A l’est du jardin d’Iden

Un livre s’achète et se lit avec tout son packaging, c’est assez intéressant d’analyser tout cet ensemble avant de se plonger dans la lecture d’un ouvrage quel qu’il soit, cela donne des pistes de lecture. La couverture du « jardin d’Iden » de Kage Baker nous laisse à voir un portrait majestueux d’Elisabeth premier en tenue d’apparat, ce qui nous met immédiatement dans une ambiance historique et surannée des plus réussie, on ne risque pas d’être trompé sur la marchandise, se dit-on aussitôt, c’est ce qui s’appelle un travail éditorial cohérent.

Dans le pli de ce portrait princier, nous faisons connaissance avec Kage Baker, américaine lunettée à la longue tresse qui a un peu des airs de vieille fille célibataire et baba cool. Cette ancienne artiste, actrice et professeur d’anglais n’est autre qu’une spécialiste de la période élisabéthaine, ce qui confirme une probable « téléportation » littéraire dans un univers historique vraisemblable. Eh bien non, erreur totale, tout cela n’est qu’une énorme manipulation, ce livre est avant tout un roman de science fiction savamment dosé et d’une efficacité redoutable. Sur un rythme enlevé, on se balade à travers le temps avec une certaine jubilation positive.

De prime abord on peut dire que le titre en anglais était déjà le même jeu de mot sur la référence biblique, ce qui prouve deux choses ; l’humour et les thèmes romanesques à tendance religieuse sont universels. Mais parlons de cette petite histoire proprement dite au sein de cette grande Histoire humaine qui broie les êtres humains sans aucun remord.
Tout commence en Espagne. Vendue par ses parents à des gens de passage, la petite fillette Mendoza (référence sans doute au personnage du dessin animé « Les cités d’or ») se retrouve aussitôt dans les griffes et dans les donjons de la terrible Inquisition hispanique ; sans surprise aucune, les individus qui achètent des enfants ne sont pas recommandables du tout, (on le sait depuis les aventures de Cozette chez les époux Ténardier) et encore moins quand ils sont adeptes de sorcellerie et de magie noire. La petite gamine un peu peste est sauvée d’une mort certaine par des scientifiques du futur (venus du XXIV siècle) qui lui offrent l’immortalité et lui permettent de développer son goût sûr pour la botanique. Banco, la Nikita cybernétique en layette va pouvoir sauver l’humanité grace à cette société secrète. La véritable aventure peut commencer dans un rythme tonitruent . Elle mènera la toute nouvelle cyborg Mendoza dans l’Angleterre de la Renaissance pour y sauver « l’Ilex tormenstotum », une variété de houx appelée à disparaître cent ans plus tard. « Elle sera envoyée dans un pays froid, arriéré, où la pluie forme un manteau gris, un pays où la nourriture est infestée de bactéries, où les toilettes sont primitives » comme le dit l’éditeur en quatrième de couverture. »
Au sein de cette fresque surréaliste et baroque, le beau Nicolas Harpole fera battre le cœur de fer de la machine immortelle, troublée qu’elle sera par cet humain aux yeux bleus et son bel organe de ténor aux accents « violonesques ».
Entre passé et futur, machine à remonter le temps et de multiples rebondissement, Kage Baker s’amuse avec son lecteur et le balade dans cet imaginaire délirant sans jamais oublier le mission de sauvetage du monde.
Vous l’aurez sans doute compris l’ensemble ne manque ni d’humour, ni de recul et encore moins de second degré ce qui est un véritable plaisir pour le lecteur, le seul problème étant la cible de son lectorat.

Voilà donc un véritable roman de science-fiction comme on les aime malgré la couverture trompeuse, mais qui est par ailleurs vendu dans la collection « Fantasy » de la maison d’édition, et qui s’adresse plus aux enfants et aux adolescents qu’aux adultes. Il souffre trop d’une mièvrerie toute anglo-saxonne très « Peace and Love » et ringarde avec des partitions du genre "ce serait bien s’il n’y avait plus de guerres, plus d’Etats et que des gens heureux sur Terre". Autre écueil, plus problématique et même énervant, c’est son manque de crédibilité constant, car ni l’Espagne de Torquemada ni la grise Angleterre de Marie Tudor (ce n’est pas une blague, c’est son véritable nom) que nous proposent Kage Baker ne sont finalement convaincantes. On a plus l’impression d’un décor en carton plâtre qu’à des références historiques judicieuses.

Dommage, car ce premier volume élisabéthain de la tétralogie bakerienne (« Sky Coyote » et « Menzo in Hollywood » à paraître) réserve quelques beaux passages drolatiques, pétillant et joyeux et autant de dialogues bien sentis malgré les invraisemblances qui court-circuitent sa belle énergie créatrice. L’ensemble est donc plutôt bien maîtrisé et original mais le tout s’adresse à un jeune public peu critique qui se laissera emporté sans aucun problème par l’imaginaire « abracadabrantesque » de la romancière qui s’est bien amusé à écrire son charmant pavé mais qui est parfois un peu lourdingue et trop décalée par endroits.
A lire donc pour se détendre et si on ne veut pas avoir à faire à un roman trop ambitieux.

Dans le jardin d’Iden, Kage Baker, traduit de l’anglais par Jacques Collin, Editions Rivages, 2002, 297 pages, 21 euros.

Dans le jardin d’Iden, Kage Baker, traduit de l’anglais par Jacques Collin, Editions Rivages, 2002, 297 pages, 21 euros.