Hommage posthume au corps bouffi du Cinéma

Hommage posthume au corps bouffi du Cinéma

D’abord il faut parler d’un objet livre parfaitement maîtrisé, régulé, millimétré, calibré. Une partition littéraire de haute tenue.

Il y a aussi cette couverture peinte d’Elise Cropsal juste ce qu’il faut d’esthétique, d’intrigue, de force et de trouble qui accompagne joliment et tragiquement le long titre d’accroche qui résonne déjà comme une prose poétique : « Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige ».

Alban Lefranc est ici autant metteur en scène de ses propres obsessions qu’admirateur posthume, digne et respectueux de la figure de Fassbinder, brouillant les pistes, mêlant subtilement le documentaire, la critique, l’imagination et l’autofiction poétique.

Nous sommes dans un laboratoire de la pensée sensible qui fait le point sur une adoration positive. A la fois exercice de style et délivrance pour se réaliser seul ensuite loin du regard de ce maître envahissant.

L’écriture de Lefranc est une assertion magnifique, implacable pour ceux qui ne savent plus aimer avec respect les morts de l’Art. Un cri lancé aux dépouilleurs de cadavres.

Quel plus bel hommage Lefranc, en effet, pouvait-on rendre à la Littérature et au Cinéma à travers ce roman hanté, référentiel qui a tout compris des fêlures, des énigmes et des pudeurs d’un génie prénommé Rainer Werner ?
Lefranc ne se trompe ni de langue, ni de ton, ni de souffle pour ressusciter la figure bouffie du cinéaste compulsif qui fit le cinéma que l’Allemagne n’attendait pas.

Nous sommes dans le ressenti, dans l’intuition, dans ce travail de mémoire et d’admiration qui surgit chez les êtres sensibles envoûtés par une œuvre puissante, mythique qui a une place à part dans l’histoire des Arts.

La mort joue dans la neige raconte en filigrane ce qu’a été la réception et la compréhension des films du disparu, et ce qu’il en reste. Un héritage qui fait des petits qui inspire le livre intimiste et respectueux d’un trentenaire à l’écriture fluide sachant passer d’un état à un autre, d’une temporalité triste à une mélancolique.

« Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige » est un chant pluriel où les voix se mêlent, s’entrechoquent, se superposent pour donner un sens nouveau, pour dire autrement les émotions qui durent, au-delà de la pellicule et de la disparition terrestre.

En phase avec le découpage trop rapide ou trop lent des montages de Fassbinder, Alban Lefranc ne tombe pas dans la facilité de vulgariser ou d’expliquer avec un trop grand didactisme. Il règle ici quelques comptes notamment envers les biographes peu scrupuleux cherchant à tout prix le sensationnalisme dans le cinéma de Fassbinder.

Ecriture d’un nouveau genre, sens de l’a propos, extrême intelligence de la situation retranscrite, « Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige » est une œuvre historique dans la meilleure acception du terme. Une focale, un œil admirable contemple les cendres d’un monstre sacré et lui insuffle une dimension nouvelle. La mécanique fonctionne à merveille.

Sitôt le livre refermé, on a envie de le relire entre les lignes et de se replonger dans le cinéma fassbinderien.

Sans volonté de démontrer ou de convaincre, sans entrer dans le laudatif ou le superlatif, Alban Lefranc réussit le plus difficile dans ce livre : aimer sans récupérer, évoquer sans paraphraser. Il se hisse ainsi presque à égalité avec le maître, instaurant un dialogue implicite entre son livre et ce qui s’est écrit pendant quinze ans en quarante films.

Ce n’est pas la moins remarquable des prouesses. A lire. A posséder.

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Comment trouver ce livre

« Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige », Alban Lefranc, 96 pages, Coedition Le Quartanier et Hogarth Press II.

Lien :
La Revue Franco-Allemande dirigée par Alban Lefranc "La mer gelée"

« Attaques sur le chemin, le soir, dans la neige », Alban Lefranc, 96 pages, Coedition Le Quartanier et Hogarth Press II.

Lien :
La Revue Franco-Allemande dirigée par Alban Lefranc "La mer gelée"