ou les trépanaient. C’était le moment « on ne renie pas ses origines ».

Pourquoi une polémique en France ?

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Le psy trop balaise

La raison en est simple : chez nous, nous avons eu Lacan, le psy trop top balaise, genre avant lui Freud, après lui le déluge ! Et des générations de psychanalystes français se sont inspirés de ce pitre qui, malgré des écrits souvent ineptes, reste, néanmoins, une icône de la pensée française. Quand on pense que ce mystificateur n’a, justement, jamais allongé personne sur son divan, on se dit qu’il est loin du prestige prétentieux d’un Freud. C’est fastoche de théoriser la psychanalyse quand on n’y connaît rien (d’ailleurs je pense sérieusement à écrire un bouquin sur le sujet). De plus, après Lacan, les écrits du maître sont restés incompréhensibles et tabous, donc inaptes à forger une psychologie pratique.

En gros, la psychanalyse française est quand même, depuis des décennies, dans un beau marasme théorique : rien ne s’y crée, tout est soit parole d’évangile, soit combat de chapelle et doctrine. Pas étonnant que les scientifiques extrémistes bouffent de la tarte !

Bien sûr, il est certain que certains psys sont des mystificateurs aimant bien l’argent ; mais il est aussi certain que pas mal de médecins, intoxiqués du dépassement d’honoraires, sont quand même assez branchés par le fric. Ce livre nous montre un tableau idyllique de la médecine et de la science qu’il faudrait tout de même tempérer un peu. Des deux côtés, désolés messieurs, on trouve le même genre de pathologie mentale !

Cela n’enlève rien à la qualité évidente de certains psychanalystes, ni à la bêtise flagrante de certains scientifiques... et vice versa ! Hé oui, le monde est plus complexe que les pamphlets ne le laissent croire.

Drôle de choix pour les névrosés

Supposons que je sois un névrosé (ne riez pas vous dans le fond de la salle !). A ma gauche, les tenants du tout scientifique qui expliquent que dalle mais qui la ramènent beaucoup, et en attendant, vous me boufferez votre dose de Prozac quotidienne. A ma droite, les lacaniens purs et durs ou les freudiens purs et durs en combat théologiques internes depuis des lustres.

Des deux côtés, des gens lisants au premier degré, les textes religieux du Dieu Freud et de son sbire Saint Lacan, ou du Dieu Science et de ses sbires les « sciences cognitives » (un beau ramassis de plein de bouts de sciences qui arrivent souvent à dire qu’on a raison d’user de son bon sens même si ce don se fait de plus en plus rare ces temps-ci).

J’ai comme l’impression d’être pris pour un con des deux côtés, moi...

Ne pas lire

Finalement, on pourra se demander s’il ne vaut pas mieux laisser les religieux se battre entre eux. Les névrosés de la tête, après tout, c’est peut-être eux, les gens de ces deux camps doctrinaires.

Le slogan des sceptiques pourrait être « ni Freud, ni Prozac ». Sachant qu’encore une fois, aller regarder honnêtement ce qui se passe en dehors de la France ferait du bien à tout le monde.

Le livre noir de la psychanalyse
Vivre, penser et aller mieux sans Freud
Sous la direction de Catherine Meyer, Les Arènes, 832 p., 29,80 €.

Pour ceux qui voudraient vraiment lire un bouquin intelligent sur l’histoire de la pensée scientifique :
La philosophie du non
Gaston Bachelard
6ème édition - Puf (26 mai 2005)
Collection : QUADRIGE, 11 €.

Pour ceux qui voudraient avoir une introduction à la psychanalyse de Jung, lisible et inspiratrice de la psychologie anglo-saxonne :
Dialectique du moi et de l’inconscient
Carl-Gustav Jung
Editions Folio, 6,80 €.

Le livre noir de la psychanalyse
Vivre, penser et aller mieux sans Freud
Sous la direction de Catherine Meyer, Les Arènes, 832 p., 29,80 €.

Pour ceux qui voudraient vraiment lire un bouquin intelligent sur l’histoire de la pensée scientifique :
La philosophie du non
Gaston Bachelard
6ème édition - Puf (26 mai 2005)
Collection : QUADRIGE, 11 €.

Pour ceux qui voudraient avoir une introduction à la psychanalyse de Jung, lisible et inspiratrice de la psychologie anglo-saxonne :
Dialectique du moi et de l’inconscient
Carl-Gustav Jung
Editions Folio, 6,80 €.