Interview : Eric Bénier-Burckel

Interview : Eric Bénier-Burckel

Eric Bénier-Burckel, un nom à retenir et une écriture à suivre de très très près. Presbytes s’abstenir. La lecture de ce garçon peut entraîner la fièvre et la jubilation vers le sexe et un ciel littéraire des plus pertinent.

Rencontre avec l’auteur de "Maniac" (Flammarion) disponible dans toutes les bonnes pharmacies car même s’il ne soigne les maux modernes, il les étudie avec talent et cela se consomme sans prescription !!

1. Mais quel plaisir cher Eric de vous trouver dans mon courrier électronique après vous avoir lu avec fièvre !! Il faut dire qu’entre obsédés sexuels compulsifs et notoires on va pouvoir parler sans langue de bois ou.. molle ? Etes-vous prêt à vous lâcher textuellement et démontrer aux observateurs que la littérature la plus vivante a un œil et un sexe ?

Obsédé sexuel compulsif ? Oui, certes, mais ce n’est pas très original... Connaissez-vous quelqu’un qui n’aime pas le sexe ? Ce qui dérange, ce sont les fantasmes qui accompagnent le désir. Et puis le plus embarrassant est moins le sexe en tant que tel que l’impossibilité de réprimer ou de sublimer les élans qui vous poussent à avoir des rapports avec la première venue... On appelle ça boulimie sexuelle ! J’en « souffre » (et j’en jouis) depuis des années, si bien que je suis loin d’être l’homme le plus fidèle de la planète !

2. Est-ce que vous êtes comme moi, à trouver un truc attirant à n’importe quelle fille pourvu qu’elle ait une grosse poitrine ou de belles jambes ? Avez-vous réussi à déterminer pourquoi vous avez cette inclination malheureuse ? En fait on est prisonnier de cet état de fait, on aimerait tout aussi bien être insensibles à ce genre de choses non ?

Il paraît que les seins se sont substitués aux fesses chez les bipèdes doués du logos : une fois que les humanoïdes se sont redressés, les fesses sont devenues moins visibles, du coup la poitrine a pris la relève et elle adresse un signal sexuel fort au mâle. Plus c’est gros, et plus vous êtes stimulés. Voyez ces poitrines - naturelles - qui gigotent et que vous malaxez à l’envi. C’est chaud, c’est tendre, c’est mou. Moi, ça me fait réagir au quart de tour ! Rien de meilleur pour jouir. Je n’ai pas de problème avec ça : je ne culpabilise pas, si c’est ce que vous voulez dire. Disons qu’une petite poitrine aurait tendance à me rendre anéjaculateur, même si son support humain possède des qualités morales ou intellectuelles indéniables ! Les gros seins - non refaits - existent, autant en profiter, non ?

3. Je trouve que vos livres parlent mieux de la schizophrénie et des psychoses que les émissions de Delarue, devriez-vous êtes remboursé par la Sécu ? Y’a t’il un message à caractère social chez EBB ?

Les émissions de Delarue ? On est dans le débalage intime à deux balles, sans que les forces encamisolées dans le moi soient réellement explorées. On reste toujours à la surface. Ce que j’essaie de faire, c’est de plonger sous la surface. Il s’agit moins de laisser parler le Je que de l’exploser et de mettre à jour le chaos qu’il abrite. En ce sens, je ne cherche pas à conforter l’image du moi, mais à la pulvériser. Le recours répétitif jusqu’à l’absurde du Je dans MANIAC a précisément pour but d’en souligner le caractère superficiel et impersonnel. Ecrire est un acte social qui rappelle comment « ça » fonctionne le désir aux prises avec les pouvoirs. Quant à la sécu, elle ne me doit rien : je ne soigne personne ! Peut-être même que mes textes aggravent les symptômes ! Je n’ai pas l’âme d’un médecin...

4. C’est pas un peu énervant et décourageant d’écrire des livres sur le désir, le stupre et la fornication après "Septentrion de Calaferte" ?

Septentrion est un très beau livre. Il y a aussi Henri Miller... Et puis Sade, dans un registre plus trash, mais éminemment politique. Le désir est toujours là et il adore qu’on parle de lui ! Cela dit, le sexe ne m’intéresse que parce qu’il s’inscrit dans des rapports de pouvoirs, économiques et sociaux, qui en dictent l’émergence et la conduite. La jouissance reste le problème crucial. L’imaginaire qui en est la condition de possibilité aussi. L’essentiel est d’ailleurs moins de parler de cul que d’en user et abuser dans la vraie vie, non !?

5. C’est quoi un écrivain qui a des couilles à part Franca Maï ou Virginie Despentes ?

Un écrivain qui a des couilles, bref viril, c’est quelqu’un qui n’écrit pas simplement pour plaire ou pour séduire, ce qui est très féminin, ça, paradoxalement (d’où chapeau à VD et à FM). Aujourd’hui, il y a une flopée d’écrivains complètement efféminées : beaucoup d’entre eux racontent des niaiseries sentimentales dans le seul but de plaire aux femmes, faute peut-être de ne pas assez plaire ou de ne pas assez baiser dans la vraie vie, faute aussi sans doute d’avoir un projet politique sérieux ou du moins d’avoir une conscience claire de leur condition d’animal politique. Un problème d’Oedipe ! J’ai rencontré des écrivains qui avouaient écrire pour tirer plus de nanas. Moi, je tirais bien assez avant d’être publié ! Pas besoin du pseudo prestige de l’écriture pour baiser ! Du coup, écrire avec des couilles, remettre de la virilité dans la littérature, devient un acte politique : on quitte le plan féminin de la séduction (du père) pour se hisser au niveau du politique. Il s’agit moins de séduire que de faire réagir le citoyen en lui rappelant qu’il est un organisme social pris dans des rapports de force et de production et qu’il est bien obligé de les regarder en face s’il tient vraiment à voir triompher la démocratie.

6. On va se tutoyer ça va être plus simple. Est-ce que ça te gonfle que les gens confondent tes personnages avec leur auteur, même si tu l’as un peu cherché ?

Non, c’est le je(u) ! Parler à la première personne, c’est évidemment courir le risque (mineur) d’être confondu avec le narrateur de ses romans. Mais je ne vois pas en quoi il serait gênant d’être pris pour un psychopathe ou un pervers, vu que je le suis aussi probablement un peu dans la vie. J’assume sans problème un tel travers, si tant est qu’il ne m’empêche pas de vivre et de penser, parfois au détriment des autres !

7. Qu’est-ce que tu raconterais dans tes livres si tu ne t’autocensurais pas ?

Je parlerais sans doute un peu plus d’amour... Dans le fond, j’ai un côté un peu efféminé moi aussi : c’est ce qui arrive quand on a été élevé seulement par sa mère, avec un père absent, complètement cinglé et plusieurs fois interné en psychiatrie. Mais j’ai la chance d’avoir eu une mère détestable, bonniche complètement flippée : une image assez désidéalisée de la femme permet de ne pas être trop niais avec les filles en général. Du coup, l’amour fusionnel ne me paraît pas être une planche de salut pour les hommes. Mais la conscience sociale ou politique, c’est ça le véritable enjeu...

8. Ton style est à la fois brutal et étonnamment poétique, j’ai rarement lu quelqu’un d’aussi en phase avec son époque. Il faut avoir beaucoup lu ou vécu pour en arriver là ?

En phase avec son époque ? Qu’est-ce que ça veut dire ? En phase avec l’ordre établi ? Avec la représentation globale et indifférenciée dominante (bourgeoise) du monde ? J’ai lu, oui. J’ai vécu un peu aussi. C’est encore plus important ! Je parle généralement de ce que m’a appris mon expérience. D’origine modeste, j’ai connu la folie et la violence très tôt. Ça fait grandir plus vite. On prend rapidement conscience de sa condition. On se fait moins d’illusions sur les hommes. Les idéaux tombent très vite à plat. Il reste la volonté de comprendre. Voilà sans doute pourquoi j’ai fait des études de philo. Quant à la brutalité animale du style, elle tient sans doute au fait que je n’écris qu’avec mon propre chaos !

9. Quelle est la meilleure actrice du porno pour toi ? Quelles qualités faut-il avoir pour émouvoir le spectateur de films de boules que tu es ?

J’en regarde un peu moins : le porno, c’est bon quand tu es seul. Mais je préfère baiser avec des femmes en chair et en os. Et puis, autant se branler en pensant à des femmes qu’on connaît, c’est encore plus excitant !
Cela dit, comme beaucoup, j’apprécie les films violents et crades : les actrices allemandes à vrais gros nibards à qui on fourre plein de trucs dégueu dans tous les orifices, ça me plaît bien... Mon côté sadique, très bourgeois, plein de ressentiment, d’exploiter et d’humilier les faibles... C’est très mal !

10. Le pire des mauvais sorts qu’on puise te jeter c’est te faire devenir un héros de Yann Moix ou un impuissant du jour au lendemain ? (attention cette question n’est pas un pléonasme !)

Marrant ! Avec l’âge, le désir devient un problème pour tout le monde. Est-ce qu’on pourra toujours assurer ? Voilà pourquoi il n’est pas mauvais de faire du sport. Il faudrait aussi que j’arrête de fumer. Je ne veux pas bander mou ! Le mauvais sort par excellence, ça serait qu’on me transforme plutôt en Alexandre jardin ou en BHL, soit en petite fiotte exclusivement désireuse de plaire !

11. Alors comme cela on est un athée, farouche adversaire des intégristes de tous poils et des sectaires ?

Oui, athée... Mais pas débile. Pas besoin de croire en Dieu pour reconnaître qu’il y a quelque chose qui nous dépasse infiniment : il suffit de regarder en soi ou de lever le nez vers les étoiles pour s’en rendre compte ! Mais l’intégrisme, et pourquoi pas le terrorisme, ne sont pas des aberrations en soi : symptômes d’ordre social et politique, ils sont une forme de résistance à ce qui se passe aujourd’hui sur le plan international... J’éprouve parfois une certaine tendresse pour les terroristes... Mais je suis allergique aux communautarismes. Je vomis ceux qui se prennent pour des élus et qui asservissent et humilient des peuples au nom de cette prétendue élection... Je ne cache pas que je suis pro-palestinien ! Le sionisme d’un Finkelkraut me fait gerber !

12. La provocation et le second degré à part de t’avoir permis d’éloigner les cons de ton entourage te sert à quoi ?

L’ironie ou la distance est salvatrice. Elle sert à mettre le doigt là où ça fait mal. Je ne pense pas donner dans la provoc gratuite. J’aime bien les cons... Qui fait exprès d’être con ? Les plus dangeureux sont ceux qui veulent vous enculer ! Mais il y en a que ça ne gêne pas de se faire enculer... Moi, je reste sur mes gardes...

13. Que penses-tu des mégalo et des narcissiques ?

La mégalomanie est un des éléments constituants de la paranoïa. Seul un mégalo peut penser qu’on cherche à lui faire du mal ou bien se croire investi d’une mission... Il y a pas mal d’intellectuels ou d’écrivains comme ça ! Il faut donc une surdose de narcissisme pour être sujet à la folie des grandeurs. C’est à rapprocher de la pensée de l’élection ou de pureté. Est élu ou pur celui qui croit être en phase avec Dieu, la vérité ou le plus haut. Des gens dangereux... Très nombreux !

14. Tu dois être la bête noire de pas mal de gens, quel est ton pire ennemi à part toi-même ?

Mon pire ennemi, c’est la bêtise. Et je suis souvent très bête moi-même ! Mais je ne suis pas mon pire ennemi. En fait, il n’y a pas d’ennemi réellement localisable. L’ennemi est diffus, il dépend de la façon dont se nouent les rapports de forces. Voilà pourquoi il faut toujours être sur ses gardes ! Le bien et le mal sont des concepts désuets !

15. Est-ce que tu as eu des lettres d’insultes de profs depuis la parution de ton dernier livre ? Comment on a l’idée d’écrire la vie d’un enseignant de philo ? C’est parce que c’est un métier terrible aujourd’hui ? c’est une dénonciation ?

Des parents d’élèves sont venus me voir après la publication d’ »Un prof bien sous tous rapports ». Le proviseur de mon lycée m’a prié de ne pas parler de mes livres en cours. Mes collègues ne me parlent plus. Mais ça ne m’empêche pas de dormir et éventuellement de me branler en pensant à des élèves ou à des collègues (quand je ne tronche pas les uns ou les autres !) Comme je suis prof de philo, il m’a été assez facile de décrire la vie au lycée. Le métier de prof quant à lui n’est pas si dur que ça. C’est moins le lycée en tant que tel que la façon dont on enseigne la philo aujourd’hui qui me dégoûte ! Personne n’y croit plus vraiment, aux idées. Et l’éducation nationale nous demande de faire semblant d’y croire, ne serait-ce que pour que les élèves aient du contenu à recracher au bac ! Depuis que Luc Ferry est ministre, j’ai presque honte d’être philosophe de formation ! Mais je continue de croire aux idées, et c’est ça aujourd’hui être viril...

16. Gilles Deleuze disait "Créer ce n’est pas communiquer mais résister". Tu es quel genre de résistant toi ?

J’adore Deleuze ! A quoi résiste-t-on le moins bien si ce n’est à la tentation ! Je ne résiste à aucun de mes fantasmes, sauf les plus meurtriers d’entre eux, qui pourraient me valoir ma liberté de mouvement ! Résister aux forces d’oppression qui investissent l’intime ! Résister aux enculeurs, voilà ce que je m’efforce de faire ! Ça exige beaucoup de vigilance et de lucidité.

17. J’ai trouvé un fan de toi sur le net qui te fait une belle déclaration "Bénier-Burckel commet le pire acte de sabotage existentiel : il dit la vérité. "Maniac" ou le manuel de la lucidité, un cri sublime dans le vide, un hurlement rageur et insoumis". Fais gaffe tu vas finir avec une association de fans comme Houellebecq qui collectionnera tes crottes de nez ?

Comme c’est gentil ! C’est peut-être un peu exagéré... Mais si c’est ce qu’il a ressenti, alors tant mieux.

18. Quelle trace tu voudrais laisser dans l’imaginaire collectif (et ne me répond pas une trace de sperme ! !)

Je ne sais pas si j’écris pour laisser une trace. Je n’ai pas la volonté farouche de me conserver grâce à l’écriture ! En fait, l’obsession de la conservation, qui est aussi à mettre sur le compte du refus réactif de changer, me dégoûte un peu... Pour l’instant, je n’écris pas pour qu’on se souvienne de moi ou pour qu’on m’aime. C’est pas si narcissique que ça, chez moi, l’écriture... C’est plutôt de l’ordre du cri, oui... Un cri de rage... Et tant pis si ça se perd dans le vide. J’adore le vide. Je crois avec Deleuze qu’on écrit pour devenir imperceptible...

19. En quoi la vie d’ Eric Benier-Bürckel a t’elle un sens ?

J’avoue que je me le demande tous les jours. Ni pour écrire. Ni pour me reproduire. Ni pour consommer... Je me sens bien quand je jouis et quand j’écris, autrement dit quand je suis proche de la désintégration !

20. Par quoi as-tu envie de terminer cette E-terview ?

Par un coup de gueule : qu’on cesse de me dire que le black metal c’est beauf, gamin ou ringard ! A 14 ans, j’avais les cheveux longs et je jouais de la guitare dans un groupe de trash metal. Et je n’ai jamais aussi bien tripé que sur des guitares saturées à mort. Ecoutez Opeth, un groupe suédois, et dites m’en des nouvelles. Merci.

Lire l’interview de EBB à propos de POGROM

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