Interview : Michelle Lahana, Biographe de Youssou Ndour

Interview : Michelle Lahana, Biographe de Youssou Ndour

L’Afrique, pour les petits occidentaux en mal d’exotisme que nous sommes, ressemble à une grande fête continuelle et transgénérationel, c’est du moins ce que retranscrit bien souvent la musique de ce continent, alors nous avons tôt fait d’en accepter les images de Bamako ou de Dakar (car Epinal est hors contexte).

Malheureusement tout ne doit pas se réduire à ça. C’est fort agréable d’apprendre dans les pages de Michelle Lahana ce qu’est la danse des ventilateurs cher à Youssou Ndour mais c’est aussi bien éclairé de montrer l’envers de la médaille, en quelque sorte apprendre qui est l’homme qui se cache derrière l’artiste mondialement connu, qui est cet homme simple qui laisse planer un vent frais, avec dans le fond, toujours un espoir d’unir les peuples à travers des notes de musiques et des chansons de griot sage et respecté.

Qui êtes-vous Michelle Lahana ?

Michelle Lahana : « Je suis la manager de Youssou Ndour »

Pourquoi et de qui vient ce surnom de « La Gazelle » ?

Michelle Lahana : « Gilles Obringer, l’animateur de canal tropical sur rfi, m’a surnommée ainsi lorsque je réalisais cette émission. »

Vous avez débuté votre carrière en réalisant l’émission « Canal Tropical » sur RFI, de quand date votre amour de l’Afrique et de sa musique ?

Michelle Lahana : « J’ai découvert cette culture musicale en 1982, en travaillant sur cette émission et en commençant à voyager en Afrique pour les besoins de l’émission »

En 1988 vous faites le grand plongeon et prenez en main la carrière de ce chanteur, comment s’est passé votre changement de costume ?

Michelle Lahana : « en fait, parallèlement à mon émission, j’ai commencé à porter la casquette de manager avec alpha blondy en 87, j’ai arrêté en 89 pour différentes raisons et continué avec youssou jusqu’à présent. »

Pourtant votre première rencontre n’a pas été des plus enthousiasmante ?

Michelle Lahana : « En effet, notre première rencontre a plutôt été froide. Je le prenais pour un flambeur, lunettes noires à 9 h du soir, pas bonjour, pas au revoir, je ne l’aurais jamais cru si on m’avait dit qu’un jour, on travaillerait ensemble ! »

Ce n’est pas discutable d’être a la fois manager de Youssou Ndour et son biographe ?

Michelle Lahana : « Je ne pense pas. Je ne suis pas écrivain, mais je me suis dit que si quelqu’un d’autre le faisait, il allait m’appeler 4 fois par jour pour avoir des infos, des dates, des anecdotes, alors, autant le faire moi-même ! »

A t’il été un bon sujet pour une biographie, s’est il ouvert à vous encore plus depuis ce livre ?

Michelle Lahana : « Oui, dans sa façon de me raconter son enfance, je le connais depuis qu’on a 20 ans, donc, cette partie la de sa vie, il n’en avait jamais parlé profondément auparavant. »

Pouvez-vous me dire si Youssou Ndour est un grand Griot ?

Michelle Lahana : « Je pense que c’est un griot moderne, qui avance avec son temps. Youssou aime la tradition mais aime aussi la bousculer quand il le faut. »

Il a un coté napoléonien avec l’emprise sur toutes les branches auquel il participe et la mise en place de gens de confiance, fonctionne t’il beaucoup à l’affectif ?

Michelle Lahana : « Oui, il fonctionne beaucoup au feeling, cela lui a joué des tours bien sûr, donc, disons que maintenant il est plus prudent avant de promettre de grandes responsabilités aux gens, il les teste d’abord... »

Par contre ce qui se dégage c’est qu’il apprend des gens en vrai autodidacte et n’est pas forcement fan des sciences enseignés scolairement ?

Michelle Lahana : « Oui, c’est un réel autodidacte, et la culture africaine est très orale. Youssou a quitté l’école très jeune, mais pousse ses enfants à faire des études, donc, il a certainement des regrets, il connaît ses lacunes, surtout en écriture, mais vit avec sans regarder derrière lui. »

Pouvez-vous m’expliquer ce qui s’est passée après qu’il est composé en 90 la chanson « Set » car je trouve l’anecdote très belle ?

Michelle Lahana : « En fait, Set parle de la propreté en général, aussi bien que de la pureté de l’âme, dans ce morceau, il demande aux gens de faire leur devoir de citoyen et d’humain envers eux-mêmes et envers les autres. Le message a pris des proportions inimaginables, et les jeunes des quartiers, premiers fans de youssou, se sont mis à nettoyer, repeindre, et rendre agréables leurs propres quartiers. »

Le livre est parsemé de magnifiques dessins, qui en est l’auteur et pourquoi cette envie d’installer des images ?

Michelle Lahana : « L’auteur est Caroline Champagne jeune illustratrice de 26 ans, qui fait du baby-sitting pour arrondir ses fins de mois, elle a vraiment beaucoup de talent et d’imagination »

La rencontre avec Higelin pour la France et P. Gabriel pour le reste du monde a beaucoup compté dans sa carrière ?

Michelle Lahana : « La rencontre avec Higelin a été une très belle rencontre humaine ; Avec Peter Gabriel, youssou a gagné en professionnalisme et en richesse culturelle. Peter Gabriel l’a « présenté » à l’Europe. »

Il n’a pas eu que des succès, le moment ou il décide de faire des remix est catastrophique, a t’il conscience de ses erreurs ou est il jusque-boutiste et s’entête t’il même dans ses erreurs ?

Michelle Lahana : « Oui, ses remix ont été très mal perçus au Sénégal, mais en effet, youssou est quelqu’un de très têtu qui va au bout de ses idées quoiqu’il lui en coûte. »

Le duo avec Neneh Cherry semble avoir marqué aussi un tournant dans sa carrière ?

Michelle Lahana : « Cela a été la reconnaissance suprême de l’Occident. Ramener un disque d’or au Senegal était un événement attendu par tout le pays, une fierté inimaginable pour tout le peuple. »

Dans votre livre on voit que c’est un très gros travailleur, dans quel registre vous a t’il le plus impressionné ?

Michelle Lahana : « Depuis que je le connais, il a pris 2 fois 5 jours de vacances, une fois en Gmbie, une fois à Paris. Youssou n’arrête jamais, il enchaîne les concerts, les voyages, les rendez-vous avec le même rythme. Tant que son corps le suivra, il n’arrêtera pas. »

Le marché du disque en Afrique ne fonctionne pas comme dans les pays occidentaux, notamment au niveau des protections artistiques, quelles sont les différences profondes ?

Michelle Lahana : « Le piratage existe depuis toujours en Afrique, aussi bien dans le disque, que dans la billeterie de spectacles, c’est un combat permanent, fatiguant et désolant. Lorsqu’un nouveau cd de youssou sort en Afrique, il en vend 80 000 officiels, et 300 000 piratés ! c’est terrible, il essaie toujours de lutter contre ce fléau pour ne pas rendre la chose facile aux escrocs, mais il sait que cela existera toujours... »

Comment expliquez vous qu’il n’est jamais perdu la trace de ses racines et qu’il reste très attaché à l’Afrique, s’il s’était installé en Europe ou aux USA aurait il perdu sa raison d’être ?

Michelle Lahana : « Lui pense que non, moi, je pense que oui, sa raison d’être, peut être pas, mais sa ligne de conduite et sa grande fidélité à son pays, je pense que oui, car ici, tout est plus pervers, surtout dans le monde de la musique, et pour youssou, son pays et sa famille sont ses principaux repères. Fonder une famille ici en Europe et y vivre aurait je pense changé tout son parcours. »

Il y a une figure tutélaire proche de Youssou, c’est celle de Nelson Mandela ?

Michelle Lahana : « Oui, Mandela est LA personne que youssou admire le plus dans le monde. »

C’est un artiste engagé sans être enragé, est-ce qu’on pourrait dire de lui qu’il est un lion mordant pacifiste ?

Michelle Lahana : « C’est un pacifiste, qui n’a pas peur des conflits mais qui n’aime pas çà ; il préfère passer beaucoup de temps à convaincre les gens et les amener à se ranger à son côté. Comme je l’ai dit précédemment, la culture africaine est orale, et la parole compte plus pour lui qu’un contrat. »

Il semble écartelé d’une certaine manière entre la modernité politique du Sénégal et la pauvreté des habitants, comment se situe t’il par rapport à la politique en Afrique ?

Michelle Lahana : « Je pense qu’il se dit que le Sénégal a de la chance par rapport aux pays comme la cote d’ivoire, le Congo ou le Rwanda. Il suit la politique de son pays de très près et n’hésite pas à intervenir, ou à faire passer des messages lorsque les décisions ne lui plaisent pas, il connaît le pouvoir de son nom et s’en sert lorsque besoin est. »

Par contre il ne souhaite pas « entrer » en politique alors que son charisme et sa popularité feraient de lui un vainqueur présidentiable ?

Michelle Lahana : « Çà, il ne le fera jamais ! »

Son rapport à l’Islam aussi est très sensé, il prône un islam modéré ?

Michelle Lahana : « Oui, je pense que lorsqu’il a décidé de parler si ouvertement de l’islam, c’est qu’il était fatigué et énervé de l’amalgame islam=arabe=terrorisme. Il y a des millions de musulmans africains noirs, indiens, dont on ne parle jamais, et des millions de musulmans arabes anti-intégristes. Youssou avait besoin de partager sa vision et sa culture de l’islam modéré pratiqué en Afrique noire, et surtout au Sénégal. »

Pouvez-vous me parler de la fondation Youssou Ndour ?

Michelle Lahana : « Cette fondation a pour but de développer des projets pour les jeunes en difficulté, au Sénégal ce sont surtout les jeunes filles, qui sortent des écoles et souvent, qui s’arrêtent là car les corvées domestiques sont plus importantes aux yeux de leurs parents, et surtout, ils n’ont souvent pas les moyens de les laisser entreprendre des études. La fondation aides ces jeunes filles à étudier.

Les droits des enfants, que youssou défend dans le monde entier, l’aide aux enfants des rues, l’aide aux enfants qui ont besoin de soins chirurgicaux etc...youssou se sert de toutes ses rencontres à travers le monde pour intervenir en faveur des enfants de son pays. »

Vous êtes aussi manager ou étiez manager d’autres groupes notamment de rap qu’est ce qui différencie Youssou Ndour de ces autres artistes et pourquoi avec lui restez-vous fidèle l’un à l’autre ?

Michelle Lahana : « Premièrement, lorsqu’on manage un rapper, malheureusement, on se retrouve vite à gérer en permanence 5 personnes et pas une ! Car un rapper qui se balade tout seul, c’est plutôt rare. Ensuite, youssou et moi avons le même âge ou presque, donc il ne m’a jamais considéré comme sa mère, ou sa baby sitter, il a construit sa propre famille, et donc, notre association est vraiment exclusivement professionnelle et amicale, sans aucun débordements ! »

Une de ses grandes passions outre la musique c’est le football, avec la consécration de 98 ?

Michelle Lahana : « Çà c’est sur ! S’il n’avait pas été chanteur, il aime dire qu’il aurait été footballeur professionnel. Vous savez, un match de coupe ou de finale au Sénégal, c’est presque un jour férié ! Le football est ancré dans la vie de tous en afrique. »

Youssou Ndour est-il un peu désabusé du rêve occidental promis aux africains ?

Michelle Lahana : « Oui et non. Déçu, oui, mais pas surpris, car il connaît l’être humain, mais çà ne l’empêche pas de continuer à se battre pour obtenir le meilleur pour l’Afrique. »

La France n’est séparé de l’Afrique que par une « petite » mer mais semble incapable d’entretenir des rapports corrects avec les pays africains comment expliquez-vous cela ?

Michelle Lahana : « Je pense que la France s’en fout un peu de l’Afrique, surtout l’Afrique qui n’a pas de richesse économique. La France a laissé le Rwanda crever alors qu’elle pouvait éviter ces millions de morts, lorsqu’on voit cela, on ne croit plus au Père Noël... »

Pourquoi n’a t’on pas le même rapport avec nos anciennes colonies que celles que peut entretenir l’Angleterre avec les siennes ?

Michelle Lahana : « Je ne pense pas que l’Angleterre soit un exemple de correction, je pense que tout comme la France, tant que ça ne fait pas trop de bruit et que ça ne dérange pas le paysage politique européen, chacun fait ce qu’il veut chez lui... »

Etes-vous une bonne pratiquante de la « danse du Ventilateur » ?

Michelle Lahana : « Je ne m’y risquerais même pas ! »

Virginie a t’elle sauvé votre éditeur d’un coup ?

Michelle Lahana : « D’un coup de pied au....

Et enfin, je suis moi-même journaliste musicale, prenez-vous le risque de proposer à Youssou une rencontre pour une interview ?

Michelle Lahana : "C’est vous qui courez un risque"

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