Un amour dévorant .Une nouvelle de Bertrand Betsch

Un amour dévorant .Une nouvelle de Bertrand Betsch

A la suite d’une cuite (appelons les choses par leur nom) Luc Ds a perdu son logiciel Flash,.
(Alors qu’il pensait bien faire en mettant un extrait du nouvel album de Benjamin Biolay à la poubelle, il s’est trompé de fichier...)
La nouvelle du mois de Bertrand Betsch sera donc diffusée sur le site de Frédéric Vignale : Le Mague que l’on ne présente plus.

Un amour dévorant

David et Justine avaient le même âge, vingt-trois ans, et suivaient tous deux leurs études de médecine à Paris. Ils ne se connaissaient pas jusqu’alors et ne se rencontrèrent que lorsqu’ils furent tous deux affectés comme internes à l’hôpital Bichat. Le coup de foudre fut immédiat. Leurs premiers ébats se déroulèrent dans une buanderie proche du service des urgences, quelques heures à peine après qu’ils se soient adressés la parole pour la première fois. Leur étreinte fut brève, passionnée et pour tout dire presque violente. David baissa son pantalon tandis que Justine ôtait sa blouse et sa culotte. Puis, David la pénétra sans détour, avec force et brutalité. Leur premier rapport ressembla à un combat de chiens, lui la mordant dans le cou, elle lui griffant le dos. Lorsque cinq minutes après ils se rhabillèrent prestement, Justine avait un léger hématome dans le cou et David les traces rouges des ongles de Justine dans le dos.

Chaque fois qu’ils furent amenés à se rencontrer, le même rituel se reproduisit, à la dérobée, soit dans une buanderie, soit dans une salle de soin, parfois même dans les toilettes pour dames. Ils ne s’adressaient que peu de mots, le langage du corps suppléant à la parole. Chacun s’abandonnait sans retenue à ses pulsions les plus animales, redoublant de fougue, d’ardeur et de volonté de s’approprier l’autre jusque dans sa chair. Ainsi, les morsures, griffures, succions et autres pincements redoublèrent d’intensité, laissant chaque fois sur leurs organismes des traces plus visibles et plus durables. Tous deux aimaient à se griffer et à se mordre jusqu’au sang. Après l’orgasme, ils se détachaient l’un de l’autre et se léchaient mutuellement les parties du corps où le sang perlait. On n’aurait su dire s’ils s’aimaient vraiment et s’il y avait place entre eux pour quelque sentiment tant entraient de rage et de bestialité dans leur relation. Jamais ils ne s’embrassaient ni ne s’échangeaient de mots d’affection. Leurs rencontres s’apparentaient à des sortes de collisions, voire de carambolages, et leurs corps à de la tôle froissée.

Peu à peu, un rapport d’extrême dépendance s’établit entre eux conférant à leur passion un caractère morbide. De sorte que lorsque Justine tomba malade et dut garder le lit pendant une semaine, David devint comme fou. Lui qui d’ordinaire était d’un caractère si doux, si conciliant, se montra, cette semaine-là, fort irritable et impatient avec ses collègues et ses patients. Quant Justine reparut - ne connaissant ni son adresse ni son numéro de téléphone il n’avait même pas cherché à la contacter - ce fut pour l’un comme pour l’autre comme un apaisement qui fut suivi lors de leur nouvelle étreinte d’un redoublement de violence. Ce jour-là, David, comme pour se venger de l’intense frustration qu’il avait ressentie, la roua de coups. Justine pleura un peu. On ne sut si c’était de douleur ou de joie, sans doute un peu des deux. Les coups cependant ne se renouvelèrent jamais car le nœud de leur rapport n’était pas tant le goût de la violence que celui de la chair et du sang. Quant à la douleur qu’occasionnait l’action de leurs ongles et de leurs mâchoires, elle n’était qu’accessoire. Ce qui dominait chez eux était le désir d’incorporer l’autre, de mêler leurs chairs jusqu’à ne former, dans un désir de fusion organique, qu’un seul et même corps.

Peu à peu grandit en eux le besoin de se faire le don d’un peu de leurs matières corporelles. C’est ainsi qu’un jour, lors de leur rencontre quotidienne, ils optèrent pour un bloc opératoire déserté. Ils pratiquèrent alors chacun leur tour une anesthésie locale du dos de leur partenaire et, s’emparant d’un bistouri, détachèrent, l’un après l’autre, un morceau de peau sur la portion de surface indolore. Ensuite ils se recousirent à la va vite et mâchèrent longuement le morceau de peau qu’ils s’étaient octroyés sur le corps de l’autre. Visiblement, ils ressentirent énormément de jouissance lors de cet étrange repas. Dès lors, ils n’eurent plus qu’occasionnellement de rapports sexuels, ceux-ci ayant cédé la place à un désir cannibale. Par la suite, ils se livrèrent à de nombreuses séances telles que celle-ci, à ceci près, qu’à chaque fois le morceau de peau qu’ils découpaient était plus important. Puis, insatisfaits de n’ingérer que des bouts de peau ils se mirent à se prélever des morceaux de chair qu’ils avalaient goulûment sans même plus prendre le temps de les mâcher. Au bout de quelques semaines et de multiples opérations de ce genre, ils furent recouverts l’un comme l’autre de monstrueuses cicatrices, lesquelles couvraient l’ensemble de leur corps, à l’exception notable du visage - en effet, craignant d’être découverts, ils observaient la plus grande discrétion quant à leurs agissements.

Bientôt ils ne surent plus où porter leurs coups de bistouri. De plus, la gravité de leurs blessures était telle qu’ils tenaient à peine sur leurs jambes et, qu’étant devenus si faibles et mutilés, ils ne pourraient bientôt plus exercer leur fonction. Devant leur air livide, leurs gestes ralentis et douloureux, leur démarche titubante, leurs collègues et supérieurs commençaient à s’inquiéter et, afin de préserver le bon fonctionnement du service, les démirent progressivement de la plupart de leurs responsabilités, laissant aux infirmières et aux aides-soignants le soin d’accomplir les tâches les plus délicates. De toutes façons, les deux amants se rendaient bien compte qu’ils étaient arrivés à un point de non retour et que, d’une manière ou d’une autre, il fallait en finir.

C’est Justine qui eut l’idée du défi qui devait parachever leur relation en y mettant un terme définitif. Elle proposa à David un contrat. Ils se retrouveraient demain soir chez elle et veilleraient le plus longtemps possible, le premier qui s’endormirait subissant le sort d’être dévoré par l’autre. David accepta aussitôt.

Le lendemain soir, Justine accueillit David sans un mot. Elle le fit asseoir au salon et alla ouvrir une bouteille de champagne à la cuisine afin de célébrer leur ultime rencontre. Elle remplit deux flûtes et versa de puissants somnifères, qu’elle avait au préalable réduits en poudre, dans le verre destiné à David.

Ils burent le champagne en s’observant attentivement, toujours sans mot dire. Une demi-heure plus tard, les paupières de David commencèrent à papillonner. Il lutta longtemps contre le sommeil, se secouant vigoureusement dès qu’il sentait qu’il commençait à s’endormir. Au bout d’une heure de lutte acharnée, il finit cependant par capituler et sa tête retomba lourdement sur son épaule gauche. Justine attendit quelques minutes, puis se leva, sortit une seringue d’un tiroir, releva l’une des manches de David et procéda à une anesthésie générale.

Bertrand Betsch et Nathalie Guilmot

Le site Internet du chanteur Bertrand Betsch

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