Interview : Tiken Jah Fakoly

Interview : Tiken Jah Fakoly

Tiken Jah Fakoly restera, sans doute dans l’histoire musicale comme un artiste engagé de la dimension d’un Bob Marley !
Tiken Jah Fakoly nous a fait l’amitié d’accorder cette interview au Festival : Nancy jazz pulsations 2004. En voici une retranscription.

« Merci Tiken Jah Fakoly de nous accorder cette interview. Je voulais revenir tout d’abord sur le dernier album, "Coup de gueule", album engagé, comme l’étaient les précédents aussi d’ailleurs. Je voulais savoir comment s’est passée ta rencontre avec Zebda, qui intervient donc dans ton album sur la chanson "où veux tu que j’ailles" ? »

Tiken Jah Fakoly : « Zebda si tu veux on se connaissait un peut par notre musique et on s’est croisé une fois en concert. Puis j’ai écrit une chanson pour dénoncer un peu la manière dont les immigrés sont fatigués en cote d’Ivoire, dont les frères africains qui sont venus d’ailleurs pour aider la Côte d’Ivoire à se développer et sont victimes d’injustices ; donc quand j’ai fait cette chanson, je pensais à Zebda pour dénoncer un peu les injustices dont sont victimes, ici en France, les immigrés. Je pense que Zebda fait partie des groupes qui parlent à la place de ceux-là, et c’est donc vraiment par rapport à cela que j’ai invité Zebda. »

« C’était effectivement une rencontre qui devait se faire, car il y a des causes communes. Avec toutes tes collaborations musicales, (on pense à Steel pulse, Bernard Lavilliers, Amadou et Mariam), est ce que tu considère cela comme une reconnaissance internationale ? Est-ce aussi une façon d’ouvrir, aussi bien ton message que ta musique, au plus grand nombre ? »

TJF : « Exactement c’est un peu ça. Je suis ouvert, et je suis prêt à aller sur tout les terrains de combat tu vois ; je pense que j’ai été vraiment honoré par tous ces grands : Steel pulse, Amadou et Mariam : Quand j’écoutais amadou et Mariam à l’époque, je ne pouvais pas imaginer que j’allais devenir artiste un jour. J’étais un fan à fond à Abidjan (quand ils résidaient là bas en couple) et Steel pulse, et aussi Bernard Lavilliers quand j’écoutais son duo avec Jimmy Cliff (Melody tempo harmony), j’étais un fou de ce titre là. Et donc je pense que pour moi faire un featuring avec tous ces grands c’est vraiment un honneur. Tu vois c’est un honneur, j’en suis fier. Quand j’écoute ça tu vois il y a un chemin qui a été fait et je dis merci dieu, voilà.

« Suite à ta victoire de la musique en 2003, meilleur artiste world, as-tu sentit une évolution dans ta carrière, notamment en France ? »

TJF « Bien sûr, après la "Victoire de la musique", je pense que ma carrière a vraiment décollé, d’une manière spectaculaire je dirais, parce que les ventes ont augmenté, les demandes de concerts ont augmenté ... En même temps, quand je reçois une distinction comme ça, je me dis que c’est le plus dur qui commence, ça veut dire que c’est la famille qui s’agrandie : la famille qui écoute Tiken Jah c’est agrandie, donc il faut que je sois à la hauteur désormais. Donc voilà, j’espère que « coup de gueule » sera déjà nominé aux victoire de la musique... on verra ! »

« En tout cas je peux dire que toute l’équipe a adoré cet album ? Et on croise les doigts ...
C’est la deuxième fois que tu participes au NJP maintenant qu’est ce que tu pense du public français en général, et plus particulièrement du public lorrain ? »

TJF : « C’est toujours une joie pour tout artiste quand on vient au Nancy jazz pulsations, je pense que ça va être mon troisième passage ici, sinon mon deuxième passage, mais franchement la dernière fois c’était la folie, le public était présent, ils ont chanté ... ; donc oui moi je suis très très heureux de revenir à chaque fois. Voilà ; l’accueil, le public, tout est là quoi ! »

« Ton album « coup de gueule » comme son nom l’indique, est très engagé, on va faire un petit parcours à travers l’album, mais avant, je voulais te demander, en rapport avec la crise politique que traverse ton pays, la cote d’ivoire, : es-tu encore « persona non grata » là-bas ?
Et comment tu vis cette situation depuis un certain nombre d’années maintenant ? »

TJF : « Ca fait deux ans que je vis en exil à Bamako et Je n’ai pas d’interdiction officielle de revenir dans mon pays, mais c’est un exil volontaire provoqué par la guerre, et donc je pense que revenir en Côte d’Ivoire est carrément un suicide. Donc c’est pourquoi je suis resté au Mali, en attendant que les choses rentrent en ordre en Côte d’Ivoire.
Donc voilà, c’est difficile de rester à l’extérieur, de rester deux ans sans rentrer dans son pays, la famille me manque, la maison manque, la chambre me manque... Mais je dis que ce que l’on attend de moi, c’est que je soutienne une dictature et je ne le ferais jamais. Je ne pourrais pas faire ça parce que moi j’étais rebelle avant les rebelles, avec mes chansons ! Donc ce n’est pas aujourd’hui, arriver à ce niveau de combat, que je vais reculer quoi ! »

Et effectivement d’autres chanteurs Ivoiriens y sont retournés mais dans quelles conditions ? Car toi, dans ton pays d’accueil actuel (le Mali) tu as la totale liberté d’expression d’écrire un album très engagé comme coup de gueule. »

TJF : « Le mali c’est un pays d’hospitalité d’abord, de liberté, de fraternité. Donc je suis dans ce pays, j’ai été bien accueilli, je le ressens tous les jours. Je pense que les maliens n’ont pas envie que je retourne en cote d’ivoire ? Tellement, ils aiment ce que je fait et donc là bas j’ai toute une liberté totale. Je dis merci au peuple malien ! »

« Tu disais tout à l’heure , en parlant de la cote d’ivoire : « j’étais un rebelle avant les rebelles » à travers tes chansons, à travers tes textes ; Justement , quelle est ta vision de la non violence, à travers justement les conflits en Afrique, et on peut élargir aussi au conflit israélo-palestinien, quant à tout ces conflits, quelle est donc ta position sur la non violence ? »

TJF : « Bien, je pense aujourd’hui, que si le Martin Luther King avait été là, son discours n’aurait pas collé avec l’actualité, parce qu’il y a tellement de fous maintenant. Il y avait des fous à l’époque, mais aujourd’hui avec des fous comme Georges Bush, des fous comme Laurent Gbagbo, tu vois, et donc moi je dis que je suis pour la non violence, mais il se trouve que nous avons essayé cette non violence pendant longtemps donc nous sommes arrivés à une étape d’une solution radicale !
Donc, aujourd’hui, je pense que ceux qui sont à la tête du monde aujourd’hui ne sont pas sensible à la non violence, ça ne leurs dit absolument rien. Je pense que chez ces gens, la conscience est nourrie de tranquillité. Donc aujourd’hui , les gens, partout dans le monde sont obligés de prendre la solution de la violence ; malheureusement ça ne résout pas forcément les problèmes,par exemple entre Israël et la Palestine, la violence n’arrange rien.

Aujourd’hui on sait que dans beaucoup de pays où il y a des problèmes, la violence émerge...les gens n’ont pas d’autre solution. Ils n’ont pas d’autre solutions parce qu’ils ont essayé la non violence, ils ont essayé des choses qui n’ont pas marché, donc ils se sont dit bon on y va quoi, on y va, et ce qui va arriver, va arriver... Malheureusement c’est l’actualité, malheureusement les choses sont comme ça aujourd’hui, et c’est dommage. C’est dommage parce que les décideurs ne sont plus sensibles à la non violence, les décideurs pètent les plombs ! »

« Peut être aussi que on peu repenser à Gandhi, si il revenais aujourd’hui, imaginer qu’est ce qu’il ferait...

Mais il y a peut être aussi, il faut le reconnaître, peu de chanteurs, peu d’artistes et encore moins de gens de la taille de Gandhi qui prennent des positions comme tu le fait, et qui disent ce qu’ils ont à dire sans forcément penser aux résultats sur les ventes d’album ou autres ? »

TJF : « Je pense que effectivement, j’ai quelque chose à dire, et je le dis et je ne pense pas à quoi que ce soit, je me dis que je le dis par rapport à tel ou tel sujet, j’y vais quoi !
Il faut des gens pour dire des choses actuellement, et moi j’ai décidé d’être parmi ceux là, et j’assume aussi par exemple pour passer deux ans sans aller dans mon pays ! C’est très dur mais c’est un peu le prix à payer !
Etre victime de certaines censures sur certaines radios, je viens d’apprendre par exemple, que mon album a été interdit au Togo !
Je l’assume, on ne peut pas cacher le soleil avec la main : je sais que le gouvernement Togolais ne pourra pas rentrer dans toutes les maisons pour dire aux gens de ne pas m’écouter, donc effectivement j’ai décidé d’être parmi ceux là, ceux qui ont des idées et disent des choses et Bon je l’assume quoi ! »

« C’est presque un honneur d’être dans certains pays censuré, ça prouve la portée de tes textes ... »

TJF : « Ça prouve surtout que la balle atteint sa cible, voilà ! Ça prouve surtout que la balle atteint sa cible parce que un président togolais, au pouvoir depuis quarante ans, ça fait pitié pour le peuple togolais, tu vois !
Et le mec, il est toujours élu à quatre vingt dix neuf pour cent et demi...Et j’ai l’habitude de dire qu’il a été le collègue de Pompidou, il a été le collègue de Giscard, il a été le collègue de François Mitterrand et aujourd’hui il est le collègue de Jacques Chirac ? Et il serra peut être le collègue du successeur de Jacques Chirac... il faut arrêter, voilà ! »

« Est ce que c’est à lui particulièrement que tu dédicace cette chanson « partez monsieur le président », ou c’est plus vaste et ça s’adresse à plusieurs présidents dans le monde ?... »

TJF : « Je pense que Georges Bush doit partir, et il y a plein de chefs d ‘état qui doivent partir, tu vois. Je pense que Laurent Gbagbo a échoué, et doit partir. Donc si tu veux, c’est plus vaste, ça s’adresse à tous ceux qui ne méritent pas d’être président et qui sont président aujourd’hui. »

« Effectivement... Je voulais en revenir à ta vision de la France depuis 1998, où ta carrière, vraiment se tourne vers l’Europe et la France en particulier avec un passage au bataclan, une première partie de Sinsemilia à l’époque. Est ce que tu as ressenti un changement politique au sens large en France ? »

TJF : « Pas vraiment, parce que ce sont les mêmes têtes qui sont là donc on attend impatiemment qu’ils ne soient plus président pour que...
Donc je pense qu’il n’y a pas eu vraiment un grand changement.
Je sens que les dirigeants africains ont tout copié en France. Je voyais un reportage la dernière fois, où il y a des milliers de voitures de l’état qui sont dans les ministères et qui sont utilisées par les ministres en vacances ! Mais c’est des trucs que les dirigeants font en Afrique et je viens de me rendre compte que c’est ici, qu’ils ont appris ça !
C’est ici qu’ils ont appris toutes les conneries et c’est dommage.
Moi depuis 1998, je suis là et je pense que j’ai pas vu beaucoup de changements et c’est vraiment dommage et c’est un grand soucis pour nous parce que la France est un exemple, malheureusement pour les pays africains francophones, si les choses ne changes pas réellement ici, là bas ça va être difficile de changer, parce que c’est carrément la copie, la photocopie. »

« Je voulais rebondir la dessus pour parler de l’espoir dans tout tes album tu as été engagé, dans Mangercratie en 99, avec « cours d’histoire », en passant par « France Afrique » et enfin « coup de gueule » ton dernier album.
Est-ce que ces messages de chansons ont des répercutions, que tu connais en tout cas, chez les africains ? Peut être des actions citoyennes, associatives ou politiques ? Je pense souvent à ces chansons comme « il y en a marre » ou comme Plus rien ne m’étonne où j’imagine, que les gens reprennent ça en cœur, et qu’il y a une vraie communion, autour de tes textes ? »

TJF : « En fait, ce que je dis dans ces chansons comme « il y en a marre », comme « Mangercratie », comment plein plein de chansons, c’est les choses que les africains ont envie d’exprimer, mais on ne leur donne pas l’occasion de le dire.
Je pense que, c’est d’ailleurs ça qui fait ma popularité aujourd’hui en Afrique francophone : c’est que les gens ont envie de dire des choses et on ne leurs donne pas l’occasion, et moi j’arrive et je le dis directement.
Je sais qu’au Togo par exemple, tout le monde a envie de dire au président : « quitte le pouvoir », et on ne leur donne pas l’occasion de le dire et moi j’arrive et je dis « quitte le pouvoir », malgré la censure au Bénin, où au Togo ... »

« Et il y a Internet en plus ! »

TJF : « Exactement, donc je pense sincèrement que c’est ces textes qui font la force de ce que je fais et j’en suis fier et je peux promettre aux jeunes, tout ceux qui m’écoutent, que je vais continuer et qu’ils ne seront pas déçus. »

« C’est un peu le rôle du « koro », le grand frère en africain ? »

TJF : « Ouais c’est carrément le rôle du « koro », c’est un rôle de messager et une très grande responsabilité que j’essaye d’assumer, voilà.
En tout cas on va continuer le combat, on va dire à certaines personnes de quitter le pouvoir. On va dire « plus rien ne m’étonne », on va aussi proposer des solutions comme « quand nous serons unis ça va faire mal ». Effectivement quand l’Afrique sera ensemble, avec toutes les richesse dont regorge l’Afrique, je pense qu’on va faire très très très mal ! »

« Je rebondis sur cette chanson « plus rien ne m’étonne », où tu évoque justement les grandes puissances qui se partagent le monde, qui font du troc et qui soutiennent des dictatures fantoches, pour parler de ce qui m ‘a interpellé dans ce texte, où tu montre que toutes les tribus historiques africaines, ont été divisées arbitrairement par les européens et c’est cela aussi qui crée les tensions ethniques ! »

TJF : « Le problème c’est qu’on a l’impression que tout a été fait exprès, pour que nous soyons dans une guerre définitive, tu vois, c’est ça parce que des peuples qui n’ont pas la même culture, n’on pas la même manière de voir les choses tu vois, et on les a mis ensemble et on leurs a dit bon allez y : cote d’ivoire !
Tu vois on a dit bon voilà, on a pris des Mossi on a pris des Djoula on les a mis là, allez, Burkina Faso ! etc... C’est ce qui a été fait !
Et la réalité, c’est qu’aujourd’hui ça marchera difficilement, et que ça rend notre place très très difficile ! Mais nous ne baisserons pas les bras, on va expliquer aux gens que tout a été fait exprès. Je pense que quand, la jeunesse africaine comprendra que tout a été fait exprès pour qu’on soit toujours en guerre, on pourrait aboutir sur un truc d’éveil de consciences, de réveil total !
Après, quand on va me dire d’aller tuer mon frère, je dirais non, et toi, pourquoi je ne te tue pas toi ? tu vois, voilà-. »

« Je voulais te poser une dernière question, mais d’abord te remercier parce que j’imagine que les tournées, c’est très éprouvant et tu t’es pourtant donné à fond dans cet interview, je voulais te remercier !
Il faut écouter absolument cet album, moi j’ai adoré plein plein de titres, une des chansons par exemple : « l’Afrique doit du fric », où tu évoque quatre cent ans d’esclavage, et de pillage des entreprises colonialistes ...
Je voulais enfin pour conclure, te questionner sur tes projets musicaux, et sur tes espoirs aussi au niveau de ton engagement politique, dans le sens de tes textes ? »

« J’ai espoir que l’Afrique va s’unir un jour !
Ca prendra peut être cent ans, je ne serais pas là, mais le plus important pour moi, c’est que la nouvelle génération vienne trouver que j’ai mené le combat à un niveau.
Je pense que je ne suis pas le seul : heureusement qu’il y a des journalistes, qu’il y a des écrivains, qui sont dans le même combat que moi et je profite de cette interview pour les remercier et donc j’ai espoir !

La seule solution pour l’Afrique pour s’en sortir/ c’est être ensemble, c’est la seule solution. Je pense qu’il y a une politique, qu’il y a un système en face de nous et qui se bat pour que l’on reste divisés pour que l’on reste faible. Vous voyez, la banque mondiale, demande par exemple au Mali de cultiver en majorité du coton, et on demande par exemple au nord de la Côte d’Ivoire de cultiver en majorité du coton etc., et quand tout ces pays là se mettent à cultiver le coton, ça fait chuter le prix du coton et les gens ils en profitent. Le cacao c’est la même chose, donc il y a tout un système qui est en place pour combattre les pays en voie de développement et c’est vraiment dommage !

Et nous notre rôle ? C’est d’éveiller les consciences, d’expliquer aux gens ce qui se passe, et j’ai espoir, je suis sûr qu’un jour, quand les gens vont comprendre qu’on nous prend pour des cons, le réveil sera fatal, voilà ! Merci beaucoup. »

Remerciements à Monsieur TAM TAM, Freddy Mandy et Roland Schlachter.
Ecoutez cette interview sur le site de l’émission "Plutôt 2 fois qu’1" http://www.plutot.com !

Visitez le site de Tiken

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