L’Italie, l’Ethiopie et l’obélisque d’Axoum

L'Italie, l'Ethiopie et l'obélisque d'Axoum

Depuis la seconde guerre mondiale et l’occupation de l’Ethiopie par Mussolini, les relations entre ces deux pays ont toujours été tendues, difficiles. L’Italie n’a jamais pu supporter qu’un pays africain, le pays du Négus lui inflige une résistance si forte, proche de l’humiliation, pendant le second conflit mondial, et l’Ethiopie n’a pas aimé l’idée d’être occupée par un pays européen pendant de longues années. Mais jusque là, il existe peu de raisons de s’émouvoir.

Alors, il faut signaler l’existence de cette stèle funéraire de vingt-quatre mètres de haut, surnommée l’obélisque d’Axoum, qui se dresse depuis une cinquantaine d’années sur l’une des places de la ville de Rome. Mussolini l’avait fait prendre en 1937 dans la cité antique d’Axoum, en Ethiopie, et l’avait installé en face de son ministère pour l’Afrique. Aujourd’hui, l’obélisque est à la place que lui avait choisie le dictateur italien. Malgré la fin des hostilités depuis cinquante ans et les demandes pressantes des Ethiopiens, elle n’a pas regagné son pays d’origine.

Pourtant, tout paraissait simple et dès 1947, soit deux ans après la fin de la guerre en Europe, l’Italie s’était engagée à rendre à l’Ethiopie l’obélisque, le seul qui tenait encore debout sur le site antique d’Axoum. Les autres obélisques du site gisent tous par terre.

Mais l’Italie n’a pas tenu ses promesses et l’obélisque n’est pas prêt de rejoindre sa terre natale. Le ministre italien de la culture Vittorio Sgarbi, une sorte de caricature bien connue pour ses positions tranchées sur l’art contemporain qu’il refuse de financer, multiplie les provocations à l’encontre du gouvernement éthiopien, affirme dans un discours très imagé que l’obélisque est maintenant « un citoyen italien naturalisé ». Il est donc hors de question de le rendre. Il arrive même à Vittorio Sgarbi de pousser des phrases plus humiliantes encore, comme celle qui veut que « les Ethiopiens devraient mesurer leur chance d’avoir une vitrine dans la ville éternelle du riche monde occidental. »
L’Ethiopie n’a pas de chance : avec le gouvernement actuel dirigé par l’affairiste Silvio Berlusconi, l’obélisque d’Axoum n’a presque pas de chances de revenir en Afrique de l’est.

Meles Zenawi, le président éthiopien, a passé son enfance à Axoum. Il se rappelle de l’obélisque, avant que Benito Mussolini ne le prenne pour sa splendeur romaine, et multiplie les démarches pour forcer un geste de l’Italie. Seulement, l’Ethiopie n’est rien pour l’Italie, au point que Silvio Berlusconi se permet refuse d’entendre le président éthiopien, lorsque ce dernier est à Rome et lui demande audience. Pour lui, ce n’est qu’un peu de bruit pour rien, et il ne veut pas l’entendre.

Les Ethiopiens se mobilisent alors : ils signent des pétitions qu’ils font passer aux consulats d’Italie, comme cela vient de se passer à Djibouti. Mais là aussi, cette démarche ne risque pas d’aboutir. Le rapport de force est trop inégal.
Pourtant, l’obélisque ne représente rien en Italie. Son sort indiffère les populations, si ce n’est pour des questions de prestige. Il ne fait pas partie de l’histoire de ce pays, et certainement pas de leur culture. Pour les Ethiopiens, au contraire, l’obélisque représente le temps de leur splendeur, celui de l’empire chrétien d’Ethiopie, de rois puissants qui se permettaient d’aller combattre de l’autre côté de la mer Rouge, au Yémen.
Cette histoire risque de mal se terminer, et l’Ethiopie d’être humiliée encore souvent par les propos des gouvernements italiens. Le président Meles Zenawi en appelle à la communauté internationale pour faire pression sur l’Italie, mais je doute que les autres pays d’Europe souhaitent soutenir l’Ethiopie.
Il y aurait trop à perdre et la France, l’Allemagne ou l’Angleterre doivent craindre de se retrouver un jour dans la tourmente, que des pays du Proche-Orient ou d’Afrique réclament à leur tour des œuvres d’art volées pendant la colonisation. La Turquie est à l’affût : elle s’apprête à réclamer le trésor de Priam volé à Troie par des archéologues allemands au dix-neuvième siècle, la Grèce voudrait que les frises du Parthénon, aujourd’hui à Londres, puissent retrouver Athènes, et ainsi de suite. Peut-être faut-il comprendre ainsi les propos bienveillants, jamais polémistes, des journalistes occidentaux lorsqu’ils doivent parler de l’obélisque d’Axoum.

Il est possible que le retour de l’obélisque d’Axoum en Ethiopie, s’il avait lieu un jour, crée un précédent fâcheux pour les Etats européens qui ont pendant longtemps spoliés les richesses des pays conquis. Peut-être est-ce de cela que la France ou la Grande-Bretagne ont peur, et peut-être est-ce pour cette raison qu’ils n’ont pas envie de soutenir l’Ethiopie.