Interview : Gidèle Didi

Interview : Gidèle Didi

Gisèle Didi est photographe et elle s’expose dans toute son intimité et sa vérité sur le net entre autre endroit. Chaque jour de l’année 2001 par exemple a ses images dans ses "Chroniques ordinaires" qui ne le sont jamais, mais aussi des clichés aléatoires, des portraits d’invités, des instantanés de rencontres. On peut découvrir également sur son site des travaux sur des scènes de la vie juive, ou bien sur les femmes à nattes.
Gisèle Didi sait regarder les autres et surtout les femmes avec une force immédiate qui est toujours belle et respectueuse.
A voir et revoir car chaque image est un morceau de son puzzle, de son mystère, de sa complexité et de sa fluidité...

1. Vous m’avez avoué dans le mail que nous avons échangé avant cette
E-terview que les mots pouvaient vous effrayer.. est-ce à dire que les
images vous rassurent ?

Les images sont le langage que je préfère, celui où je me sens à l’aise, où j’ose le plus, où je me sens libre.
Mais j’ai compris que je n’arrivais pas à exprimer certaines choses très précises juste en images. Alors il me faut des mots. Ils me plaisent mais j’ai peur de les utiliser gauchement, de mal exprimer. Il faut dire que je n’aime pas lire, ça me complexe.

2. Gisèle la femme et Gisèle la photographe sont dans une relation de
dualité ou de complémentarité ?

Les deux. L’image est ma complice, elle est toujours là. L’image peut me faire mal dans ce qu’elle cherche de moi parfois, elle me comble dans ce qu’elle y trouve parfois, dans les étonnements qu’elle produit et dans les moments de vie qu’elle me rend accessible, que je n’aurai pu vivre sans elle. Elle me fait croire à l¹existence des autres et de moi, elle témoigne de ma réalité, de ce qui l¹entoure, et me permet peut-être de penser que je peux intervenir sur elle.

3. Votre regard sur la femme et son corps est toujours bienvaillant, me
trompe-je ?

Il est toujours fasciné et respectueux. J’aime les femmes et leurs corps. Le corps est la suite du visage. Ca a des traits, des plis, des formes, une texture, et ça choisi des positions pour bouger, se poser, se montrer ou se cacher.

4. Etes-vous d’accord avec Gilles Deleuze, "Créer c’est resister " ?

Dans mon cas le résistance est peut être très intimiste, à une petite échelle. En même temps, cette résistance s’est trouvé des sujets essentiels. Elle parle beaucoup de la différence, des femmes, de l’intimité, du plein et du vide et ça c’est assez universel.

5. Si on vous avez demandé de photographier New-York en ruines le lendemain du 11/09 vous l’auriez fait ?

Peut être. J’aurai été tenté de photographier les gens après l’horreur, mais j’aurai été mal à l’aise. Je suis heureuse de ne pas l’avoir fait et je ne l’aurai pas choisi. C’est à une trop grande échelle pour moi. Et puis photographier cette horreur ce n’est pas mon domaine.

6. Comprenez-vous les gens qui sont choqués par la nudité ?

Oui je peux les comprendre et je peux l’être aussi. Il a plein de manière de montrer la nudité.
Concernant mes photos, c’est d’abord des portraits avant d’être des nus, c’est des portraits nus. Il m’est arrivé de faire des nus ou des auto-nus qui avait un autre sens plus provocateur, plus exhibitionniste. Mais c’est avec des mots que récemment je me suis trouvée réellement nue. Et là je me suis senti trop en danger et j’ai fini par cacher ces mots. La nudité du corps n’est pas la plus intime, c’est la plus connoté, la plus sexuée.

7. Votre série "femmes à nattes" me touche au plus profond de ma
masculinité, pour moi ces femmes à nattes sont l’archétype de la féminité, était-ce le but de la manoeuvre ?

C’est une prolongation de mes portraits nus. Je trouve les seins beaux et fascinants dans leurs différences. C’est aussi la féminité sexuée dans ce qu’elle a de visible, qui dépasse. Les nattes c’est d’un autre âge, c’est une coiffure de petite fille et les cheveux sont une parure de femme. Ca rend la force et l’affirmation de la féminité plus fragile et complexe.

8. Quel est "votre" moment de la photo, l’avant, les prises de vue, l’après ou tout cela en même temps ?

Le moment le plus fort c’est pendant la prise de vue. Mais j’aime le moment d’avant où quand il s’agit de photographier l’autre il faut chercher à créer le contexte qui permettra l’intimité. C’est un moment de vie privilégié même si ça ne marche pas à tous les coups. Après c’est le regard sur le travail fait, c’est impatient, puis satisfaisant, ou décevant, ou encore inattendu.

9. C’est pas un peu énervant pour une photographe de qualité comme vous de
savoir que pour le grand public il n’y a qu’une seule photographe en France : Bettina Rheims ?

Pas énervant non, juste impossible. Elle fait bien ce qu’elle fait, c’est son métier, mais ça ne me touche pas vraiment. Il y a tellement d’excellentes photographes. Après c’est tellement personnel. Que les gens aiment tant son travail, pourquoi pas, mais le plus dommage est ce qu’ils ne connaissent pas. Ceci dit j’avoue que les photographes qui me viennent à ne sont pas françaises. Si Delphine Kreuter est française, Marie-Hélène Le Ny aussi... De toute façon il ne peut y avoir une seule photographe. Il y a trop de gens qui expriment avec force ce qu’il ont à dire et dont le propos est la vie.

10. Que pensez-vous des mégalos et des narcissiques ?

Je peux respecter, être intéressée, trouver ça triste ou insupportable. Ca dépends des proportions et de la forme que ça prend. Ca dépend à quel point ils en on conscience et à quel point ils se prennent au sérieux. Comme tous les excès ça parle de fragilité.
L’autoportrait est loin de n’être qu’un acte narcissique.

11. Cinq mots qui ne vous effraient pas et qui parlent bien de vous ?

Recherche, sincérité, simplicité, doute, vie.

12. Quel le secret d’une relation optimale avec un modèle ?

C’est comme toute les relations humaines. Pour accéder à l’intimité, il faut de la confiance, du partage, et du temps, là par contre c’est pas toujours facile, trop impatiente mais là encore ça ne marche pas à tous les coups.

13. Racontez-moi ce week-end avec Vanessa en 2001 autrement qu’avec vos
photos ? Est-ce possible ?

J’ai rencontré Vanessa sur Internet. Elle vit dans le Connecticut. Elle m’a écrit pour m’acheter une photo. Immédiatement je me suis senti très proche d’elle et nous nous sommes écrit tous les jours pendant des mois en traduisant nos mails par un traducteur automatique sur Internet.
Cette série est notre première rencontre à Paris. Je voulais faire des nus d’elle. Nous les avons fait la veille de son départ. Elle m’a prouvé encore que la nudité n’était pas forcement à l’endroit où le corps est nu.
Nous continuons à nous voir à nous écrire quotidiennement. C’est une femme extra ordinaire et complexe aussi. Je l’adore. Nous nous voyons bientôt.
Depuis peu elle a un site où elle écrit une texte par jour http://www.dailyheadwork.com/.

14. Les gens ont dû vous dire que c’était impudique et sordide de
photographier des corps hors-normes, laids ou vieux ?

Il y a toujours des gens que cela dérange. Le corps d’une femme de 50 ans raconte plus de choses que celui d’une femme de 20 ans. C’est cela que j’aime. Et puis toutes les femmes ont quelque chose de beau. Cela m’intéresse plus quand cette beauté est hors-norme, c’est plus riche.

15. Que faites-vous de votre vie quand vous n’êtes pas photographe ?

Je le suis toujours, mais quand je ne fais pas de photos je fais ce que je peux. J’essai de vivre de mon métier, de vivre mon histoire d’amour, de profiter des gens que j’aime, d’être paisible dans ma solitude, d’avancer si possible, c’est loin d’être simple mais la vie me plait.

16. Photographier c’est une manière de contrôler le temps, de l’emprisonner, d’être la reine du monde en un clic ?

C’est une manière de figer le temps, de conserver des traces de ce qui un jour ne sera plus, de se raconter des histoires avec toutes ces traces accumulées, de me raconter ma propre histoire, d’en être spectatrice et actrice. D’essayer de la comprendre et de la rendre plus passionnante à force de tonnes de clics et de rencontres.

17. C’est une belle preuve de générosité d’accueillir des "guest" sur votre site internet ?

On est nombreux à le faire. Georgy Kishtoo fait cela très bien sur son site, Philippe De Jonckheere et L.L. de Mars aussi. En tous cas mes invités sont tous des gens généreux, mais il y en a bien d’autres que je n’ai pas invité.

18. C’est quoi une photo réussie pour Gisèle Didi ?

C’est une photo qui me fait me dire "celle là j’aurai aimé la faire".
C’est une image qui m’émeut, qui est simple, qui va à l’essentiel et qui parle des gens.

19. Si vous n’aviez pas été vous, vous auriez été qui de connue ?

Je n’en ai aucune idée.

20. Par quoi avez-vous envie de terminer cette E-terview ?

Depuis 3 ans Internet a changé beaucoup de choses dans ma vie. La possibilité de montrer mon travail, de permettre aux gens d’y réagir et ça c’est très important.
C’est aussi là que j’ai rencontré des gens qui aujourd’hui comptent beaucoup dans ma vie. J’y ai rencontré l’amour et l’amitié et aussi quelques cinglés mais très peu, heureusement.
Je dois ajouter que je me sens aujourd’hui assez dépendante de cet outil, parfois ça me gêne. Il exacerbe l’obsession parce que ça va très vite, c¹est cela que j¹aime aussi.

Gisèle Didi sur le net