Interview : Patrick Jean-Baptiste

Interview : Patrick Jean-Baptiste

Patrick Jean-Baptiste, journaliste à "Sciences et Avenir", nous raconte dans "L’affaire des fausses reliques" (Albin Michel) les dessous d’une affaire rocambolesque au cœur de laquelle se joue notre rapport à la Science, l’Histoire et à la Bible.
Une enquête passionnante et fort bien menée qui nous entraîne dans les coulisses d’une des plus belle manipulation médiatique, historique, religieuse et financière de ces dernières années. Un document qui, même s’il n’est pas une Fiction, se lit comme un roman à rebondissements, complexe et riche de sens.
Rencontre avec son excellent auteur. La suite est dans cet ouvrage remarquable.

1. Bonjour Patrick Jean-Baptiste, merci de répondre à nos questions pour le Journal LE MAGUE. Comment est née cette envie pour vous de mieux comprendre et analyser cette fameuse "Affaire des fausses reliques" qui a agité le monde des Arts, de la Science, de la Politique et de la Religion ?

PJB : Au départ, par simple curiosité professionnelle. Je suis
journaliste et je connaissais bien le terrain, ayant vécu en Israël et
ayant rédigé nombre d’articles sur l’archéologie proche-orientale,
l’histoire de la Bible. J’ai donc préparé un premier article sur
l’ossuaire de Jacques, une boîte en pierre du premier siècle qui aurait
contenu les restes du frère de Jésus et dont la "découverte" fit les
gros titres dans le monde entier. Mais dès cette époque, nous sommes fin
2002, certaines remarques faites par les personnes que j’avais alors
interviewées, m’avaient intrigué. De grands spécialistes français
jugeaient la pièce authentique tandis que d’autres moins connus,
affirmaient qu’il s’agissait d’un faux habile. Qui croire ? Rappelons
que l’annonce de l’existence de cette inscription sur ossuaire,
"Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus" donc, passaient pour la
première mention extra-biblique de Jésus, la première preuve de son
historicité, et aussi, la contradiction du dogme catholique romain quant
à la Vierge Marie. Si Jésus avait eu un frère, alors le dogme de la
virginité perpétuelle était faux. Du coup, le protestantisme -qui réfute
la virginité de Marie- avait raison contre le Vatican, cinq siècles
après la Réforme ! Au coeur du christianisme, les enjeux étaient
colossaux.

2. Comment résumer votre livre ? Il s’agit d’une enquête à partir de la découverte d’un ossuaire de "jacques, le frère de Jésus" en 2002 puis de celle de la tablette de Joas en 2003 qui s’avèreront, vraisemblement, être des faux très élaborés qui duperont le monde entier...

PJB : Après l’annonce de la découverte, ou plutôt de l’apparition sur le
marché des antiquités, de l’ossuaire du "frère de Jésus", l’existence
d’un deuxième objet fut révélée d’abord dans la presse israélienne. Il
s’agissait d’une tablette portant une inscription en vieil hébreu
mentionnant des travaux de restauration du Temple de Salomon. La forme
de l’écriture ainsi que le contenu du texte ne pouvaient correspondre
qu’à un seul événement raconté dans l’Ancien Testament : les travaux
menés par le roi Joas de Judée huit siècle avant notre ère. C’est
pourquoi cette tablette commémorative fut baptisée "tablette de Joas",
même si ce nom n’apparaît pas dans le texte. Un objet encore plus
exceptionnel que l’ossuaire et d’une valeur inestimable sur le marché
(on a parlé de 4 à 10 millions de Dollars.) Et surtout, la preuve que
les excavations sauvages réalisées par les autorités musulmanes, le
Waqf, sur l’esplanade des mosquées (’le mont du Temple) en dépit du
droit et des protestations des scientifiques du monde entier, avaient de
terribles conséquences sur le patrimoine archéologique d’Israël. La
tablette était censée provenir des déblais des travaux réalisé par le
Waqf. En plus d’être chère, elle aurait donc pu aussi faire l’effet
d’une bombe politique... Si, quelques semaines plus tard et de la même
façon que pour l’ossuaire, certains spécialistes n’avaient pas crié à la
fraude. On apprenait dans la foulée que l’un et l’autre objet
appartenait à un même collectionneur de Tel Aviv, actuellement en
procès, et que des dizaines d’autres antiquités plus ou moins célèbres
apparues sur le marché depuis une vingtaine d’années étaient également
soupçonnées d’être des contrefaçons. L’enquête pouvait commencer...

3. Votre travail est très méticuleux, sérieux, documenté, rien n’est laissé au hasard et on imagine qu’il s’agit de la synthèse d’un dossier énorme. Pourtant le livre se lit comme un roman, les mauvaise langues vont vous dire que vous surfez sur le "DA VINCI CODE" et que vous en faites une version hébraïque...

PJB : Mon enquête a débuté avant la sortie de ce roman et s’est
échelonnée sur deux ans environ. Ce n’est pas une fiction. Les
personnages sont tous réels, dans la police ou dans le milieu des
trafiquants d’art et des faussaires. A l’exception de certains
intervenants dont je ne donne que l’initiale, pour ne pas les mettre en
difficulté, tous apparaissent sous leur véritable identité. Que les
mauvaises langues qui ont lu le bouquin de Dan Brown le vérifient ! Mais
je vous remercie du compliment tout de même. J’ai tâché de faire un
livre agréable à lire, sur un sujet peu connu. Puisque vous me demandez
de comparer mon livre à une fiction, je pense qu’il s’apparente plutôt,
dans son atmosphère et ses enjeux, au film "Le Tombeau", de Jonas
McCord, avec Antonio Banderas. Un film étonnant, très bien fait et
curieusement proche de la réalité archéologique d’Israël.

4. Est-ce que votre sentiment est qu’au départ il s’agissait simplement d’une vaste spéculation financière ou que la volonté était également de modifier la réalité historique religieuse ?

PJB : Dans les affaires de faux, ce qui prime, c’est l’argent,
toujours. Modifier la réalité historique est plus douteux. C’est plutôt
les polices qui en rajoutent en nous faisant croire que les faussaires
sont nécessairement des révisionnistes. La réalité est un peu plus
subtile. La science historique, surtout lorsqu’elle s’intéresse à un
passé lointain est extrêmement spéculative et je ne pense pas, à titre
personnel, que l’histoire ou encore la connaissance de l’hébreu ou de
l’araméen aient vraiment eu à pâtir de ces faux. La fraude, de toute
façon, jalonne l’histoire de l’archéologie depuis deux siècles. C’est le
pillage qui détruit l’histoire, le pillage est un prédateur d’histoire.

5. Quel est l’aspect de cette aventure qui vous a le plus passionné, le Scientifique, le Religieux ou le Politique ? Ou alors pensez-vous que les trois sont intimement liés ?

PJB : Aucun des trois. Ce qui m’a passionné, ce sont les hommes et les
femmes, les protagonistes de cette affaire. L’universitaire français,
falot et cachotier, le milliardaire fou prêt à tout pour retrouver
l’Arche de Noé, l’antiquaire qui travaille aussi bien pour les autorités
que pour la mafia d’Europe de l’Est, le flic dépassé qui se pique de
Lettres, l’archéologue qui se prend pour un flic, l’antiquaire du XIXe
siècle accusé de fraude et qui se suicide, la vieille dame paranoïaque
etc. L’affaire des fausses reliques est une comédie.

6. Avez-vous subi des pressions prendant votre enquête, avez-vous eu accès à tous les documents que vous souhaitiez ?

PJB : Oui. Mais je ne vous dirai pas lesquelles. Et non, je n’ai pas
réussi à tout récupérer. Je ne suis pas Superman.

7. Quelle est la chose qui vous a le plus surpris lorsque vous vous êtes plongé dans ce livre avec des pièces inédites en votre possession ?

PJB : Lorsque je me suis rendu compte que j’avais fait fausse route
pendant des mois. Que la vérité n’étaient pas ce que la presse
internationale et moi-même avions cru depuis le début. Le dénouement.

8. Que faut-il retenir de cette affaire des fausses reliques ? Quel serait le message subliminal de cette drôle d’aventure pseudo-historique ?

PJB : Que le passé est un sujet trop sérieux pour le laisser aux seules
mains des universitaires, même de très haut niveau, puisque ces derniers
n’offrent, en réalité, que de bien faibles garanties d’honnêteté
intellectuelle, voire pire. Que le passé est un sujet trop sérieux pour
le laisser aux mains des marchands, des antiquaires, évidemment. Que le
passé est un sujet trop sérieux pour le laisser aux mains des
journalistes. Que le passé n’est pas un sujet ; il est un acteur de
notre présent. Il le fait mentir.

9. De quoi parlera votre prochain livre ? Encore une enquête ou un roman cette fois ?

PJB : Mon prochain livre se fera en collaboration avec un écrivain et ne
sera ni un document, ni un roman. Mais j’ai, il est vrai, quelques
sujets romanesques dans mes tiroirs. Des histoires qui font peur et qui
m’empêcheraient de dormir si je les ouvrais trop souvent, mes tiroirs !

10. Par quoi désirez-vous terminer cet entretien cher Patrick Jean-Baptiste.

PJB : Par un conseil : Méfiez-vous des imitations. Elles sont parfois
plus authentiques que les originaux.

"L’Affaire des fausses reliques", Patrick Jean-Baptiste, Albin Michel, 2005, 268 pages, 17 euros 50

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