Il était une fois en Amérique

Il était une fois en Amérique

Mes larmes sont plus belles que vos jours, plus mélancoliques que vos nuits. Mon histoire du cinéma, elle, passe par Sergio Leone, par cette oeuvre qui se trace sous le regard d’une maturité toujours en devenir, sur le sillon des illusions perdues.
Son chant du cygne bouleverse la donne cinématographique. Ses larmes étaient plus belles que vos jours, plus mélancoliques que vos nuits...

Enfin, on y est, avec Il était une fois en Amérique, Leone réalise un chef d’oeuvre, son chef d’oeuvre. Ce qui étonnant ici, c’est qu’il reste toujours sur le fil, au bord du précipice, prêt à tomber dans le vide, la grandiloquence, le ridicule, le pathétique. Pourtant, rarement autant ce qui fonde notre humanité aura été disséquée pour finalement être à la fois, rejetée et magnifiée. Toute la vie est là qui s’étale sous nos yeux : l’amitié, la grâce du désir, la séparation, la mort. Le gros Sergio montre avec nostalgie ce que le monde a été et ne sera plus jamais, ce que le cinéma a été et ne sera plus jamais. L’esprit gamin, encore un peu innocent, y régnait encore. Il était une fois en Amérique est l’histoire d’une chute, d’un monde qui se désagrège.

L’âge adulte n’est décidément pas un âge enviable. De l’insouciance de leur jeunesse, brisée par la mort de l’un des leurs, il reste à Noodles et Max un effroyable goût d’amertume, une envie de plaisir, un besoin d’urgence, une histoire d’amour. Rarement Robert de Niro n’aura été aussi sobre, rarement James Woods n’aura autant inspiré l’inquiétude, jamais Elizabeth MacGovern n’aura été aussi tragiquement belle.
Alors, comment évoluent-ils tous, comment trouvent-ils des repères dans une société qu’ils s’adonnent eux-mêmes à corrompre ? Ils font semblant forcément. Ils se souviennent comme se souvient Noodles de son passé, de leurs actes de gloire, du pire et du meilleur, de ce qu’ils ont été et ne seront plus jamais. Tiens, on y revient, l’identité, toujours l’identité, c’est ce qui hante le film, le rend si noir, lui donne l’apparence d’un rubis maudit.

La plus belle scène d’amour, c’est un viol, celui de Deborah par Noodles à sa sortie de prison, un cri furieusement romantique, moment d’émotion ultime dans un film qui n’arrête pas de se regarder pleurer. Tout est relié à la déchirure, aux passions enflammées, aux sentiments qui s’entrechoquent, à ce qu’on fait subir à l’autre jusqu’à sombrer dans la démence. C’est bien de décadence dont il s’agit ici, celle des hommes, de cet univers qu’ils s’étaient minutieusement construits.

Le jeu de trahison entre Noodles et Max qui fera chuter tous leurs comparses, très vite on le devine. Avant, Leone aura tout montré : la douleur, la pudeur, la corruption, le sexe, la violence à l’état pur.
Eux, nous, pour une dernière danse sanglante, petit...
De ces anciennes années glorieuses, de cette sagesse de l’âge terriblement pessimiste, il ne lui reste plus qu’à conclure par le dernier acte de son requiem, la perte de l’autre et l’image absurde des chants funestes qui composent nos tortueuses destinées.

Quand Noël Simsolo demanda à Sergio Leone si Il était une fois en Amérique représente la fin du monde, il répondit ceci : "La fin du monde. La fin d’un genre. La fin du cinéma. Pour moi, c’est bien cela". Leone n’en est jamais revenu, nous non plus.